Intervention de Éric Woerth

Réunion du mercredi 11 avril 2018 à 10h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, président :

Mme Brunet a parlé du site de Cordemais et M. Mattei, du fait que nous avions encore des moyens de production à base de charbon. Ces moyens nous servent quelques milliers d'heures par an et nous sont bien utiles en cas de vague de froid. Le Gouvernement a fait savoir qu'il souhaitait, dans la PPE qui sera rendue publique prochainement, qu'il soit mis fin à la production d'électricité à partir de charbon. Nous devons nous préparer à ce que cette décision soit confirmée et mise en application, ce qui aura un impact social majeur. Nous avons déjà fermé des sites. Nous avions de nombreux sites à base de fioul : il n'en reste plus du tout. Nous avons également fermé il y a quelques années plusieurs sites à base de charbon. Néanmoins, chaque fois qu'un site ferme, nous devons être exemplaires dans la redéfinition de sa vocation industrielle et dans l'accompagnement social que nous offrons à nos salariés et aux salariés des entreprises dont une partie importante de l'activité se situe sur le site. Nous devons travailler avec les collectivités territoriales pour voir quelle est la meilleure utilisation possible du foncier. Je confirme à Mme Brunet que nous travaillons en matière de recherche-développement pour trouver une alternative qu'il faudra que le Gouvernement analyse lorsque nous serons prêts à la présenter. Le projet Ecocombust, auquel vous avez fait allusion, nous permettrait, avec quelques centaines d'heures d'utilisation, de brûler dans la chaudière un mélange de charbon et de déchets verts provenant des filières locales de l'industrie agricole, de l'agroalimentaire ou du secteur forestier. C'est un projet dans lequel nous avons investi de l'argent et beaucoup d'espoir. Nous espérons donc qu'il se concrétisera. Nous espérons aussi qu'un prix du carbone finira par être fixé en France mais aussi à l'échelle européenne – ce qui répond à ceux qui m'ont demandé de faire un bilan de la politique européenne de l'énergie. Ce prix permettrait d'aligner objectifs climatiques et énergétiques. Quand on compare le mix énergétique de la France à celui de certains de ses voisins, on s'aperçoit que le non-alignement de ces objectifs crée des distorsions importantes. Que le projet Ecocombust trouve un aboutissement permettrait de maintenir une activité industrielle sur le site de Cordemais.

Nous espérons aussi que RTE s'exprimera prochainement sur les questions de black-out, évoquées notamment par M. Mattei. Quand il fait très froid, que faire s'il n'est plus possible d'utiliser les centrales à charbon – en particulier en Bretagne, le site de Cordemais étant le principal site d'alimentation en électricité de cette région ? Depuis longtemps déjà, ce n'est plus EDF mais RTE qui est chargé de l'équilibre entre les besoins de nos compatriotes et la production disponible. Je vous invite donc à transmettre au régulateur vos inquiétudes quant à ce qui se passerait en l'absence totale de production électrique à Cordemais, un jour d'hiver où il ferait très froid. J'imagine qu'il faudrait que nos compatriotes bretons bénéficient quand même, grâce à RTE, du même service que les autres habitants du territoire.

Cela m'amène à répondre à M. Pellois qu'il faut peut-être fixer des limites au développement de l'autoconsommation. Vous l'avez dit, la promotion de l'autoconsommation est importante. M. Castellani a aussi parlé de la promotion du cofinancement des énergies renouvelables comme d'une manière de les faire mieux accepter. Mais quand on se met à faire de l'autoconsommation dans un périmètre qui dépasse la maison individuelle pour devenir celui d'une collectivité, cette dernière doit se poser des questions techniques mais aussi des questions économiques. Tout le système électrique français est fondé sur un principe d'égalité de traitement entre tous les consommateurs placés dans des situations identiques, indépendamment de l'endroit du territoire où ils se trouvent. C'est ce qu'on appelle la péréquation géographique. Le développement de l'autoconsommation collective soulève des questions à cet égard. Je crois savoir que la Commission de régulation de l'énergie, que préside M. Carenco, s'est saisie du problème et est en train de lancer une réflexion publique quant à la manière de concilier péréquation géographique et développement rapide de l'autoproduction collective. Nous partageons donc vos préoccupations.

Concernant les tarifs que nous offrons aux industriels, nous cherchons à préserver la fameuse boîte à outils créée par la loi de transition énergétique pour la croissance verte de façon à pouvoir offrir à nos clients industriels les prix de l'électricité les plus bas possible. Cela fait l'objet d'un examen particulier de la part de la Commission européenne qui vérifie que le mécanisme institué ne constitue pas une aide d'État. Néanmoins, sachez qu'EDF est très attentive aux demandes spécifiques de ses clients électro-intensifs. Je rencontre moi-même de temps en temps les plus importants d'entre eux. Nous souhaitons que les contrats de long terme qui ont été conclus, dont certains vont sans doute être renégociés dans les deux années qui viennent, puissent être maintenus, à condition que les parties l'entendent ainsi.

