Intervention de Marlène Schiappa

Réunion du mardi 17 avril 2018 à 10h35
Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes :

Je remercie la délégation aux droits des femmes de me recevoir aujourd'hui afin de me permettre de vous présenter ce projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Je remercie également chacune et chacun d'entre vous pour votre engagement, car je sais que vous avez énormément travaillé pour préparer la présente audition et, surtout, le débat parlementaire qui va suivre.

Comme l'a annoncé le Président de la République le 25 novembre 2017 à l'occasion de la journée internationale pour l'élimination des violences envers les femmes, l'égalité entre les femmes et les hommes est la grande cause de ce quinquennat. Dans ce cadre, l'accent sera mis en tout premier lieu sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, dont les femmes représentent l'immense majorité des victimes.

Le projet de loi dont nous allons parler constitue l'un des outils pour réaliser notre ambition commune, consistant à mieux condamner les violences sexistes et sexuelles – en l'occurrence, en sanctionnant mieux les agresseurs. Nous avons assisté à un grand mouvement dit de « libération de la parole » et que j'appelle plutôt, pour ma part, « libération de l'écoute », sur lequel je ne reviendrai pas, puisque nous en avons déjà largement débattu. Il est salutaire qu'autour des mouvements #Metoo et #Balancetonporc, un grand nombre de femmes aient pu s'exprimer sur les violences qu'elles vivaient, ce qui a pu contribuer à ouvrir les yeux de la société sur l'ampleur de ce phénomène que sont les violences sexistes et sexuelles.

Si ce phénomène était salutaire, il n'était cependant qu'une première étape. Les parlementaires attachés à l'État de droit que vous êtes savent que Twitter et les réseaux sociaux ne sont pas des tribunaux et que seule la justice de la République a vocation à prononcer des condamnations. Malheureusement, il existe actuellement une relative impunité sur le plan judiciaire, ou du moins une insuffisance des sanctions prononcées à l'encontre des auteurs de violences sexistes et sexuelles, notamment parce que les textes ne permettent pas de prononcer suffisamment de condamnations. Cela crée un cercle vicieux, du fait du renforcement du sentiment de honte éprouvé par les femmes.

L'idée qui fonde ce projet de loi, c'est de donner tous les outils aux magistrats pour qu'ils puissent juger et mieux condamner les violences sexistes et sexuelles, afin qu'aucun acte de cette nature ne reste sans réponse face à la loi. Vous l'avez très justement souligné dans votre rapport d'information, la loi ne suffit pas à elle seule à lutter contre les violences sexistes et sexuelles, c'est pourquoi, en parallèle de ce projet de loi, le Gouvernement engage un plan ambitieux de lutte pour mieux détecter les violences sexistes et sexuelles et pour mieux accompagner les victimes, conformément aux engagements pris par le Président de la République.

Votre rapport contient de nombreuses recommandations extrêmement pertinentes, dont certaines font d'ailleurs déjà l'objet d'une application par le Gouvernement. Je pense à l'expérimentation de dix centres de soins du psychotraumatisme pour les victimes de violence, qui sera annoncé au cours de l'année ; au lancement prochain d'une plateforme de signalement en ligne destinée aux victimes de violences sexistes et sexuelles et gérée par les forces de l'ordre ; à l'ouverture d'une campagne de communication de vaste ampleur pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles – un budget de 4 millions a été dégagé par le Premier ministre –, au lancement d'un grand plan de formation initiale et continue des professionnels du secteur public, conformément à la circulaire publiée le 9 mars dernier. Par ailleurs, un certain nombre de plans contre les violences sexistes et sexuelles vont être engagés dans l'enseignement supérieur et la recherche, et au moins trois séances annuelles vont être consacrées à l'éducation à la sexualité dans les collèges et les lycées, comme l'a décidé le ministre de l'éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Je vois déjà un motif de satisfaction dans le fait qu'il y ait un accord entre le législateur et le Gouvernement, à la fois sur l'objectif et sur la méthode que nous allons pouvoir employer pour abaisser le seuil de tolérance de toute la société aux violences sexistes et sexuelles.

Le projet de loi que je présente est un texte équilibré, fruit d'une large et longue concertation. Les mesures qu'il contient s'inspirent des attentes exprimées par les citoyennes et les citoyens lors du Tour de France de l'égalité entre les femmes et les hommes, qui a constitué la plus grande consultation gouvernementale jamais organisée, avec plus de 55 000 participants recensés en métropole et en outre-mer. Il s'inspire aussi des travaux de nombreux experts, tels la mission de consensus sur la prescription applicable aux crimes sexuels commis sur mineurs, menée au cours de la précédente législature sous la présidence de Flavie Flament et du magistrat Jacques Calmettes, la mission pluridisciplinaire sur les infractions sexuelles à l'encontre des mineurs, installée par le Premier ministre en février, et différents rapports rendus par d'autres instances.

