Intervention de Julien Denormandie

Réunion du mardi 17 avril 2018 à 17h25
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Julien Denormandie, secrétaire d'État chargé de la cohésion des territoires :

Monsieur Vincent Thiébaut, l'objectif est bien de prendre le décret d'application de l'article 55 dans l'année qui suivra la promulgation de la loi. Il permettra notamment de fixer un référentiel en termes d'émissions permettant de déterminer si un bâtiment donné atteint ou non l'objectif fixé.

Monsieur Martial Saddier, vous avez raison : ce texte est très long. D'ailleurs, nous verrons si nous pouvons faire de la politique autrement. J'entends par là qu'un texte législatif comporte bien plus d'articles à l'issue de son examen que lors de son dépôt. Nous verrons de quels efforts nous sommes capables, mais je prends bonne note de votre souhait.

Cependant, si ce projet de loi est si long, ce n'est pas parce que nous serions incapables de nous concentrer sur des points essentiels : c'est parce que nous abordons énormément de sujets, de la réforme du logement social au numérique et à l'aménagement du territoire, en passant par la lutte contre l'habitat indigne, mais également par les PPA, que je vous remercie d'avoir mentionnés – pour moi, c'est un point essentiel de ce projet de loi, un marqueur fort, que vous avez sans doute identifié comme tel, puisque vous l'avez évoqué. Si certains articles ne vous semblent pas pertinents, si vous estimez qu'il vaut mieux les supprimer parce qu'ils ne servent à rien, je suis à votre disposition pour en discuter. En tout cas, chaque fois que nous avons abordé un sujet, c'est toujours avec la volonté de le traiter, et de le faire à la racine, parce que c'est un problème qui nous est remonté à la suite de ces dix mois de concertation.

Vous avez fait part de cinq sujets d'inquiétude.

Vous constatez que le projet de loi ne traite pas du foncier. C'est tout simplement parce que vous avez déjà voté un dispositif en la matière dans le dernier projet de loi de finances. Il fallait remettre les choses en ordre, parce le système en vigueur était aberrant : les intérêts de ceux qui cherchaient un logement, et les intérêts des détenteurs de foncier n'étaient pas concordants. Le système fiscal incitait ces derniers à conserver leur terrain le plus longtemps possible afin d'être moins taxés sur la plus-value – en le gardant vingt-deux ans, on pouvait même ne plus rien payer. L'objectif était de lutter contre la spéculation foncière. Dont acte ! Il n'en demeure pas moins que cela a eu pour effet de complètement figer le système puisque le propriétaire d'un terrain avait intérêt à le conserver.

Désormais, la réforme est passée : tout terrain vendu avant la fin de l'année 2020 pourra donner lieu à un abattement sur la taxation de la plus-value immobilière de 100 % si l'on y construit du logement social, de 85 % si l'on y construit du logement intermédiaire et de 70 % si l'on y construit du logement privé.

S'agissant de la simplification des normes, nous avons voulu aller le plus rapidement possible. La simplification, on en parle depuis vingt ans. Lorsque vous prenez le portefeuille du logement, c'est la première chose que l'on vous suggère : « La solution, c'est de simplifier les normes ! ». Pourtant, d'illustres auteurs ont déjà travaillé sur la simplification des normes. Je pense au dernier rapport de MM. Thierry Mandon et Guillaume Poitrinal, qui n'est pas si ancien.

Aujourd'hui, les normes sont régies par le code de la construction et de l'habitation, document prescripteur de près de 2 300 pages. Ce code est le symbole de l'économie de rattrapage. Il vise à rattraper les choses ; il n'est jamais passé à l'innovation. Par exemple, lorsque l'insonorisation est traitée, les objectifs sont exposés – il faut atteindre telle norme –, mais également les moyens : le code explique ce qu'il faut faire. Ce n'est pas tenable pour notre économie, ce qui signifie que ce n'est pas du tout bénéfique pour les Français. En effet, ceux qui connaissent les technologies, ceux qui savent comment faire pour atteindre les objectifs fixés, ce ne sont ni les fonctionnaires de l'administration, ni les membres du Gouvernement, ni les parlementaires, avec tout le respect que j'ai pour les uns et les autres. Ce sont les professionnels, les aménageurs, les entreprises. Ceux qui sont sur le terrain au quotidien. Notre rôle reste de fixer les objectifs et d'être intransigeants en la matière. Ensuite, il revient aux professionnels de les atteindre.