M. Vigier m'a interrogé à propos du coût de l'EPR et des risques de Hinkley Point. L'EPR de Flamanville est un prototype dont les coûts, de 10 milliards d'euros, ne sont pas représentatifs de ce que va être l'EPR. Les Chinois, les Indiens et les autres ne nous achèteront pas d'EPR si nous n'arrivons pas à en faire baisser les coûts. Nous avons donc engagé depuis plusieurs années au sein du groupe EDF, en particulier avec nos collègues de Framatome, des travaux ayant pour objectif de définir un produit que nous appelons « EPR 2 ». Ce dernier gardera les mêmes atouts que l'EPR en matière de puissance – ce qui permet d'en faire baisser les coûts – et de sûreté. Certains réacteurs nucléaires dans le monde ne nous semblent pas apporter les mêmes garanties de sûreté que celles, très exigeantes, qui sont imposées à juste titre par l'Autorité de sûreté française. Nous avons pour objectif qu'à terme, le coût de l'EPR baisse.

En réalité, la concurrence se fait avec le gaz. Nous allons faire le maximum dans le secteur éolien mais, vous l'avez souligné, l'acceptation des éoliennes à terre n'est pas formidable en France. Nous allons installer un maximum d'éoliennes en mer mais on voit bien les hésitations actuelles du Gouvernement qui devrait débloquer le dossier des premières éoliennes en mer alors que nous avons d'ores et déjà pris un retard considérable par rapport aux pays voisins et que nous essayons de susciter une filière industrielle française dans le cadre des premiers projets. Si ces projets ne sont pas débloqués, il n'y aura pas de filière industrielle ni d'emplois en France et nous irons simplement acheter sur étagère à l'étranger. Nous ferons aussi le maximum dans le secteur éolien mais, vous le savez, le rayonnement du soleil en France n'est disponible qu'environ 15 % du temps. Nous devrons donc compter sur des énergies pilotables pendant encore longtemps. Si nous voulons que l'EPR soit une bonne alternative aux centrales au gaz, il ne faut pas qu'il le soit uniquement pour un motif climatique. Nous ne voulons pas émettre à nouveau davantage de gaz à effet de serre et voulons donc pour cela du nucléaire mais nous voulons aussi que le prix au mégawattheure d'un réacteur nucléaire ne soit pas plus cher que le prix d'un mégawattheure produit à partir de gaz – ce prix incluant une taxe carbone. Cela nous conduit en France, compte tenu de certains coûts et des nombreuses taxes locales et nationales applicables au secteur de l'énergie, à un coût situé entre 60 et 70 euros le mégawattheure, pour des EPR qui seraient fabriqués en moyenne série. Nous aurions en effet plusieurs chantiers en parallèle en France – un chantier qui débute, un chantier en milieu de construction et un chantier qui se termine – de façon à bénéficier d'économies d'échelle et d'un maintien des compétences.

M. Cinieri a évoqué la fermeture de Fessenheim. Je voudrais lui dire avec regret que c'est la loi votée ici même qui impose que l'ouverture de la production d'électricité à Flamanville s'accompagne de la fermeture d'une capacité équivalente de production électrique en France et que le site de Fessenheim ayant été désigné dès 2012, EDF se doit d'appliquer cette loi et de fermer le site de Fessenheim à l'horizon de la fin de cette année ou du début de l'année prochaine. Il y aura à ce moment-là une longue période au cours de laquelle les installations refroidiront et où nous préparerons le démantèlement de la centrale.

Monsieur Laqhila, nous avons provisionné dans nos comptes ce qu'il faut pour gérer les déchets nucléaires après leur utilisation et pour démanteler nos centrales nucléaires. Cela a été validé non seulement par nos commissaires aux comptes mais aussi par la Cour des comptes, qui a produit un rapport récent sur le sujet, et par un audit indépendant lancé par le Gouvernement précédent, du temps où Mme Royal était la ministre chargée de ce secteur. Établi par une société privée, il a donné lieu à des résultats rendus publics sur internet dans un rapport d'une centaine de pages. Que les comptes établis par EDF aient été confirmés à la fois par nos commissaires aux comptes, par la Cour des comptes et par cet audit montre que les montants provisionnés sont suffisants. Je dirais même qu'à la fin de l'année dernière, ils étaient plus que suffisants puisque nous avions provisionné 108,5 % des besoins, parmi nos actifs dédiés. Nous avons donc une petite avance sur ce plan. Plus généralement, je voudrais vous affirmer avec beaucoup de force que les comptes d'EDF sont sincères.

