Intervention de Jean-Bernard Lévy

Réunion du mercredi 11 avril 2018 à 10h00
Commission des affaires économiques

Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d'Électricité de France (EDF) :

Je suis très heureux de pouvoir évoquer avec vous la situation d'EDF. Mon exposé liminaire sera court afin de laisser du temps au débat : je ferai un point rapide de la situation d'EDF et reviendrai sur certains des sujets que vous avez brièvement évoqués, messieurs les présidents. Je serai ensuite disponible pour répondre à vos questions.

Je suis fier de diriger cette grande entreprise, qui a récemment fêté ses soixante-dix ans. Elle a beaucoup apporté à notre pays et continue de le faire. En dehors de l'hydroélectricité, notre pays ne dispose d'aucune ressource naturelle pour produire de l'électricité. Néanmoins, nous avons réussi à construire un réseau et un système électriques qui bénéficient aux consommateurs et aux industriels. Notre niveau de sécurité d'approvisionnement est remarquable pour un pays sans ressources naturelles !

Nous sommes même exportateurs nets d'électricité, notre contribution positive à la balance commerciale étant évaluée en moyenne chaque année à 2 milliards d'euros – ce n'est pas négligeable. Les consommateurs français profitent par ailleurs d'un prix de l'électricité extrêmement compétitif : le prix du kilowattheure (kWh) payé par un ménage français est nettement inférieur à celui de tous les pays voisins – c'est par exemple à peine plus de la moitié celui d'un ménage allemand.

Enfin, notre empreinte carbone est parmi les plus faibles au monde – car le secteur de l'électricité n'y contribue pratiquement pas, notamment grâce au nucléaire – et la plus faible de tous les grands pays, alors que nous sommes la cinquième économie mondiale. Si le transport, le logement et d'autres activités humaines émettent des gaz à effet de serre, ce n'est pas le cas de l'électricité française.

En conséquence, les fondations d'EDF pour aborder les transformations impliquées par la transition énergétique sont extrêmement solides. Mais nous devons répondre simultanément à plusieurs phénomènes : tout d'abord, l'urgence climatique dont j'ai déjà parlé. Il nous faut continuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre : l'électricité peut jouer un rôle majeur en la matière, car elle se substitue facilement à de très nombreux types de consommation d'énergies fossiles – gaz, pétrole et ses dérivés.

Nous bénéficions d'un deuxième phénomène : le développement des énergies renouvelables. Elles sont nées il y a une dizaine d'années et leur coût a fortement baissé, ce qui les rend compétitives dans certaines circonstances.

Le troisième phénomène est également d'une importance cruciale : avec les nouvelles technologies – en particulier numériques –, nos consommateurs usagers, auparavant en bout de la chaîne de production et de distribution, sont devenus des clients actifs. Ils ont accès à des systèmes numériques pour s'informer et optimiser leur consommation. C'est vrai pour les collectivités territoriales, les entreprises ou les particuliers. Progressivement, tous ont la possibilité de devenir producteur d'électricité, donc, dans certaines conditions, de satisfaire leurs besoins, de lisser leur consommation ou de stocker une partie de leur production pour leur consommation future. C'est d'autant plus vrai que, grâce aux véhicules électriques, le prix des batteries va beaucoup baisser.

CAP 2030 vise à répondre à ces trois enjeux – les enjeux climatiques, le prix des énergies renouvelables et la décentralisation de la production d'énergie –, en s'appuyant sur trois piliers.

Premier pilier : le client. Nous évoluons dans un milieu concurrentiel depuis plus de dix ans pour l'ensemble de nos prestations. En conséquence, nous offrons des choix multiples à nos clients : la possibilité de bénéficier d'innovations et de solutions décentralisées, mais également de différents tarifs. La plupart des Français sont encore très attachés au tarif réglementé, mais nous proposons également « Vert électrique », une offre de marché, ou la station connectée Sowee, qui nous permet d'entrer dans la maison. De même, « Mon Soleil & Moi » est leader du marché français de l'autoconsommation individuelle et collective à partir de panneaux solaires en toiture. De nombreuses solutions décentralisées sont adaptées pour les collectivités – à base de biomasse ou de géothermie.

