Intervention de Thierry Dallard

Réunion du mercredi 11 avril 2018 à 11h05
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Thierry Dallard :

Madame la présidente, je mesure l'honneur d'être aujourd'hui présent devant vous. Les questions que vous me posez sont complexes. Vu les difficultés que vous évoquez, pourquoi devrais-je m'intéresser au projet ? Est-ce vraiment raisonnable ?

Après vous avoir expliqué en quoi il consiste, je me présenterai, en vous indiquant pourquoi l'entreprise me semble malgré tout raisonnable. Je répondrai à vos questions avec modestie car, n'étant que candidat, je n'ai pris contact jusqu'à présent qu'avec quelques acteurs seulement. Il y a du moins déjà quelques idées qu'il me semble intéressant de vous présenter.

Je postule aux fonctions de président du directoire de la Société du Grand Paris pour trois raisons.

D'abord, je me suis occupé de maîtrise d'ouvrage pendant vingt-cinq ans et ce projet est, en ce domaine, emblématique. Le Premier ministre a annoncé que ce projet constitue l'opération du siècle. Devant vos collègues du Sénat, je disais hier que c'était du moins l'opération d'une génération. Car cette opération est marquée par son gigantisme. Si les deux cents kilomètres de ligne existante ont été réalisés entre 1900 et 1990, nous devons maintenant construire un réseau de même taille en beaucoup moins de temps. On mesure l'ampleur de la tâche.

Par comparaison, l'un des derniers grands chantiers de transport en Île-de-France fut le maillage des grandes lignes de RER, le RER A faisant en particulier se rejoindre le réseau est et le réseau ouest de transport de l'agglomération. Or ce chantier a pris quinze ans… Le RER repose d'ailleurs sur une approche en radiale des déplacements. Pour la première fois, le projet du Grand Paris s'éloigne de cette approche, ce qui rend le projet assez unique.

Je nuancerai toutefois sur ce point : la ville-État de Singapour, forte de quatre à cinq millions d'habitants et dont le produit intérieur brut est sensiblement inférieur à celui de la France, a déjà réalisé 200 kilomètres de lignes de métro automatiques. La ville de Riyad a le même projet, et compte le réaliser dans un délai similaire. Dans la compétition qui s'est ouverte au XXIe siècle entre les grandes métropoles mondiales, cette situation d'aménagement est donc appelée à se répéter. La question est de savoir si la France va assumer sa place en Europe, en conservant à sa capitale son statut de métropole mondiale. C'est l'un des enjeux de cette opération. Voilà pour le gigantisme.

J'en viens à la deuxième raison pour laquelle je m'intéresse au projet du Grand Paris. Les annonces du Premier ministre du 22 février 2018 ont confirmé l'intégralité du projet, en actant un recalage du calendrier prévu et de l'enveloppe financière. Je préfère en effet parler de recalage que de dérive. Une dérive ne se constate que lorsque les travaux sont déjà bien avancés et que beaucoup de choses ne se passent pas comme prévu. Mais n'en sommes-nous pas ici qu'au début des travaux ? Le recalage a consisté à mettre des chiffres sur les risques qui sont devant nous et qui ne sauraient être oubliés.

Cette opération vérité était courageuse et risquée. Une opération vérité peut en effet conduire à des situations de crise telle que celle que nous connaissons en ce moment. J'y reviendrai, en vous parlant des enjeux centraux que constituent la transparence et la confiance. Mais il vaut mieux « remettre le projet d'équerre » et partir sur de bonnes bases que d'entretenir un doute sur la faisabilité du projet.

Lorsque je dis que les deux cents kilomètres actuels de réseau ont été construits en un siècle, alors que nous n'avons devant nous que quinze ans pour réaliser la même longueur de voies, vous voyez que la situation est assez différente. Je prends comme point de départ de ce décompte temporel de quinze ans l'acte de naissance du projet, à savoir la déclaration d'utilité publique (DUP) des lignes du Grand Paris Express (GPE) qui a eu lieu en 2014 et en 2015. Si nous visons une réalisation, pour les lignes les plus longues à construire, au plus tard en 2030, nous avons donc quinze ans devant nous, soit une période d'études et de travaux plus que ramassée. Le projet a en tout cas été confirmé par le Gouvernement. Dans le cadre du quinquennat, c'est la troisième séquence qui confirme le GPE dans sa globalité. Je partage aussi cette ambition – d'où ma candidature.