S'agissant du chantier de Hinkley Point, nous avons négocié avec le gouvernement britannique et obtenu de lui un prix garanti sur les trente-cinq premières années de la vie de la centrale, c'est-à-dire de 2026 à 2061 pour la première tranche et de 2027 à 2062 pour la seconde. Cela a été approuvé par le gouvernement britannique et par la Commission européenne. Évidemment, ce prix a également été approuvé par le conseil d'administration d'EDF, compte tenu de la rentabilité de cet investissement, extrêmement élevée puisque située entre 8 et 9 % par an après impôt sur 70 ans. En échange de cette garantie sur nos recettes, nous supportons le risque de construction que nous partageons avec notre partenaire chinois. En effet, les deux réacteurs de Hinkley Point sont détenus aux deux tiers par EDF et à un tiers par notre partenaire chinois. Sur les devis qui sont les nôtres et qui permettent d'affirmer une rentabilité située autour de 8,5 % par an, nous avons prévu des marges pour aléa. Un chantier de cette ampleur doit normalement occasionner certaines dépenses imprévues. Cela étant dit, le chantier de Hinkley Point se déroule bien et l'ensemble des jalons prévus ont été respectés au jour près depuis maintenant une vingtaine de mois que le chantier a commencé.

En ce qui concerne les batteries et les véhicules électriques, nous pensons devoir jouer un rôle important dans le monde de la mobilité électrique. Nous le faisons déjà par le biais de notre filiale Sodetrel, qui est présente dans de nombreuses régions du pays et qui accompagne les collectivités territoriales se dotant de systèmes de bornes de recharge. Nous avons en effet gagné l'appel d'offres de la Commission européenne pour le projet Corri-Door. À ma connaissance, les 200 unités de Corri-Door sont installées et fonctionnent bien aujourd'hui. Le projet a été mené à son terme. Nous avons à nous préparer pour le moment où les besoins des véhicules sur le réseau électrique seront importants. Cela concerne notre filiale Enedis qui va devoir gérer un appel au réseau susceptible d'être très important à certains moments de la journée. Cela nous amène aussi à réfléchir à ce que sera la consommation d'électricité lorsqu'il y aura dix, vingt, trente millions de véhicules électriques en France alors qu'il y en a aujourd'hui 130 000 à 150 000. Il faut avoir en tête que ce chiffre va être multiplié par 100 ou par 200. Il faudra déterminer comment gérer les pics de charge dans le système électrique tant local que national. C'est à RTE d'en faire la prévision. Il faut que nous soyons prudents et que nous gardions des marges de manoeuvre pour faire en sorte qu'il y ait bien à chaque instant de l'électricité pour alimenter les véhicules électriques.

À l'inverse, il est possible d'optimiser les plans de charge des véhicules électriques avec des algorithmes. Il y aura probablement des différenciations plus fortes dans le coût de l'électricité selon les heures de la journée de façon à éviter que tout le monde recharge son véhicule à son retour chez soi à dix-huit ou dix-neuf heures Il faut que nous mettions au contraire en place des systèmes de lissage dans le temps de cet appel au réseau de façon que les Français qui, pour la plupart, ne réutiliseront pas leur véhicule avant de repartir travailler le lendemain, puissent recharger leur véhicule électrique à temps et même que certains d'entre eux puissent offrir de la capacité électrique inutilisée en début de soirée – du véhicule vers le réseau ou vehicle to grid, « V2G » en anglais. Nous sommes très actifs en ce domaine et avons lancé des solutions innovantes.

Nous examinons aussi cette question à l'échelle européenne. En effet, dans un rare moment favorable au développement de la politique industrielle, la Commission européenne a décidé de lancer, sous l'égide du vice-président Šefčovič, une alliance européenne en matière de stockage de l'électricité et en matière de batteries. Nous y travaillons et nos laboratoires de recherche & développement (R&D) – en particulier celui des Renardières – sont très proches de nombreux constructeurs automobiles et fabricants de batteries.

Cela fait maintenant trois ans que le transfert de propriété, d'Alstom à General Electric, des turbines développées et fabriquées en France – en particulier de la turbine Arabelle dont nous avons besoin pour l'EPR – a été fait. Je vous répéterai ce que j'ai eu l'occasion de dire lors de mon audition par la commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires il y a quelques mois : nous n'avons aucune inquiétude ni aucune indication que le changement de propriétaire de l'usine de Belfort et du savoir-faire qui va avec ait créé la moindre perturbation dans la disponibilité des compétences. Je vous en donnerai un simple exemple : nous travaillons étroitement avec General Electric à nos projets de vente de réacteurs EPR à l'Inde qui incluront la turbine Arabelle. Cela se passe aussi bien que du temps où Alstom était propriétaire de ces technologies.

Enfin, je voudrais dire à Mme Battistel qu'en effet, l'application du principe de concurrence à des régimes concessifs dans le secteur de l'hydroélectricité, alors qu'il peut ne pas y avoir de concurrence dans les pays ayant adopté d'autres systèmes que la concession, devrait interpeller le Gouvernement français. Ne devrait-on pas avoir une vision plus radicale de la manière de traiter le sujet ? Ce n'est pas à EDF de traiter de cette question mais évidemment, je ne saurai vous dire ici que nous voyons le moindre intérêt à mettre en concurrence un morceau de rivière.

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