Le deuxième pilier est le rééquilibrage de notre bouquet de production. Ce n'est pas uniquement le cas en France, mais dans le monde entier. Vous l'avez rappelé, nous préparons la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie. EDF fournira avant fin avril une contribution très complète au débat public – ce qu'on appelle un cahier d'acteurs. Quelle est notre conviction ? Il est indispensable que nous conservions notre avance en termes d'émissions de gaz carbonique. Nous n'allons pas recarboner notre bouquet électrique, alors que c'est un atout pour la France dans l'actuelle situation d'urgence climatique. Nous devons donc préserver un socle de production nucléaire performant. Sous réserve du feu vert que l'Autorité de sûreté nucléaire doit donner pour chaque réacteur, c'est l'objectif du grand carénage : porter la durée de vie du parc de quarante à cinquante ans, et peut-être ultérieurement, pour une partie de ce parc, à soixante ans.

Parallèlement, nous voulons accélérer le développement des énergies renouvelables en France. En 2017, selon les chiffres fournis par RTE, elles représentent 18 % de la production totale d'électricité, dont 10 % viennent de l'hydraulique, le reste provenant de l'éolien, un peu du solaire et des bioénergies. Au rythme de ces dernières années, il faudrait environ une quarantaine d'années pour atteindre 35 ou 40 % d'energies renouvelables dans notre bouquet électrique ! Ce rythme n'est ni supportable, ni cohérent avec la volonté du Gouvernement, qui tient à augmenter plus rapidement la part du renouvelable et à faire baisser la part du nucléaire à 50 %.

C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de prendre les choses en main de manière volontariste et avons lancé à la fin de l'année dernière le Plan solaire : d'ici à 2035, nous allons essayer de construire des équipements qui permettront à EDF de produire 30 gigawatts (GW) d'énergie solaire en France, contre 7 GW aujourd'hui. Cela nous permettra de concilier la baisse attendue du poids du nucléaire dans la production d'électricité avec le maintien de notre compétitivité électrique et de nos performances en matière de décarbonation. Il ne faudrait pas que les Français paient leur électricité plus cher ou que nous nous remettions à émettre davantage de gaz à effet de serre !

Le troisième pilier de CAP 2030 est l'international : nous allons chercher hors d'Europe davantage de croissance et d'innovation. Si on se projette dans le temps long – c'est indispensable dans notre secteur industriel –, l'économie et la démographie européennes ne suffiront plus : il faut donc déployer le groupe EDF dans d'autres pays, à l'instar de très nombreux groupes français. Nous sommes d'ores et déjà particulièrement présents en Chine et aux États-Unis, mais également au Brésil et au Moyen-Orient.

Cette transformation s'accompagne d'un important effort interne pour mobiliser les salariés autour de ces nouveaux enjeux et nécessite que nous soyons très attentifs au dialogue social. C'est fondamental : nous recherchons un consensus interne autour des grands enjeux de l'entreprise, mais également de l'évolution des modes de travail, afin de tenir compte des nouvelles technologies.

Depuis janvier 2016, nous avons signé vingt-quatre accords sociaux dans l'entreprise, par exemple sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, l'intégration des personnes en situation de handicap – il s'agissait en fait l'approfondissement d'un accord préexistant –, le télétravail ou pour un nouvel accord d'intéressement. Le dialogue social est le complément naturel d'une transformation culturelle et entrepreneuriale réussie.