Bien sûr, ce projet s'inspire également des travaux des parlementaires, notamment du rapport de Mme la présidente Marie-Pierre Rixain et Mme la députée Sophie Auconie, au nom de la délégation aux droits des femmes, mais aussi de celui du groupe de travail constitué de cinq députés, consacré à la verbalisation du harcèlement de rue. Enfin, nous avons repris les idées qui avaient été formulées dans le cadre de certaines propositions de lois – parfois restées à l'état d'esquisse – sur ces sujets qui nous mobilisent.

Le projet de loi s'articule autour de quatre dispositions principales. C'est un texte assez court, qui vise à être le plus efficace et le plus clair possible – des qualités dont je vais m'efforcer de faire preuve dans ma présentation, même si certains de ses articles sont assez techniques et nécessiteront peut-être d'entrer dans des explications juridiques.

Tout d'abord, nous proposons d'allonger de dix ans le délai de prescription applicable aux crimes commis sur des mineurs, en le portant à trente ans à compter de la majorité de la victime, qui pourra donc porter plainte jusqu'à l'âge de quarante-huit ans. Cette évolution reprend les préconisations de la mission de consensus sur l'allongement des délais de prescription que j'évoquais tout à l'heure.

Elle vise aussi à répondre à deux cas de figure, le premier étant celui de l'amnésie traumatique, un phénomène encore méconnu par la science il y a quelques années et que les travaux menés par des chercheurs et des associations ont permis de mettre en évidence. Il consiste pour certaines victimes à refouler jusqu'à l'oublier, sous l'effet de la sidération provoquée par le traumatisme, le souvenir d'une agression subie. Il arrive que ce souvenir ne ressurgisse qu'à l'âge adulte, ce qui justifie d'allonger les délais de prescription afin de pouvoir judiciariser le crime se trouvant à son origine.

Le second cas est celui de la victime qui se souvient d'un viol subi quand elle était enfant, mais qu'elle n'a pas pu judiciariser dès son entrée dans l'âge adulte parce qu'elle n'en avait pas les moyens financiers ou psychologiques – c'est souvent le cas quand le violeur est quelqu'un de proche, un membre ou un ami de la famille, un éducateur ou quelqu'un faisant figure d'autorité. Plusieurs victimes nous ont fait part du fait qu'elles avaient d'abord dû construire leur vie professionnelle, sociale et familiale, avant de se sentir suffisamment armées pour affronter la judiciarisation de ce qu'elles avaient subi.

Pour toutes ces raisons, nous croyons que cette évolution est nécessaire et, au-delà des crimes sexuels à l'encontre des mineurs, nous avons voulu étendre l'allongement du délai de prescription à l'ensemble des crimes commis sur les mineurs.

Nous souhaitons également renforcer la pénalisation des abus sexuels commis sur des mineurs de quinze ans. Le texte renforce la portée symbolique, mais importante, de l'interdit des relations sexuelles entre un adulte et un mineur de quinze ans – autrement dit, un mineur de moins de quinze ans. Afin d'accroître de manière effective la protection des mineurs tout en évitant les traumatismes d'un trop long débat judiciaire au sujet de l'éventuel consentement de la victime – une notion qui ne figure pas dans le texte, ce qui me paraît correspondre à ce que vous souhaitez, madame la présidente –, elle se fonde sur deux propositions complémentaires.

Il s'agit d'abord de prendre en compte la vulnérabilité particulière des mineurs de quinze ans : grâce aux précisions apportées, nous pensons qu'il n'y aura plus d'ambiguïté sur les capacités de discernement ou de consentement du mineur de moins de quinze ans à un acte sexuel, puisque la contrainte morale ou la surprise pourront résulter de l'abus d'ignorance de la victime, qui ne dispose pas de la maturité et du discernement nécessaires pour consentir à ses actes – telle est la formulation que nous proposons dans ce projet de loi. Il est important de rappeler que cette disposition sera applicable dès la promulgation de la loi, y compris à des faits antérieurs, voire très anciens : les juges pourront donc s'en saisir pour toute affaire, y compris pour les affaires en cours, grâce à la formulation comprenant un article interprétatif, qui permettra que la mesure soit efficace dès sa promulgation.

Il s'agit ensuite de mieux sanctionner ce qu'on appelle en droit le délit d'atteinte sexuelle. Nous avons voulu renforcer ce délit, qui existe déjà, en doublant les peines encourues pour faire en sorte que toutes les situations trouvent une réponse judiciaire. Je sais qu'il y a des divergences quant à la formulation du mécanisme juridique à privilégier, mais je crois que toutes poursuivent un objectif similaire, qui est de renforcer la protection des mineurs de moins de quinze ans et de donner aux magistrats les outils pour juger les viols sur mineurs en les considérant comme ce qu'ils sont, à savoir des viols, qui doivent être jugés comme des actes gravissimes et inacceptables. Sur ce point, nous avons tous en tête des affaires qui ont récemment mis en lumière les faiblesses du droit positif.

