Je dois dire – et je le dis en particulier à M. Philippe Gosselin – que je bois du petit lait en entendant plusieurs d'entre vous décrire les conséquences négatives de la dématérialisation et le recul des services publics, exactement dans les mêmes termes que ceux qui figurent dans mon rapport d'activité.
On entend aujourd'hui parler de « recul de l'État territorial ». Moi qui suis un vieux fonctionnaire ne connaissant qu'un seul État, l'État tout court, j'ai donc découvert qu'il existait un « État territorial ». Cette expression désigne en réalité ce que l'on nommait autrefois les services déconcentrés. À côté du mouvement qui voit progressivement les fonctions d'accueil, d'orientation et de renseignement inhérentes aux services publics transférées à des sites internet, l'État, puisqu'il a décentralisé, a décidé de confier à des collectivités territoriales devenues puissantes le soin de gérer un certain nombre de missions. Or, dans la culture française, le service public est intrinsèquement lié à l'État. Nous touchons ici au coeur de la problématique du service public : selon moi, la dématérialisation et la numérisation ne sont que la traduction de ce désengagement de l'État, qui, non seulement, présente les inconvénients sociaux que nous avons dit mais qui, de surcroît, me paraît heurter notre conception traditionnelle du service public, qui perdure et que nous devons respecter.
Il y a évidemment de cela des exemples flagrants, comme le fameux « plan préfectures nouvelle génération » (PPNG) et les 400 000 dossiers de cartes grises ou autres documents officiels qui sont « en rade », du fait d'un bug.
Il est donc clair, mesdames et messieurs les députés, qu'il faut que vous souteniez avec force, au plan local comme au plan national, le développement des maisons de service au public (MSAP). L'objectif de mille maisons est bientôt atteint, mais il faut aller au-delà.
C'est une partie de la réponse, qui ne résoudra évidemment pas l'ensemble des problèmes, et il faudra également se préoccuper de la manière d'améliorer le service que délivrent les caisses de protection sociale. C'est une nécessité.
Monsieur Morel-À-L'Huissier, je fais des campagnes de communication parce que je pense qu'on ne peut pas laisser les gens sans recours, et que je tiens à leur faire savoir que le Défenseur des droits est l'un de ces recours. Lorsque j'ai préparé, il y a plusieurs mois, bien avant la révélation des frasques de M. Harvey Weinstein, la campagne que nous avons menée il y a quelques semaines visant à expliquer que le harcèlement sexuel au travail était une discrimination sexiste punie par la loi et qui était du ressort du Défenseur des droits, il s'agissait d'ouvrir des portes et de s'adresser à toutes celles et ceux qui pouvaient se trouver concernés.
Tous les moyens doivent être mobilisés, et je pense que vous aurez encore l'occasion, lors de la nouvelle lecture sur le projet de loi concernant le droit à l'erreur, de renforcer éventuellement les obligations légales de l'État et des administrations.
J'en viens à la question de M. Peu, laquelle vaut pour de nombreux territoires. Je me suis moi-même penché sur le cas de l'aide sociale à l'enfance (ASE), qui relève aujourd'hui de la compétence des départements et présente de très importantes disparités territoriales. J'avais par ailleurs déjà eu à traiter de la rupture d'égalité devant les services publics entre les territoires en 2014, lorsque j'ai été saisi du cas des « bonnets d'âne », ce groupe de parents d'élèves de Saint-Denis qui se plaignaient de voir les collèges où étaient scolarisés leurs enfants traités – il faut bien le dire – de manière parfaitement désavantageuse par rapport à d'autres : professeurs absents, non remplacés, etc. J'ai donc pris une décision, communiquée à Mme Vallaud-Belkacem, et la rectrice a fait en sorte, à la rentrée suivante, de pallier ce que j'ai appelé une rupture d'égalité devant le service public de l'éducation. C'est donc une question que nous pouvons prendre en compte, mais je n'ai pas, moi-même, le moyen d'agir directement.