Cette question est déjà traitée dans le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance, dit « ESSOC », qui habilite le Gouvernement à procéder par ordonnances en la matière. La réécriture en cours du code de la construction et de l'habitation prend douze à dix-huit mois et, en attendant la modification du code, le projet de loi ESSOC prévoit également un « permis de faire » qui privilégie l'objectif par rapport au chemin. Selon la même philosophie, le projet de loi ELAN comporte le « permis d'innovation » qui s'applique aux projets d'innovation.

Le projet de loi traite de l'accession à la propriété dans le monde HLM. Nous aurons à coup sûr de grands débats dans l'hémicycle sur le sujet car il y a, d'un côté, ceux qui y croient et, de l'autre, ceux qui sont réticents. Personnellement, j'y crois profondément tout en considérant qu'il existe des spécificités territoriales : il ne faut en aucun cas imposer à quiconque de faire de l'accession sociale à la propriété. En revanche, il faut donner les outils aux bailleurs qui souhaitent le faire. Jusqu'à présent, certaines mesures n'ont pas été prises en la matière. Elles le sont par le présent texte.

S'agissant de la qualité de l'air, vous avez raison. Il s'agit de l'un des points sur lesquels il nous faut travailler avant la séance publique.

Vous avez évoqué une « ponction sans précédent sur les bailleurs sociaux ». C'est de bonne guerre. Mais il faut vraiment voir les choses autrement et aussi depuis le terrain. Pour ma part, je me rends dans les régions, les unes après les autres, pour rencontrer nos équipes et la Caisse des dépôts et consignations. J'étais encore récemment dans les Hauts-de-France avec certains d'entre vous où j'ai réuni environ soixante-dix bailleurs sociaux. Il faut comprendre qu'il y a plus de quarante ans, à l'époque de M. Raymond Barre, on a choisi de privilégier l'aide à la personne plutôt que l'aide à la construction. Cela nous a rendus dépendant de l'aide à la personne, c'est-à-dire des aides personnalisées au logement (APL) qui représentent aujourd'hui 18 milliards d'euros, soit la moitié du budget de l'éducation nationale. Moi, je crois profondément à l'inversion de cette tendance : il faut davantage aider à la construction et à la rénovation, et se « désensibiliser » des subventions.

Je rappelle que les APL ne vont pas directement au locataire d'un bailleur social ; elles sont versées à ce dernier. Autrement dit, nous finançons collectivement un bailleur social « à l'entrée », par l'intermédiaire de la CDC et des collectivités, et « à la sortie », avec les APL et les subventions. Nous proposons une « désensibilisation » à la sortie – c'est la « ponction » dont vous parlez –, parce qu'à l'entrée, nous mettons en place des mesures qui n'ont jamais été prises.

J'ai passé dix ans à Bercy, où mon travail consistait à aider les entreprises en difficulté, comme STX ou Arc International, et à trouver des solutions pour qu'elles se stabilisent sur tous les territoires. J'allais en permanence voir certains de mes collègues pour leur demander comment utiliser l'incroyable « poche » du fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations. On me répondait invariablement : « Ce n'est pas possible : c'est uniquement pour financer le logement ! ». Vous imaginez bien que la première chose que j'ai faite en prenant mes fonctions a été d'appeler la Caisse des dépôts et consignations pour leur dire : « Depuis dix ans, vous m'expliquez que cet argent est réservé au logement. Comment faisons-nous ? »

On ne dit pas suffisamment que les bailleurs sociaux n'ont pas bénéficié des taux bas depuis cinq ans. Ils n'ont pas profité de la politique de quantitative easing de la Banque centrale européenne (BCE) et ils ont dû se financer auprès de la Caisse des dépôts et consignations à des taux très largement supérieurs à ceux que leurs voisins européens pouvaient obtenir grâce à d'autres modes de financement.

Nous voulons donc améliorer les conditions de financement des bailleurs sociaux. Pour cela, nous faisons 30 milliards d'euros d'allongement de dette, 4 milliards d'euros de prêts à taux fixe – jusqu'à présent, les bailleurs sociaux empruntaient à taux variable –, nous faisons aussi 3 milliards d'euros de prêts de trésorerie, 1 milliard d'euros d'investissements, 600 millions d'euros plus 3 milliards d'euros pour les rénovations énergétiques. Nous stabilisons le taux du livret A pendant deux ans, et nous revoyons sa formule, ce qui constitue un gain massif pour les bailleurs sociaux.

Ma conviction la plus profonde, c'est qu'il faut les aider à rénover et à construire. Pendant la discussion du projet de loi de finances, certains d'entre eux venaient me voir pour m'expliquer qu'ils étaient favorables à la réforme, à condition qu'on leur laisse plus de liberté et qu'on brise les carcans – comme ceux de la loi de 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée, dite « loi MOP ». Alors que la construction avait été figée, nous ouvrons le débat du financement.

