Quand on pose la question de l'expertise, on touche à un point essentiel de l'exercice de notre démocratie. S'ils ne disposent pas d'une quantité suffisante d'éléments fiables sur lesquels s'appuyer, les parlementaires ne peuvent pas prendre des décisions éclairées qu'il s'agisse de légiférer ou de contrôler.
En tant que présidente de commission, j'ai pu constater un premier problème, qui n'est pas sans incidence sur l'expertise : les délais qui nous sont imposés pour légiférer. La longueur de la procédure s'explique par l'existence de nombreuses navettes. Si le nombre des navettes est réduit à la faveur de la réforme institutionnelle envisagée, il faudra revoir les délais, notamment ceux qui encadrent les dépôts d'amendements. Entre le dépôt d'un projet de loi et son examen en séance, nous avons un délai de six semaines, qui peut même être beaucoup plus bref encore en cas de procédure accélérée. Même si une procédure accélérée doit toujours être prévue pour faire face aux cas d'urgence, nous devrions prévoir un délai minimum de quatre semaines comme contrepartie à la réduction du nombre de navettes.
S'ils doivent avoir du temps, les députés et les commissions doivent aussi avoir des moyens pour mieux préparer les amendements. Toutes les commissions permanentes de l'Assemblée nationale ne sont pas dotées du même nombre d'administrateurs. Malgré une forte augmentation de ses compétences, la commission du développement durable ne bénéficie que de quatre administrateurs – des administratrices, en l'occurrence, puisqu'il y a beaucoup plus de femmes que d'hommes dans cette commission – et de deux adjoints. La commission des affaires économiques a deux administrateurs de plus, et je ne parle pas de la commission des lois qui, pour le coup, est plus encombrée que la nôtre. Il ne s'agit pas de mettre les commissions en concurrence, il s'agit de faire en sorte que chacune d'elles puisse avoir les moyens de travailler. Dans la mesure où les administrateurs jouent un rôle important auprès des rapporteurs dans le traitement des amendements, le point mérite d'être soulevé.
De même, les collaborateurs parlementaires sont trop peu nombreux pour pouvoir assister les députés de manière sérieuse, même si les groupes font de leur côté un travail d'expertise. Nous constatons un manque, notamment eu égard aux nombreuses pressions dont les députés font l'objet. Certains députés reprennent parfois des amendements tout prêts, qui sont souvent de qualité puisqu'ils émanent de lobbies divers et variés disposant de services juridiques étoffés et de moyens supérieurs aux nôtres. On ne peut pas reprocher à un député de reprendre tel quel un amendement qui va dans son sens, mais on ne peut pas non plus ignorer le risque inhérent à une telle pratique.
À l'évidence, il faut renforcer les moyens des commissions pour les rapporteurs, et le nombre de collaborateurs parlementaires pour les députés. Si la diminution envisagée du nombre de députés se fait à moyens constants, les collaborateurs parlementaires seront relativement plus nombreux. Pourquoi pas ? Une autre idée circule : faire en sorte que l'Assemblée nationale puisse utiliser des organismes extérieurs – on cite beaucoup France Stratégie, un peu moins la Cour des comptes – qui lui apporteraient une expertise complémentaire. C'est une excellente idée, mais son application soulèverait quelques questions. Comment utiliserait-on ces organismes extérieurs ? Comment les saisirait-on ? Faudrait-il prévoir des contingentements ?
S'agissant de la procédure législative, il faut évoquer un point essentiel qui dépasse la question de l'expertise tout en s'y rattachant : le droit d'amendement des députés. Sans entrer dans le fond du débat, il me semble que la réforme des institutions nous invite à soulever cette question, notamment eu égard à l'article 40 de la Constitution, cette fameuse épée de Damoclès qui nous pend au-dessus de la tête à chaque fois que nous essayons de faire de faire avancer les choses, et qui nous entrave beaucoup dans notre exercice de législateur.
Si une réforme de l'article 40 était envisagée, nous ne pourrions pas nous exonérer d'une réflexion sur la présentation des amendements susceptibles de tomber sous le coup de cette disposition. Actuellement, nous n'avons pas le droit de présenter un amendement qui crée une nouvelle charge ou qui augmente les dépenses. Si l'on nous accordait ce droit, il faudrait l'assortir d'une obligation d'études d'impact, en prévoyant le temps et les moyens nécessaires pour les réaliser. En fait, il faudrait que nous puissions les demander à des organismes rattachés à l'Assemblée nationale. Pour éviter d'engorger ces organismes, il faudrait sans doute limiter le nombre d'amendements.
Le paysage n'est pas encore complètement déblayé mais, à un moment où nous réfléchissons à la réforme des institutions et à la répartition des pouvoirs, nous ne devons pas rater l'occasion de nous interroger sur l'article 40. En cas de réforme de l'article 40, le sens des responsabilités nous pousserait à prévoir une limitation du nombre des amendements. En conséquence, il faudrait se poser la question d'une expertise permettant de crédibiliser les amendements, d'avoir donc un débat politique intéressant.
J'en viens au contrôle. Nous devons valoriser les pouvoirs de contrôle du Parlement en termes de communication et de moyens d'action. Les députés sont très demandeurs de missions d'information et de commissions d'enquête parlementaire. J'insiste aussi sur l'importance du contrôle de l'application des lois. Pour toutes ces missions, les députés doivent être assistés de manière sérieuse. Nos administrateurs font un travail remarquable, mais ils sont peu nombreux et ils ne sont pas formés à tous les sujets sur lesquels nous devons exercer un contrôle et assurer une expertise. Une assistance extérieure me paraît être absolument indispensable si nous voulons faire un travail crédible. Une fois encore, la question du contingentement se pose si nous ne voulons pas être obligés de demander à France Stratégie de multiplier ses personnels.