Pour finir, quelle est notre situation financière ? Il y a deux ans, nous étions très inquiets car les prix de l'électricité de gros – notre principal marché directeur – avaient considérablement baissé. Au même moment, l'entreprise connaissait un fort endettement, combiné à des charges d'exploitation élevées. Afin de ne pas aboutir à une impasse financière, au premier semestre 2016, nous avons travaillé étroitement avec le Gouvernement pour surmonter cette difficulté. Je peux le dire aujourd'hui devant le président Woerth et les députés de la commission des finances, particulièrement soucieux de la bonne gestion et de la valeur du patrimoine de l'État : c'est un succès. Nous avons engagé un programme de réduction importante de nos charges opérationnelles – d'un milliard d'euros – de façon à ne plus dépenser chaque année plus que l'année précédente. Ce programme se déroule bien ; nous l'avons donc récemment porté à 1,1 milliard. En 2019, toutes choses égales par ailleurs, nos dépenses seront inférieures d'un milliard cent millions à celles de 2015.

Nous avons également engagé un programme de cession d'actifs, de manière à mieux répondre aux objectifs de CAP 2030 et notamment à concentrer un maximum de moyens sur les énergies renouvelables. Pour autant, les charges importantes de maintenance du parc nucléaire et le grand carénage – dont l'intérêt économique est certain – pèsent sur nos budgets pendant les dix ans d'intervention sur le parc actuel – de 2014 à 2025. Afin de rééquilibrer nos investissements, nous avons prévu de désinvestir environ 10 milliards d'euros. Fin 2017, nous avions d'ores et déjà désinvesti 8 milliards d'euros. Fin 2020 – échéance de ce plan de désinvestissement –, nous aurons vraisemblablement dépassé les 10 milliards.

Enfin, avec un très fort soutien de l'État, nous avons renforcé nos fonds propres et notre bilan. D'une part, en mars 2017, nous avons bénéficié d'une augmentation de capital de 4 milliards, l'État ayant souscrit à hauteur de 3 milliards. D'autre part, en assemblée générale et pour trois exercices successifs, l'État actionnaire majoritaire a demandé le paiement de ses dividendes en actions. L'entreprise ne déboursant pas de numéraire, elle a ainsi pu renforcer ses fonds propres. Après le dernier paiement en juin prochain, nous les aurons renforcés de 4 milliards. Ainsi, au total durant cette période, 8 milliards de fonds propres supplémentaires sont venus consolider le bilan de l'entreprise.

Cela nous a permis d'enrayer la dangereuse glissade de la notation d'EDF par les agences : en 2015 et 2016, nous avons subi trois dégradations successives. Cette consolidation de notre notation est extrêmement importante du fait de notre haut niveau d'endettement. EDF a réduit sa dette, mais elle atteint encore 30 à 35 milliards… Nous devons donc régulièrement aller sur les marchés financiers pour la renouveler. Il ne fallait pas qu'elle nous coûte de plus en plus cher, car nous n'aurions alors plus pu assurer nos missions. Dans ce contexte, le renforcement de notre bilan était vital.

Nous poursuivrons la réduction de nos charges opérationnelles et la cession de nos actifs en 2018 et 2019. Nous avons déjà cédé 49 % de RTE à un consortium formé par la Caisse des dépôts et consignations et la Caisse nationale de prévoyance. La cession d'autres actifs est en bonne voie.

La signature d'EDF reste extrêmement recherchée sur les marchés financiers. Le groupe a été une nouvelle fois bénéficiaire en 2017 et, contrairement à la plupart de ses concurrents en Europe, n'a pas connu d'exercice déficitaire depuis longtemps. L'entreprise est en mesure de servir un dividende à ses actionnaires, notamment à l'État, et d'aborder les défis de la transition énergétique sur des bases solides et confortées. Sa stratégie est équilibrée : les Français bénéficient de ses acquis, construits pendant des décennies pour fournir une électricité décarbonée et compétitive ; parallèlement, EDF s'engage résolument dans les défis de la transition énergétique, en matière tant d'énergies renouvelables que de décentralisation des systèmes énergétiques.

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