C'est un honneur aujourd'hui de prendre la parole en qualité de rapporteur au fond du projet de loi relatif à l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et à une alimentation saine et durable.
Ce texte fait suite aux États généraux de l'agriculture et de l'alimentation qui ont été un engagement central du programme agricole du président de la République. Ces EGA se sont déroulés du 20 juillet jusqu'au mois de décembre 2017. Pendant quatre mois, ils ont eu l'immense mérite de remettre autour d'une même table des personnes qui ne se parlaient plus.
Ce texte constitue la traduction législative des trois défis évoqués par le Premier ministre, M. Édouard Philippe, dans son discours de clôture des EGA le 21 décembre 2017 et inscrits dans la feuille de route de la politique alimentaire du Gouvernement.
Ces trois défis sont : tout d'abord, faire en sorte que chacun puisse vivre dignement et sereinement du fruit de son travail ; ensuite, rétablir la confiance entre les distributeurs et les producteurs ; enfin, répondre aux nouvelles attentes des consommateurs.
Le premier défi, c'est faire en sorte que chacun puisse vivre dignement de son travail. Face à une production atomisée, l'industrie agro-alimentaire et la grande distribution ne cessent de se concentrer, nous en avons encore eu l'exemple la semaine dernière avec l'annonce du rapprochement des groupes Casino, Auchan et Système U. À cela s'ajoute une forte volatilité de la valeur des produits agricoles et par conséquent des revenus des producteurs.
À cet égard, l'action du législateur – notre mission, mes chers collègues – , c'est de permettre de construire un équilibre innovant, de la fourche à la fourchette, entre les intérêts des différents acteurs, qu'ils soient producteurs, maillons intermédiaires ou distributeurs, à l'aune d'une meilleure équité dans le partage de la valeur.
La politique agricole commune a été pensée au départ comme une aide compensatoire pour les producteurs afin de mettre à la disposition des consommateurs des produits de qualité à des prix raisonnables. Mais ces primes ne permettent plus de compenser et les agriculteurs vendent constamment à perte.
Le deuxième défi, c'est rétablir la confiance. Rétablir la confiance entre les différents acteurs de la chaine car aujourd'hui, l'agriculture française est en crise : cette crise structurelle touche toutes les filières depuis plusieurs années. Nous devons tous avoir à l'esprit que la loi ne pourra pas tout, la confiance ne se décrète pas et c'est au monde agricole qu'il revient de saisir les opportunités de cette réforme et de s'organiser pour prendre en main collectivement et en bonne intelligence son destin. Ce que nous devons faire, c'est lui donner les outils nécessaires pour cela.
Le troisième défi, c'est répondre aux nouvelles attentes des consommateurs. Aujourd'hui, les consommateurs demandent que les producteurs soient mieux rémunérés. Leurs demandes se sont aussi accrues pour des produits de meilleure qualité, dont le mode de production respecte le bien-être animal et préserve l'environnement. Ainsi la refondation de notre modèle agricole et alimentaire apparaît comme un des vecteurs privilégiés de la transition écologique.
Lors de son discours prononcé à Rungis le 11 octobre 2017, le Président de la République a donné les premières grandes mesures qui découleraient de ces EGA. Il a souhaité responsabiliser les filières en leur demandant de bâtir des plans de filières adaptés aux nouvelles attentes sociétales.
Transformer l'essai, traduire la dynamique des EGA dans la loi, c'est l'objectif du présent projet de loi et cela a été au coeur des travaux que nous avons menés depuis neuf mois.
D'abord pendant les EGA, au sein même de notre commission des affaires économiques, nous avons organisé deux cycles d'auditions avec plus de trente-cinq acteurs de tous les secteurs du monde agro-alimentaire. Nous sommes allés sur le marché de Rungis à la rencontre des producteurs qui négocient chaque matin leurs viandes, leurs poissons ou leurs fruits et légumes. Puis nous nous sommes rendus sur le salon de l'agriculture pour rencontrer les interprofessions. Je tenais particulièrement à saluer notre travail, à tous. Des députés se sont saisis de l'opportunité d'aller sur le terrain de nos agriculteurs pour prendre la mesure de la situation. Je tenais à souligner ici cette démarche collective.
Dans le cadre de mon travail de rapporteur, nous avons organisé à l'Assemblée nationale plus de 50 auditions et nous en avons délocalisé une partie sur le salon international de l'agriculture où, pendant 6 jours, nous avons tenu 21 rendez-vous de travail. Nous avons écouté tous les acteurs, toutes les positions.
Ingénieur agronome de formation et agriculteur, j'ai fait le choix de continuer à travailler sur mon exploitation agricole mais c'est bien au titre d'élu de la Nation que j'ai mené tout mon travail de rapporteur de ce projet loi et que je m'adresse à vous aujourd'hui.
Je sais combien c'est important de reconnecter avec la réalité. Il était donc fondamental d'aller parler, en direct avec tous les acteurs concernés pour reconnecter les politiques agricoles et alimentaires avec le terrain.
