Madame la présidente, madame la rapporteure pour avis, mesdames et messieurs les députés, merci, tout d'abord, de m'avoir convié à cet échange sur les articles 55 et 21 dont l'examen au fond a été délégué à votre commission. Ce projet de loi ne porte pas que sur le logement, il traite aussi de problématiques d'aménagement du territoire, par exemple la revitalisation de ce qu'on appelle les villes moyennes, avec les opérations de revitalisation de territoire, qui sont l'objet de l'article 54. Ce projet de loi porte aussi sur le déploiement du numérique. Comment accélérer aujourd'hui le déploiement de la fibre, donc des infrastructures permettant d'apporter internet sur l'ensemble du territoire, et des infrastructures de téléphonie mobile ?
Ce projet de loi s'appuie sur une très large concertation. Nous sommes très attachés à la concertation. En l'occurrence, avec près de neuf mois de consultations, nous avons déployé une énergie significative. Nous avons d'abord consulté les professionnels, dont nous avons reçu plus de 2 600 propositions, juste à la fin de l'été 2017. Ensuite, ce fut une consultation des citoyens, avec près de 25 000 remontées d'information. Puis eut lieu cet exercice singulier, par sa forme et sur le fond, de la conférence de consensus, proposée par le Président du Sénat. Les commissions des affaires économiques des deux assemblées y ont grandement contribué, mais également beaucoup d'autres parlementaires, de professionnels, d'associations, d'aménageurs, de promoteurs. En l'espace de deux mois, ils ont très largement étudié ce projet de loi puisque nous avions pris le parti d'en rendre le texte public avant même qu'il ne soit présenté en conseil des ministres, pour que cette conférence de consensus puisse le compléter, l'étayer, le discuter, le contredire, avant même son examen par les différentes commissions parlementaires, dont la vôtre.
Une attention particulière a été accordée aux questions environnementales, avec les associations de collectivités, avec la Fondation Abbé Pierre, avec le Comité de liaison des énergies renouvelables (CLER), avec l'initiative « Rénovons ! », avec l'association Solidaires pour l'habitat (SOLiHA), ô combien impliquée en matière d'intermédiation locative ou de rénovation de l'habitat, avec tous ces acteurs majeurs de la lutte contre la précarité énergétique. Vous le savez, l'engagement de mettre fin aux « passoires thermiques » était un engagement de campagne fort du Président de la République. Leur nombre est évalué à plus de 1,5 million – je parle là de celles dont la rénovation pose des difficultés financières à nos concitoyens. Vous avez ainsi voté, dans le cadre de la loi de finances pour l'année 2018, le renforcement, notamment, du budget de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), pour que chaque année plus de 75 000 logements soient rénovés, ou celui des financements accordés via la Caisse des dépôts et consignations (CDC), pour aider à la rénovation thermique des bâtiments dans le logement social.
Le constat était largement partagé : au lieu de « problèmes de logement », en France, il faudrait plutôt parler de « très graves problèmes de logement ». Il faut le dire, il faut en être conscient, il ne faut pas avoir peur de partir du réel : un Français sur cinq a froid chez lui l'hiver, et plusieurs millions de Français ont du mal à payer leur loyer. Certains se félicitent du fait que près de 500 000 permis de construire aient été délivrés en 2017. C'est effectivement un record depuis dix ans, mais songez que c'est le même niveau qu'au début des années quatre-vingt, alors qu'entre-temps la population française s'est accrue de 12 millions de personnes et que, la société évoluant, les familles dites « monoparentales » se sont multipliées. Il faut toujours partir de ce constat pour appréhender notre démarche.
Vous le constatez, le projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dit « ÉLAN », est dense. Il comporte de très nombreuses mesures, mais il n'est pas pour autant un projet de loi « bavard ». Il ne s'agit pas d'introduire ici ou là des ajustements techniques, de faire les « fonds de tiroirs administratifs », comme on dit : c'est un texte qui ose aborder un très grand nombre de sujets.
Aujourd'hui, nous parlerons surtout d'environnement, d'énergie et d'aménagement du territoire, mais le projet de loi comporte aussi des mesures très fortes visant à faciliter l'acte de construction, à rendre la construction moins chère, à revoir un certain nombre de normes. Songez aussi que nous proposons des mesures inédites pour transformer des bureaux en logements, ainsi qu'une très ambitieuse réforme des bailleurs sociaux, qui excède très largement les débats économiques que nous avons eus lors de l'examen de la dernière loi de finances. Fruit d'un très long travail constructif mené avec – j'y insiste – tous les bailleurs sociaux sur la rénovation du modèle, elle permet des regroupements, elle laisse plus de liberté aux bailleurs sociaux. Par exemple, le titre II de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée a conduit beaucoup de bailleurs sociaux à privilégier ce qu'on appelle la vente en état futur d'achèvement (VEFA) plutôt que la construction. Ceux d'entre vous, nombreux, dont je connais l'implication en matière de logement social savent à quel point cet élément est important. Le métier d'un bailleur social est effectivement d'être constructeur, au plus proche du terrain, et, de ce point de vue, nous apportons des solutions concrètes, de même que nous en apportons à ceux qui en ont le plus besoin. Je pense à la politique du « logement d'abord », à la lutte contre l'insalubrité ou à la lutte contre les marchands de sommeil, aujourd'hui un véritable fléau, mais, demain, si vous adoptez ce projet de loi, ils seront considérés comme de véritables trafiquants de drogue et il sera possible d'utiliser l'ensemble des armes fournies par le code général des impôts.
