Intervention de François Ruffin

Réunion du mercredi 11 avril 2018 à 16h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Je fais partie des bons élèves de notre commission, puisque j'ai participé aux différentes tables rondes organisées dans le cadre des États généraux de l'alimentation et à plusieurs ateliers qui rassemblaient syndicats, professionnels et associations. Selon M. Olivier Allain, le coordinateur, plus de 30 000 heures de discussion ont été consacrées à ce projet de loi, ce dont nous nous félicitons tous. Toutefois, j'ai le sentiment – et il est sans doute partagé – que cette montagne de discussions accouche d'une souris législative, puisque le texte qui nous est présenté comporte des mesures techniques qui auraient pu être prises en coordination par différents ministères. Il n'était peut-être pas besoin de mobiliser l'ensemble de la société française pour parvenir à un tel résultat...

Lors de son audition, le directeur de la Fédération nationale bovine, M. Bruno Dufayet, nous avait dit qu'il suivrait le cap que nous fixerions, quel qu'il soit. Que nous choisissions le modèle de compétition néo-zélandais ou, au contraire, une agriculture familiale pour tous, soucieuse du développement durable et produisant une alimentation saine, il s'adapterait. Or, il n'y a pas de cap dans ce projet de loi ! Cette absence de cap est néanmoins un progrès, selon moi. En effet, à l'automne dernier, j'avais déploré l'hyper-présence des mots « compétition » et « compétitivité » aussi bien dans les propos du ministre que dans ceux de notre président ou dans ceux de notre collègue Arnaud Viala lorsqu'il nous a présenté sa proposition de loi pour une agriculture compétitive. Or, aujourd'hui, j'observe que ces mots sont absents du projet de loi. On a donc renoncé à ce cap-là, mais on ne sait pas quel autre cap on lui substitue.

En ce qui concerne le titre Ier, consacré à la construction du prix, je me rappelle que, lors de son audition, M. Serge Papin nous avait indiqué que la loi devait être ambitieuse mais qu'elle n'était pas partie pour l'être. Si nous voulons sauver l'agriculture française, déclarait-il, l'amener vers du plus qualitatif, il faudrait des prix minimums garantis au moins pour une période transitoire de deux ans. De fait, la question des prix plancher est cruciale. Je ne sais pas si nous pourrons sortir l'agriculture française de ses grands tourments – disparition de la moitié des exploitations en vingt ans, revenu mensuel inférieur à 356 euros par mois pour la moitié des agriculteurs, et je ne parle pas des suicides à répétition dans la profession – à l'aide du « truc » hyper-complexe qu'on nous présente et dont on se demande s'il va vraiment aboutir à quelque chose en matière de construction des prix. Pourtant, on se dit que c'est ce que nous sommes condamnés à faire car, si nous annoncions franchement que nous voulons des prix plancher pour le lait, la viande ou les céréales, Bruxelles nous opposerait les règles de la concurrence. Nous nous heurtons à cet obstacle et, pour ma part, je serais plutôt favorable à ce que nous le fassions sauter. Car, oui, pour le bien-être des agriculteurs, pour maintenir leurs exploitations, il faut des prix plancher !

Quant au titre II, il est vide, ou presque. Je me rappelle Mme Dominique Voynet nous expliquant que M. le ministre, après avoir opiné du chef pendant son discours aux États généraux de l'alimentation et donné ainsi le sentiment de partager entièrement ses préoccupations, n'avait même pas abordé le sujet dans son discours de clôture. C'est la même chose pour le projet de loi : il y a très peu de chose sur la transition vers un modèle plus environnemental, sur la question du bien-être animal ou sur celle de la nutrition.

Bien entendu, le groupe La France insoumise défendra des amendements mais, dans l'ensemble, le projet de loi risque d'être une occasion manquée, et même doublement manquée. Tout d'abord, les agriculteurs traversent une période de doute, ils ne savent pas dans quelle direction aller, et nous ne leur en indiquons pas une. Ensuite, alors que l'industrie agroalimentaire et la grande distribution étaient d'accord pour faire un certain nombre de concessions, nous ne les avons pas validées dans les faits.

Enfin, des mesures de régulation sont nécessaires, qu'il s'agisse des quotas, des prix plancher ou de la réciprocité dans les accords internationaux, mais elles se heurtent, bien entendu, à la doxa libérale du Gouvernement. De fait, il y a une contradiction flagrante entre la volonté de réguler un peu ce secteur et le fait de négocier des accords comme le CETA avec le Canada ou l'accord avec le Mercosur.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.