S'agissant de la gouvernance, j'ai eu l'occasion, au cours des dernières semaines, d'avoir un dialogue avec les instances qui nous ressemblent peu ou prou dans d'autres pays. Cette gouvernance est très différente d'un pays à l'autre. Cela va de la nomination par l'exécutif sans contrainte particulière – comme dans le cas de France Stratégie – jusqu'à des conseils dont les membres sont nommés dans des conditions très encadrées, pour un mandat renouvelable ou pas. Les instances de nomination elles-mêmes sont plus ou moins proches de l'exécutif et du législatif. À l'usage, je constate que la reconnaissance de l'indépendance et de la qualité vont beaucoup de pair. Les institutions qui ont fait reconnaître que leurs méthodes étaient rigoureusement suivies et qu'elles ne s'écartaient pas des résultats que ces méthodes procurent, sont reconnues comme légitimes, quelle que soit leur gouvernance. Ce n'est qu'un constat et l'on pourrait considérer comme plus sage de se doter d'un conseil dont les membres auraient un mandat limité dans le temps. À l'usage, je constate cependant qu'il n'y a pas eu de controverse sur l'indépendance des évaluations de politique publique menées ex post par France Stratégie. S'il y a eu des critiques, elles portaient plutôt sur le fait que les conclusions de ces évaluations ressemblaient à des conclusions de chercheur, c'est-à-dire qu'elles étaient précises, nuancées et qu'elles n'étaient pas forcément en ligne avec les attentes d'un public souhaitant savoir si telle politique est bénéfique ou pas et comment corriger le tir. Cela étant, les évaluations que nous fournissons sont considérées comme sérieuses et crédibles et sont prises par l'ensemble des parties prenantes comme une base de départ. La méthode est un élément essentiel des évaluations ex post.
Les choses sont très différentes pour les évaluations ex ante. On constate tout d'abord, dans les institutions qui font ce type d'évaluations, que les contraintes temporelles sont très différentes. Elles s'insèrent dans le calendrier du processus législatif. On parlera donc en jours, quelquefois en un petit nombre de semaines. Quant à nous, nous mettons ce petit nombre de semaines rien que pour organiser la première réunion du comité qui va définir les grilles d'évaluation. Le rythme de l'évaluation ex ante dans un processus législatif suppose de disposer d'équipes qui soient déjà prêtes et dotées d'instruments d'analyse mobilisables à tout moment et qui puissent en quelques heures commencer à travailler sur un sujet, une loi ou un amendement et sur cette base, donner en quelques jours des éléments arrivant suffisamment à temps pour être pertinents et utiles.
Les compétences sont-elles les mêmes ? Les mêmes équipes peuvent-elles faire à la fois de l'analyse ex post et ex ante ? Idéalement, oui mais dans les faits, pas tout à fait. Il y a de commun entre les deux méthodes qu'il faut regarder quels moyens sont mobilisés et essayer d'identifier leurs effets et de quantifier ces éléments de la manière la plus rigoureuse possible. Ce qui diffère sensiblement, c'est que dans l'évaluation ex ante, on utilise plutôt des méthodes de simulation alors que dans l'évaluation ex post, on ira chercher des données réelles, quelquefois un peu anciennes, et constater que dans la réalité, les choses ne se passent pas nécessairement de façon tout à fait identique à ce qu'on aurait pu imaginer dans une simulation ex ante. C'est à beaucoup d'égards tout à fait naturel : la vie nous apprend, chemin faisant, un certain nombre de choses que nous ne pouvons anticiper, même quand nous faisons des simulations ex ante. Le comité qui travaille sur les ordonnances « travail » a rapidement reconnu, alors qu'il y a plusieurs dizaines de critères à évaluer, que la liste de ces critères serait amenée à évoluer dans le temps parce que la pratique fera apparaître des sujets inattendus. L'ensemble des membres du comité accepte tout à fait l'idée que les grilles d'évaluation doivent pouvoir périodiquement être révisées et complétées et que certains éléments qui paraissaient a priori importants peuvent s'avérer l'être moins. En revanche, dans le cadre d'une procédure ex ante, on fait l'évaluation en quelques semaines et on produit un résultat qui doit servir de base ou être utilisé dans le cadre d'un processus législatif.
Notre pays a fait beaucoup d'allers-retours entre les méthodes d'évaluation des politiques publiques ex ante et ex post ainsi que pour déterminer qui les fait et comment on les organise. Il y a donc aujourd'hui un assez grand écart entre les études d'impact des projets de loi et nos évaluations ex post. On pourrait envisager d'assurer une plus grande cohérence dans la façon dont on aborde les choses ex ante et ex post, quitte à reconnaître dans la procédure ex post qu'on n'avait pas forcément pris en compte dans la procédure ex ante tous les effets qu'allait avoir une réforme. Aujourd'hui, les études d'impact et les évaluations ex post sont deux univers ayant peu de points communs entre eux.
S'agissant des qualifications des membres de notre équipe, il y a prédominance de profils d'universitaires, d'ingénieurs et de personnes venant des services d'études de l'administration. Ce peuvent être des personnes qui viennent du monde des sciences économiques et sociales ayant fait leurs études dans ce domaine ou des personnes provenant de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Nous avons au sein des équipes de France Stratégie un mélange très varié de compétences qui nous permet d'avoir le bon niveau d'exigence académique et intellectuel au départ. Surtout, la manière dont nous travaillons ensemble est notre plus grande compétence acquise.
Je ne crois pas qu'il nous soit jamais arrivé de conclure une évaluation par l'affirmation qu'une politique était un échec. Cela veut-il dire qu'on nous a empêchés de le faire ? À ma connaissance, jamais. Est-ce exact ?