Enfin, j'en viens à la troisième raison pour laquelle je m'intéresse au projet du Grand Paris. Nous parlons souvent de milliards investis, de souterrains, de gares, de kilomètres construits… Mais le GPE est plus qu'un projet technique. Comme ancien fonctionnaire du ministère de l'équipement, je sais que tout projet de transport est un acte d'aménagement. L'adage s'applique assurément au GPE. L'un des enjeux est de relier les bassins d'emploi entre eux. C'est source de richesse pour les habitants, car c'est source de créations d'emplois ; c'est aussi source de richesse pour les entreprises. Mais il s'agit aussi de relier les bassins d'emploi aux bassins de vie et de favoriser et développer l'offre de logement qui fait souvent défaut dans notre grande métropole.

En tant qu'acte politique d'aménagement, le GPE présente en sus un élément nouveau. Il ne s'agit pas, en effet, de créer de nouvelle radiale, engendrant une extension géographique de la métropole, partant un étalement urbain consommateur de ressources foncières ; cela créerait une demande toujours nouvelle de transports pour définir de nouveaux espaces. Au contraire, le maître-mot du GPE est de reconstruire la ville sur elle-même et de procéder à sa densification. Voilà la force du projet. Le même mouvement s'observe ou s'observera demain partout en France, en Europe et dans le monde.

Voilà les trois facteurs qui m'ont donc poussé à présenter ma candidature : ce projet emblématique est le projet d'une génération ; le projet a été confirmé au plus haut niveau de l'État, loin de faire l'objet d'une réduction ou d'une remise en cause qu'il me resterait à gérer tant bien que mal ; le vrai projet sous-jacent concerne la préservation des ressources naturelles et la lutte contre le défi climatique auxquelles nous apportons une réponse sous la forme de la densification urbaine, en rupture avec la solution du développement urbain.

J'ai vingt-cinq ans d'expérience professionnelle : onze ans dans le secteur privé et douze ans dans le secteur public. Entre ces deux expériences, j'ai travaillé pour les autoroutes du Sud de la France en 2003 et 2004, au moment où le gouvernement de M. Lionel Jospin en avait privatisé 50 % et avant que le gouvernement de M. Dominique de Villepin n'en privatise les 50 % restants.

Depuis 2007, je travaille pour Méridiam, alors une start-up, qui a connu depuis cette date beaucoup de succès dans le développement des infrastructures. Nous avons commencé en travaillant à dix personnes sur un projet de tunnel en Irlande ; aujourd'hui, nous avons réalisé en douze ans plus de 50 projets, pour 60 milliards d'euros d'investissements, et l'entreprise compte 200 personnes. Dans cette entreprise, j'ai appris à exercer une maîtrise d'ouvrage avec les outils du secteur privé, en m'adaptant aux contraintes de délais et de coûts où l'entreprise joue sa survie même. Ces outils sont différents de ceux du secteur public, mais ils reposent aussi sur des hommes et des femmes dont il faut savoir mobiliser le savoir-faire.

Mon expérience dans le secteur public s'est déroulée pendant dix ans au ministère de l'équipement, dans des directions départementales et au centre d'études techniques de ce ministère, lorsqu'il existait encore. Là, j'ai exercé des métiers de maîtrise d'oeuvre et de maîtrise d'ouvrage, aussi bien dans des projets de transport routier que dans des projets d'extension de métros ou de tramways gérés par des collectivités locales. De cette expérience, j'ai retiré qu'un projet, fût-il technique, est toujours un acte d'aménagement qui requiert la gestion de multiples interfaces. Un projet est conçu pour un usage et pour un environnement donnés ; il est en prise directe avec des acteurs. La différence entre deux projets est due avant tout aux différences entre les territoires et les acteurs qui les portent.

Durant ma période de travail au ministère, en administration centrale, j'ai dû mettre en oeuvre la loi du 13 août 2004 relative à la décentralisation, en pilotant la réorganisation de tous les services routiers du ministère pour créer des services de maîtrise d'ouvrage. Vu les diverses étapes de ma carrière, le fil rouge qui caractérise mon développement personnel, mon engagement personnel et le savoir-faire que j'ai acquis sont donc ceux de la maîtrise d'ouvrage.