Rattacher ce projet de loi à la base, c'est une chose, mais mon rôle de rapporteur, c'est aussi prendre de la hauteur et rattacher ce texte au cadre européen. Nous nous sommes donc rendu à Bruxelles pour interroger la Commission européenne et les négociateurs du texte afin de nous assurer de la compatibilité du projet de loi avec la législation européenne. Il est essentiel de saisir pleinement les possibilités nouvelles introduites par l'adoption du règlement « Omnibus » le 13 décembre 2017. Je tiens à saluer ici le travail du député européen Michel Dantin. En effet, ce texte constitue un tournant dans l'organisation économique du secteur et dans l'adaptation du droit de la concurrence. Ce projet de loi sera ainsi le premier texte au sein de l'Union européenne qui se base directement sur ces nouvelles dispositions et il sera, je l'espère, le premier d'un mouvement général de réformes dans les autres pays européens.
Aujourd'hui, ce sont nous, les législateurs, qui avons entre nos mains le pouvoir d'ouvrir la voie à une transformation globale du modèle d'organisation du secteur agricole et, par-delà, à l'émergence d'une agriculture au service de l'homme et de son environnement.
Le projet de loi du Gouvernement est ainsi marqué par la volonté politique issue des États généraux de l'agriculture et de l'alimentation de satisfaire les attentes des deux extrémités de la chaîne alimentaire : le producteur et le consommateur.
Le titre Ier du projet de loi s'attache à rééquilibrer les relations commerciales au moyen d'un renforcement de la place et du rôle des producteurs dans la négociation du prix de leurs produits agricoles. Pour être réellement efficaces, ces mesures de structuration de l'offre et de renforcement du pouvoir de négociation des producteurs doivent être couplées à un encadrement accru des relations contractuelles entre les industriels et des distributeurs. Ce sera le sens des modifications apportées au code de commerce dont la technicité appelle à accepter la demande d'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnances.
Nous ne pourrons pas arriver à rééquilibrer les relations commerciales sans le renforcement du rôle du médiateur. C'est pourquoi ce texte vise à faciliter le recours à la médiation en cas de litige entre les parties. Je proposerai dans ce sens des amendements qui prévoient d'étendre ses compétences comme l'introduction d'un dispositif de « name and shame ».
Favoriser la conclusion d'un accord-cadre en évitant que la partie la plus puissante soit en mesure d'imposer des clauses abusives et permettre à tous de faire valoir ses droits dans les négociations commerciales, tel est notre objectif.
Le titre II du projet de loi ouvre la voie à la construction d'une véritable éthique de l'alimentation. Cette éthique passe par la poursuite de la lutte contre le gaspillage alimentaire. Elle passe aussi par l'introduction d'une nouvelle obligation pour les services de restauration collective publique concernant la composition des repas proposés par leurs établissements.
Ceux-ci devront ainsi comporter une part significative de produits sous signes officiels de qualité, comme l'agriculture biologique, mais ils devront aussi tenir compte de la proximité de la production. Le présent projet de loi s'attache donc à associer les acteurs publics à la construction d'une offre alimentaire respectueuse du vivant.
Renforcer la protection du vivant, cela se traduit également par une meilleure prise en compte du bien-être animal. Le projet de loi étend ainsi aux associations de protection des animaux la possibilité de se constituer partie civile à un procès pour des délits relevant du code rural et de la pêche maritime. Cette valorisation du rôle des associations s'accompagne de la création d'un nouveau délit visant à réprimer les mauvais traitements envers les animaux commis dans les transports et dans les abattoirs.
Renforcer la protection du vivant, cela passe aussi par une réduction drastique de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques. La séparation des activités de conseil et de vente de ces produits constitue la pierre angulaire de ce dispositif et s'inscrit en cohérence avec le droit européen dans ce domaine.
Ce projet de loi est fidèle à l'esprit de la majorité parce que c'est un projet pragmatique pour réconcilier les différents maillons de la filière tout en protégeant les plus faibles, qui sont les producteurs. C'est aussi un projet de loi pragmatique car il vise à réconcilier les pratiques agricoles et le respect de l'environnement.
Les Français sont fiers de leurs agriculteurs ; la qualité de notre production et de notre alimentation est enviée dans de nombreux pays. Transformons l'essai en inscrivant dans la loi des mesures concrètes pour améliorer la qualité de notre alimentation afin qu'elle soit encore davantage respectueuse du travail des agriculteurs et de l'environnement.
Ce projet de loi est un projet collectif, directement issu des États généraux de l'agriculture et de l'alimentation, et qui engage tous les maillons de la chaîne alimentaire.
C'est un pacte de confiance fondé sur une responsabilité partagée, de la fourche à la fourchette, avec des agriculteurs qui se regroupent en organisations de producteurs pour peser face à la grande distribution, des consommateurs qui deviennent des « consom'acteurs » et traduisent leurs attentes dans leur acte d'achat et des enseignes de la grande distribution qui s'engagent à mieux rémunérer les agriculteurs.
Ce pacte de confiance, c'est à nous, législateurs, de le construire. Les attentes sont grandes parmi les acteurs du monde agricole et agroalimentaire. C'est notre responsabilité de députés et de citoyens de ne pas les décevoir.