Troisièmement, conformément à nos engagements, le projet de loi viendra aussi élargir la définition du harcèlement moral et sexuel, afin de permettre la répression des « raids numériques » – expression recouvrant les phénomènes de cyber-harcèlement en meute qui se développent sur les réseaux sociaux. Cette disposition facilitera la plainte des victimes et permettra aux juges de condamner l'ensemble des auteurs ayant participé à une attaque de manière concertée – proportionnellement, bien sûr, à la gravité de leurs agissements. Les auteurs d'un harcèlement de concert seront punis de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende et, en cas de circonstances aggravantes, encourront des peines pouvant aller jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende.

Il nous est apparu nécessaire de sanctionner plus efficacement le cyber-harcèlement en meute, un phénomène touchant fréquemment des journalistes et d'autres catégories de femmes publiques, mais aussi énormément de très jeunes femmes. Au cours du Tour de France de l'égalité entre les femmes et les hommes, dans tous les lycées, où qu'ils soient situés et quelle que soit la catégorie sociale des parents et des élèves – qu'il s'agisse du lycée français à Londres, de lycées en zone rurale ou en banlieue –, tous les jeunes sans exception nous ont parlé du cyber-harcèlement en meute comme d'un phénomène extrêmement traumatisant et auquel la loi n'apporte pas de réponse quand il résulte d'une action concertée : c'est donc un article de loi citoyen et visant à répondre à la demande formulée par ces jeunes, que nous proposons.

Enfin, la dernière disposition de ce projet, qui correspond à un engagement de campagne du Président de la République, vise à réprimer le harcèlement dit « de rue » en créant une nouvelle infraction que nous proposons d'appeler l'« outrage sexiste », afin de remédier à ce qui constitue actuellement l'un des angles morts de notre droit – et un sujet sur lequel les citoyennes et les citoyens se sont beaucoup exprimés au cours du Tour de France de l'égalité entre les femmes et les hommes. Il s'agit de réprimer l'ensemble des comportements à connotation sexiste ou sexuelle, jusqu'alors impunis parce qu'ils ne relèvent pas des incriminations existantes. L'idée est d'envoyer un signal fort aux agresseurs, d'inscrire dans la loi que l'outrage sexiste n'est pas une simple incivilité, mais une infraction attentatoire à la liberté des femmes partout et tout le temps.

Cette question est tout à fait liée aux autres questions d'égalité entre les femmes et les hommes. Comme je le répète souvent, le harcèlement de rue est directement lié à l'égalité professionnelle, parce qu'on ne peut pas, d'un côté, vouloir lutter contre l'autocensure des femmes dans le monde professionnel et, de l'autre, admettre que pendant leur trajet pour aller travailler, pour passer des examens ou des entretiens d'embauche, ou tout simplement pour sortir, les femmes puissent craindre pour leur intégrité physique. Il y a quelques semaines, une étude de l'IFOP et de la fondation Jean Jaurès a montré que huit jeunes femmes sur dix expriment un fort sentiment d'insécurité lorsqu'elles sont seules dans l'espace public le soir – un chiffre inacceptable. Il est important que les lois de la République interdisent d'intimider, de menacer, de suivre des femmes dans l'espace public, afin que cet espace public devienne un espace de sécurité plutôt qu'un espace d'intranquillité pour les femmes.

J'ai la ferme conviction que, par sa portée pédagogique, cette nouvelle infraction va permettre aux femmes d'avoir le droit de leur côté. Comme le Président de la République le dit souvent, la honte doit changer de camp : nous ne pouvons plus laisser des femmes baisser la tête lorsqu'elles sont suivies dans la rue. Nous recherchons bien évidemment l'efficacité de la mesure, c'est pourquoi les 10 000 policières et policiers de la sécurité du quotidien qui seront recrutés, comme l'a annoncé le ministre d'État, ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, seront également formés et équipés, notamment numériquement, pour repérer et verbaliser immédiatement l'outrage sexiste, selon un mécanisme correspondant aux préconisations faites par les députés du groupe de travail sur le harcèlement de rue.

Pour conclure, même si ce projet de loi se concentre sur la juste condamnation des violences sexistes et sexuelles, l'idée sous-jacente est bien évidemment de faire entrer ces thématiques dans le débat public, car c'est seulement lorsque nous aurons réussi à interpeller l'ensemble de la société française sur ces questions que nous pourrons abaisser son seuil de tolérance. Nous voulons donc agir à la fois avec la loi, l'action publique et la parole publique pour lutter contre ce que j'appelle la culture du viol, c'est-à-dire tout ce qui excuse, minimise, relativise, voire promeut les violences sexistes et sexuelles. Pour cela, la loi ne suffit pas à elle seule, mais elle doit tout prévoir pour assurer une meilleure condamnation des violences sexistes et sexuelles.

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