Comment vois-je aujourd'hui les enjeux du GPE, ses limites et ses difficultés ?

Commençons par l'écosystème et ses acteurs. Le premier d'entre eux est le personnel de la SGP. Comme tout maître d'ouvrage, la SGP se trouve en première ligne, au coeur des critiques émises. Elle a pourtant assis l'existence même des projets en un temps bref. Alors que le projet n'a été évoqué qu'à partir de 2010, les DUP qui cristallisent le consensus atteint par mes trois prédécesseurs datent de 2015. Vu le nombre de communes concernées et la complexité du territoire, c'est un travail impressionnant.

Nous en sommes donc maintenant à la maîtrise d'ouvrage opérationnelle et à la mise en oeuvre d'une feuille de route. Mes prédécesseurs ont fait ce qu'ils ont pu. Mais le plafond d'emplois de l'opérateur, fixé à 200 personnes, leur imposait une forte contrainte. Le rapport de la Cour des comptes que vous citiez, madame la présidente, établit une comparaison avec Crossrail qui, pour un projet plus ou moins analogue, a employé 700 personnes.

Dans l'entreprise que je quitte, nous gérions la construction de la ligne de chemins de fer Tours-Bordeaux, soit un projet de 6 milliards d'euros d'investissements, avec 200 personnes, si nous comptons toutes les personnes employées à la concertation, à la gestion des interfaces, à la maîtrise du foncier ou à la gestion des risques... Or il s'agissait de deux cents kilomètres à construire, pour ainsi dire, en pleine campagne. Dans un tissu aussi dense que l'Île-de-France, cela semble difficile à reproduire avec 200 personnes seulement, d'autant que le volume des investissements est beaucoup plus important. Il faut donc rendre les équipes de la SGP à leur fonction première, les rassurer et les renforcer.

Le deuxième enjeu du projet relève de l'aménagement du territoire. Le métro est un outil technique, mais ce que verront nos enfants et petits-enfants, ce sont les gares et les interfaces, non les tunnels et les tubes à construire. Seront-elles bien intégrées dans la chaîne de mobilité ? Offriront-elles l'accès aux bus, aux trams, aux vélos en libre-service, voire, demain, aux voitures automatiques ? La chaîne de mobilité ne présentera-t-elle aucun maillon faible ?

Les collectivités locales ont des projets en matière économique et en matière de logement : dans la presse, il a beaucoup été question de la confiance à reconstruire entre les grands élus du territoire. Mais il faut également rétablir la confiance avec les acteurs économiques, qui ont des projets en lien avec les aménagements, dont la partie émergée sera constituée par les 68 gares prévues. Ils ont besoin de savoir comment s'engager.

C'est le troisième enjeu du projet. Un chantier de cette taille ne saurait se réaliser sans mobiliser les entreprises et les ingénieurs de travaux publics. Avant même ma candidature, j'ai entendu combien les entreprises trouvent que les délais sont tendus pour répondre à des appels d'offre et trouver des personnels compétents. Il faut le prendre en compte.

Le quatrième et dernier enjeu est celui du financement. Le Premier ministre a confié à M. Gilles Carrez, que je dois voir prochainement, une mission à ce sujet. Ce serait une lapalissade que de dire que l'argent est le nerf de la guerre. Le projet a ceci d'unique qu'il est financé par la fiscalité du territoire, à savoir par ses entreprises et ainsi, en dernier ressort, par les habitants concernés. C'est une donnée importante à préserver.

Voici, enfin, pourquoi je m'engage à titre personnel. Après vingt-cinq ans de carrière et à l'âge de bientôt cinquante-deux ans, au mois de juin, j'ai vu la croissance exponentielle de mon entreprise depuis onze ans. Fallait-il poursuivre la réalisation de ce défi ou me tourner au contraire vers un nouveau défi pour les années qui viennent ? C'est ce que j'ai choisi de faire. Ce projet est un vrai défi, mais je ne l'aborde pas comme un retour dans la sphère publique que j'avais quittée il y a onze ans. Il ne s'agit pas pour moi de passer deux ou trois ans dans ces fonctions, avant d'en prendre d'autres. Si je m'attelle au projet, c'est que le défi me semble pouvoir être relevé, même s'il s'en faut de beaucoup que toutes les solutions soient déjà identifiées. Le défi vaut en tout cas la peine d'être relevé.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.