Ce projet de loi vise à libérer les énergies et faciliter l'acte de construction, avec des procédures allégées et raccourcies, mais avec une philosophie constante, dont procède également le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance, par lequel nous réécrivons complètement le code de la construction et de l'habitation. Celui-ci ne fait pas que fixer des objectifs, il est aussi prescripteur, il indique quel chemin doit être suivi pour les atteindre. Notre philosophie consiste plutôt à être intransigeants sur les objectifs, comme la qualité du bâti, et sur les normes, qui visent elles-mêmes à définir des objectifs, tout en laissant aux professionnels, aux élus locaux, aux aménageurs et aux promoteurs le soin de définir les chemins pour les atteindre. Cette philosophie imprègne profondément ce nouveau projet de loi.
Deuxième élément : ce projet de loi n'introduit pas de nouvelles obligations – ou il n'en introduit que très peu. Certes, l'État pourra demain réquisitionner des bureaux qui seraient durablement vacants pour y faire de l'hébergement d'urgence. Nous assumons cette nouvelle obligation, mais il n'y en a pas d'autres. Nous ne nous livrons pas à cette surenchère normative qui, d'année en année, a alourdi le code de la construction et de l'habitation et le code de l'urbanisme. Cela fait bien longtemps que nous n'avons pas eu, en ces matières, de projet de loi qui ne participe à cette surenchère normative. Chaque fois, nous essayons plutôt de traiter les problèmes à la racine et de comprendre où sont les blocages pour les lever.
Dans le même temps, ce projet de loi vise vraiment à protéger les plus fragiles tout en rompant avec l'opposition des uns aux autres qui caractérise depuis belle lurette les projets de loi relatifs au logement. Très souvent, les projets de loi présentés par des ministres de droite avantageaient les propriétaires, tandis que ceux présentés par des ministres de gauche étaient favorables aux locataires ; je caricature délibérément, mais c'est ainsi que les choses étaient perçues. Ce projet de loi vise, pour sa part, à aligner les intérêts des uns et des autres et, en sortant de ces oppositions stériles entre locataires, propriétaires, aménageurs et élus locaux dont souffre le secteur du logement, à remettre les choses en marche.
L'examen au fond de deux articles est délégué à la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire.
L'article 55 porte sur les économies d'énergie dans les bâtiments tertiaires – vous savez que c'est un très important gisement d'économies d'énergie. Beaucoup peut être fait, et des dispositions ont déjà été prises, dans le cadre de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite « loi Grenelle II » ou dans de très nombreux décrets, notamment des décrets pris l'an dernier. Nous assumons dans ce projet de loi une ambition environnementale forte. En revanche, nous essayons d'avoir une approche pragmatique. Le Conseil d'État avait notamment qualifié de disproportionnées certaines mesures prises par décret, c'est-à-dire que les objectifs n'étaient pas réalistes au regard des délais laissés aux différents acteurs. Nous corrigeons cela et nous procédons avec la philosophie que j'ai précédemment exposée : nous fixons des objectifs très clairs, mais nous laissons aux propriétaires et aux dépositaires de ces bâtiments tertiaires le soin de définir quel chemin suivre pour atteindre ces objectifs.
L'article 21 traite, pour sa part, de l'individualisation des frais de chauffage, sujet très sensible car cette individualisation a un impact direct en termes de coût. Nous avons pu observer que la directive sur l'efficacité énergétique de 2012 avait été surtransposée. Nous y mettons bon ordre, faisant en sorte qu'elle soit pleinement appliquée, de manière ambitieuse, mais sans que cela entraîne, par exemple, un surinvestissement de 600 millions d'euros pour le seul secteur du logement social et un rapport coûts-bénéfices défavorable. Lorsque les coûts sont supérieurs aux bénéfices, il ne faut pas s'acharner. Tenons-nous en à ce que prévoit la directive, et évitons toute surtransposition. De même, favorisons l'ensemble des technologies permettant de limiter les émissions polluantes et de favoriser les économies d'énergie.
Les articles 4 et 5 visent à simplifier les procédures de participation du public et de mise en oeuvre des projets d'aménagement, pour les rendre plus souples, plus « agiles », et adaptées aux projets. Vous avez déjà eu l'occasion de prendre position sur ces questions lorsque vous avez examiné la loi du 26 mars 2018 relative à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques. Ce sont des éléments dont nous avions déjà débattu.
L'article 54 a pour objet la création d'un contrat intégrateur unique, l'opération de revitalisation de territoire. L'objectif est très simple : aujourd'hui, il faut une dynamique de revitalisation d'un certain nombre de territoires. Les parents pauvres des politiques d'aménagement de ces dernières années ont souvent été les villes secondaires, les villes moyennes. Nous avons donc entrepris, avec M. Jacques Mézard, une opération importante : le plan national « Action coeur de ville », pour lequel 222 villes ont été sélectionnées, dont il s'agit de revitaliser le centre. Je le sais, ce sont également des centres d'intérêt communs, des sujets sur lesquels vous vous battez, certains d'entre vous depuis fort longtemps. L'idée est donc de vous donner les outils pour vous permettre, sur le terrain, de participer à ces revitalisations.
Je vous remercie encore une fois de votre invitation. Vous trouverez toujours en M. Jacques Mézard et moi-même des interlocuteurs gouvernementaux disponibles pour échanger et envisager les moyens d'améliorer le texte. Ce débat nous est nécessaire. Au cours des dix derniers mois, je crois que nous avons tous montré cette volonté d'ouverture et ce souci d'améliorer le texte, dans le respect d'une même philosophie : ne pas ajouter de nouvelles normes, ne pas opposer les uns aux autres, mais lever des verrous pour relancer la dynamique à la fois du logement et de l'aménagement du territoire.