Intervention de Jacques Toubon

Réunion du mercredi 11 avril 2018 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jacques Toubon, Défenseur des droits :

Pour le coup, quelle caricature ! Nous ne sommes pas abstraits ! Le fait de ne pas sélectionner les personnes qui sont dans les établissements d'hébergement n'est pas abstrait ! C'est la vie la plus concrète : c'est de savoir si on passe la nuit dans la rue ou au chaud ! C'est le contraire de l'abstraction ! Les droits fondamentaux ne sont pas dans l'éther ! Les droits fondamentaux, c'est sur les trottoirs du boulevard de la Villette !

Excusez-moi de vous le dire comme ça, mais c'est ainsi que je le sens, et c'est peut-être une façon de répondre à M. Pradié : c'est comme ça que je conçois mon rôle. Et casser l'indifférence, ça veut dire être sensible, ce qui ne signifie certes pas pleurnicher, mais être sensible à la réalité et prendre en compte cette réalité à partir de ce qui constitue notre mission, c'est-à-dire les droits fondamentaux.

En ce qui concerne les MSAP, monsieur Pradié, j'ai essayé de le dire tout à l'heure, mais trop prudemment : vous avez parfaitement raison, le risque encouru est que les maisons de service au public servent en quelque sorte à l'État, ou à d'autres collectivités – mais à l'État en particulier –, à se dégager d'un certain nombre de leurs missions et a donner en quelque sorte délégation à des institutions qui accompliraient à l'économie des missions qui sont du ressort l'État.

Il y a quelques mois, j'ai participé à la première rencontre des MSAP organisée par M. Mézard, ministre de la cohésion des territoires : nous prenons des positions à travers la présence de nos délégués dans ces établissements pour dire qu'il n'est pas question qu'ils deviennent des sous-caisses d'allocations familiales ou des préfectures au rabais.

En ce qui concerne le handicap, les conclusions des travaux de la rapporteure de l'ONU étaient peut-être quelque peu excessives, mais beaucoup des constats que nous faisons rejoignent les siens.

S'agissant des droits civiques et du droit de vote, nous avons insisté, dans le rapport sur les majeurs incapables que nous avons publié à la fin de l'année 2016, sur les dispositions de l'article 12 de la Convention internationale des droits des personnes handicapées, qui portent notamment sur le droit de vote. Je rappelle qu'un groupe de travail créé au sein du ministère de la justice par Mme Belloubet étudie ces questions, et j'espère que les parlementaires auront l'occasion d'aborder ce sujet avec elle afin de faire en sorte que ces personnes bénéficient exactement des mêmes droits que les autres.

À M. Tourret, je répondrai qu'il est vrai que, d'une certaine façon, les analyses que je fais dans mes observations devant les conseils de prud'hommes, les chambres sociales des cours d'appel ou, parfois, devant l'une des deux chambres compétentes de la Cour de cassation sur ce type de sujet, relèvent un peu du travail du ministère public, qui n'est pas présent dans les juridictions prud'homales.

Par exemple, la décision prise en faveur des « chibanis » de la SNCF a conduit l'établissement à acquitter la somme de 195 millions d'euros : excusez du peu ! Et la SNCF a d'ailleurs commencé à payer, car elle n'est pas allée en cassation, ce qui est remarquable et montre bien que la décision lui paraît incontestable.

De même, lorsque je mets en cause le harcèlement dont un certain nombre d'employés à la gare du Nord ont fait l'objet de la part de la société de nettoyage des trains qui les employait, je suis exactement dans mon rôle, et je pense que ce rôle est efficace. Il vous revient maintenant de juger si le ministère de la justice peut donner à son parquet de nouvelles instructions.

S'agissant des droits des victimes, madame Karamanli, je vous dirai simplement que j'ai fait le point à l'automne dernier : à peu près la moitié des recommandations que j'avais formulées au mois de juin m'ont semblé avoir été prises en compte par le Gouvernement, notamment dans la nouvelle organisation comprenant la délégation interministérielle aux droits des victimes. Mais je peux, si vous le souhaitez, vous fournir des éléments plus précis.

Madame Dubost, vous avez très justement souligné que le critère de perte d'autonomie comme celui de particulière vulnérabilité économique, inscrits respectivement dans la loi du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement et dans la loi du 24 juin 2016 visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale, sont difficiles à manier.

J'ai déjà évoqué la situation régnant dans certains EHPAD ; de façon plus générale, nous progressons dans le domaine de la protection des personnes en perte d'autonomie. Nous avons reçu quelques saisines, mais elles ne sont guère significatives.

S'agissant de la vulnérabilité particulière résultant d'une situation économique, nous avons commencé à échafauder une analyse qui nous permettrait d'utiliser ce critère pour favoriser l'égalité de tous devant le service public, particulièrement celle des personnes relevant de ce cas. Cela serait susceptible de s'appliquer aux enfants pauvres devant le service public de l'éducation, par exemple. Aussi votre double réflexion sur ces critères va-t-elle tout à fait dans le sens du travail que nous tâchons de conduire.

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