En ce qui concerne Orange, monsieur Morel-À-L'Huissier, j'ai saisi l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), à laquelle j'ai demandé de prendre des sanctions – contrairement à moi, elle en a le pouvoir – contre Orange, qui, en certains points du territoire, par exemple les départements de Lozère et du Cantal, ne remplit pas son obligation de mettre en place le service universel.
On m'a interrogé sur le suivi des réformes que nous proposons : j'ai toujours dit que ce suivi me paraissait relever de votre commission et, plus largement, du Parlement, qui nous a confié le pouvoir d'émettre des avis et de vous faire des propositions. Dans le cadre de l'activité de contrôle que vous avez évoquée tout à l'heure, madame la présidente, il vous revient de mettre en place le suivi des propositions que fait le Défenseur des droits auprès des différentes administrations, ce qui nous aidera à faire avancer conjointement un certain nombre de sujets.
Pour ce qui est du numérique, Mme Untermaier m'a interrogé sur les perspectives, notamment sur les projets en matière de justice – un sujet qui intéresse sans doute Mme Vichnievsky, compte tenu de ses fonctions antérieures. Nous devons faire preuve d'une grande prudence en ce qui concerne l'extension de toutes les procédures dématérialisées, en particulier de celles reposant sur la visioconférence. Dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à l'asile et à l'immigration, votre commission a adopté un amendement qui me semble positif, puisqu'il a pour objet d'améliorer la manière dont la visioconférence pourrait être utilisée pour les procédures concernant les demandeurs d'asile. Nous devons rester extrêmement vigilants à l'égard de toutes les innovations numériques : cette nécessité s'imposera notamment lors de l'examen du projet de loi de programmation pour la justice.
Je me suis livré à une analyse juridique du projet de loi relatif à l'asile et à l'immigration, du point de vue du respect des droits fondamentaux. Si l'accueil et les droits des migrants en général sont en principe assortis d'un principe d'inconditionnalité, chacun sait que les politiques, confrontés à la réalité, sont obligés de « slalomer » entre des impératifs représentant autant d'inconvénients. Pour ma part, les seuls principes auxquels je me réfère en tant que défenseur des droits sont l'universalité et l'inconditionnalité. L'avantage d'une analyse effectuée sous cet angle est de donner une grande visibilité à des questions qui, autrement, sont souvent traitées de manière totalement irrationnelle et polémique, et donnent lieu à l'emploi de formules à l'emporte-pièce sans véritable signification.
En réponse à Mme Vichnievsky, qui m'a demandé quel regard je portais sur l'évolution des droits de la défense, je dois dire qu'ils ne me paraissent pas évoluer de manière satisfaisante. Ainsi, dans le texte sur l'asile et l'immigration, je récuse la disposition consistant à réduire les délais et l'effectivité du droit de recours – ce n'est évidemment pas le seul exemple.
Enfin, je vous indique avoir constaté une hausse relativement importante des réclamations liées aux établissements médico-sociaux, notamment aux EHPAD. Nous allons recourir de plus en plus souvent à un critère précisé dans le cadre de la loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement, celui du critère de discrimination constitué par la perte d'autonomie. Par conséquent, j'ai procédé à une réorganisation de mes services en créant un pôle « Droits des malades et dépendance », qui me permettra de traiter plus efficacement les questions liées à ces thématiques.
Je conclus en vous présentant les personnes qui m'accompagnent, puisque j'ai omis de le faire au début de mon intervention. Il s'agit de Claudine Angeli-Troccaz, adjointe, vice-présidente du collège en charge de la déontologie dans le domaine de la sécurité ; de Geneviève Avenard, Défenseure des enfants, adjointe, vice-présidente du collège chargé de la défense et de la promotion des droits de l'enfant ; de Patrick Gohet, adjoint, vice-président du collège en charge de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l'égalité ; de Bernard Dreyfus, délégué général à la médiation avec les services publics ; de France de Saint-Martin, mon attachée parlementaire ; et de Constance Rivière, secrétaire générale du Défenseur des droits depuis octobre 2017.