Notre pays perd, depuis 2010, 30 000 exploitations par an, 50 % des paysans ont un revenu inférieur à 400 euros par mois et les défaillances d'entreprises ont augmenté de 10 % en 2017. Une pauvreté qu'on pensait révolue gagne ainsi du terrain dans nos campagnes et continue à abîmer la ruralité. J'ai pu moi-même constater, dans ma circonscription du pays de Bray, où prédomine l'élevage laitier, la détresse, la colère des paysans, qui se transforme parfois en désespoir et conduit au pire. À leurs difficultés économiques s'ajoute le sentiment d'être abandonnés par la puissance publique, qui n'est pas en mesure, par exemple, de garantir le versement en temps et en heure des aides dues – je pense notamment aux mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC). J'ai entendu dire : « C'est la loi de la dernière chance », celle qui permettrait d'atteindre un niveau de prix permettant une vie digne et mettant un terme à la spirale de destruction de la valeur. En effet, les États généraux de l'alimentation ont fait naître un espoir, et je crois que nous devons explorer cette voie au cours de nos travaux.
Il y a un paradoxe de notre agriculture : elle nourrit, nous fait vivre, mais les produits agricoles bruts ne représentent que 10 % de la valeur finale des denrées alimentaires vendues en grande surface. De fait, la question des prix des produits est centrale. Il nous faudra donc veiller à ce que la loi, qui doit protéger, réguler, la prenne en compte. Nous devrons également mettre un coup d'arrêt à la logique de destruction de la valeur : les paysans, qui n'ont pas la maîtrise des prix, doivent percevoir la part de la valeur finale des produits alimentaires qui leur revient et celle-ci ne doit pas se réduire comme peau de chagrin. Il nous faudra inverser la logique de construction des prix en renforçant les prérogatives de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires ainsi que celles des médiateurs, voire en réduisant les délais de négociation.
Après une série de textes clivants, le dernier en date étant le projet de loi de réforme ferroviaire, le Gouvernement a, je crois, Monsieur le ministre, la possibilité de parvenir à un consensus, à condition que vous fassiez preuve de pragmatisme et que vous entendiez nos arguments. Nous serons attentifs à la portée réelle des dispositions du texte. Le choix des ordonnances continue de susciter des interrogations, d'autant que les délais ne le justifient plus. Concrètement, pour que ce texte produise des effets, il va falloir le muscler – c'est-à-dire, d'une certaine manière, le rendre moins libéral – en renforçant le rôle de la puissance publique, pour qu'il soit opérant sur les indicateurs de prix et sur les moyens de contrôle, et pour dynamiter les accords contre nature des grandes surfaces qui étouffent les agriculteurs.
Enfin, il y a le texte, mais il y a aussi le contexte. Il faudra, au cours du débat, voire dans les actes, nous rassurer : la portée du projet de loi ne doit pas être amoindrie par la concurrence intracommunautaire, souvent déloyale, qui ne régule pas correctement la PAC, par le risque réel d'affaiblissement de celle-ci – nous ne savons pas, pour l'instant, si le combat que vous menez a une chance d'aboutir ou non – et par les traités de libre-échange. À ce propos, l'autre jour, lors d'une réception organisée par le groupe d'amitié France-Canada, l'ambassadrice nous a proposé de trinquer au CETA. Je ne trinquerai pas au CETA, pas plus qu'à l'accord avec le Mercosur ! Je comprends que le Canadien que vous êtes, Monsieur le président, n'apprécie pas ce propos.