Tout le monde nous reproche une « ponction », mais c'est parce que personne ne parle des contreparties obtenues par les bailleurs sociaux. Cette réforme est juste car elle est la seule qui permette de se désensibiliser des subventions et de la pratique du coup de rabot annuel. Je l'assume : le rabot de 5 euros de l'été dernier n'était pas une bonne solution. Mais c'est ce qui se passait tous les ans. Je sais d'ailleurs que les députés détestent voter ces rabots : ce ne sont jamais de bonnes politiques.

Notre réforme est la seule solution pour qu'il n'y ait pas un perdant parmi les allocataires des APL. En donnant plus à la construction, et en nous désensibilisant de la subvention, nous remettons les choses en marche et nous réformons sans augmenter le taux d'effort des allocataires. J'insiste sur ce dernier point, car lors des débats parlementaires, de nombreux amendements de gauche, de droite ou du centre visaient à introduire un taux d'effort des bénéficiaires des APL. Je m'y suis toujours opposé parce que ce n'est pas une mesure de justice sociale.

Monsieur Bruno Duvergé, vous avez raison concernant les communes rurales. Le projet de loi traite de la réhabilitation, du logement insalubre, de l'accès au numérique, qui est objectivement l'un des principaux enjeux que doivent relever les communes rurales, et le diable se cache souvent dans les détails. Prenons l'exemple de la VEFA que j'évoquais tout à l'heure. Le fait de trouver des mesures qui replacent l'acte de construction au centre de l'activité des bailleurs sociaux permettra d'être beaucoup moins dépendant de la VEFA. D'après les chiffres que l'on me donne, elle représente aujourd'hui près de 40 % des opérations, alors que ce pourcentage était encore minime il y a quelques années. Or non seulement la VEFA éloigne le bailleur social de l'acte de construction, mais elle n'existe pas dans tous les territoires, en particulier dans les territoires les plus ruraux. Notre réforme est donc aussi bénéfique à ces territoires.

Le projet de loi ne traite pas la question des « dents creuses ». Le sujet est complexe et important : il faut que la commission aborde le sujet et que nous le traitions en séance publique.

Madame Mathilde Panot, je crois que nous ne partageons pas du tout la même vision. J'ai une particularité : je suis ingénieur agronome, j'ai fait des études de biologie au cours desquelles on apprend que, dans la nature, l'entropie est positive. Autrement dit, si vous ne faites rien, la complexité et le désordre s'imposent naturellement. Ce désordre est naturel, c'est chimique, c'est biologique. Vous évoquiez les énergies que nous libérions qui mèneraient au désordre ; croyez-moi, la nature se charge déjà toute seule de cela. C'est une réalité, et c'est comme cela que le monde fonctionne.

Au contraire, notre rôle, dans ce monde naturel, consiste à faire en sorte d'aligner les intérêts des uns et des autres, et à remettre de l'ordre. Le problème c'est l'entropie positive, et mon travail consiste à ce qu'en dépit de cela, les choses aillent dans le bon sens.

Peut-être le faisons-nous mal, peut-être ne choisissons-nous pas le bon angle, mais, comme le constatait M. Martial Saddier, une chose est sûre : la situation actuelle n'est pas du tout satisfaisante. On peut toujours affirmer que tout va bien pour la construction ou le logement social et que les chiffres sont parfaits, mais ce n'est pas la réalité.

Vous me dites qu'en matière d'affaiblissement des normes, nous sommes dans la continuité. Mais qu'on fait les gouvernements successifs qui nous ont précédés en matière de normes ? Tous les ans, ils ont fait voter des textes de simplification. Le problème de fond avec les normes, ce n'est pas la simplification. Il est même étonnant qu'il reste des normes à simplifier. Aujourd'hui, lorsque vous construisez un pavillon chauffé à l'électricité, on vous demande de construire une cheminée pour le cas où vous décideriez de repasser au chauffage au bois. C'est hallucinant ! Le problème de fond, c'est l'ancrage du code de la construction et de l'habitation dans une économie de rattrapage. Vous pouvez vouloir rester dans cette économie. Moi, j'assume vouloir passer à une économie de l'innovation. Pourquoi penser que cela reviendrait à dégrader les acquis, les normes ou la qualité ? Est-ce que le fait d'écrire et de recevoir des messages électroniques et non des courriers a modifié la qualité de l'information ?

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