Intervention de Aboubakry Sy

Réunion du mardi 13 mars 2018 à 9h00
Groupe de travail sur la démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne

Aboubakry Sy, conseiller pédagogique, chargé des programmes de formation en finances publiques et en économie à l'École nationale d'administration :

Auteur d'une thèse de droit public portant sur la transparence dans le droit budgétaire de l'État en France, sous la direction du professeur Michel Bouvier, c'est davantage en juriste spécialiste des finances publiques qu'en économiste que je m'exprimerai à mon tour sur cette question de la transparence budgétaire.

Mes travaux de recherches m'ont amené à constater que la France répond globalement aux exigences des organisations internationales et des ONG en matière de transparence budgétaire, à quelques poches d'opacité près. Nous avons assez bien réussi dans ce que j'appelle la transparence interinstitutionnelle, c'est-à-dire entre l'exécutif et le législatif. Ainsi, chaque année, rien que pour le projet de loi de finances initiale, le Parlement est destinataire de plus de quinze mille pages d'informations budgétaires – 15 396 pages très précisément en 2016.

Cette masse d'informations – certes de qualité –, dont la production mobilise d'ailleurs considérablement l'administration pose un certain nombre de questions. En donnant trop à voir, elle comporte en premier lieu le risque, déjà souligné par le Conseil d'État en 1996, de ne plus rien montrer. Il serait donc souhaitable de travailler avec Bercy et l'ensemble des administrations concernées à un recentrage de l'information financière, d'autant que nous ne parlons ici que du projet de loi de finances initiale, auquel il faut ajouter toutes les informations fournies en cours d'exécution budgétaire, et jusqu'à la loi de règlement, c'est-à-dire la loi qui arrête les comptes de l'État.

La seconde question est celle du regard que le Parlement porte sur tout cela, et notamment sur les comptes de l'État. Notre système a beaucoup tendance à se focaliser sur le projet de loi de finances, qui n'est jamais qu'une prévision budgétaire ; la situation financière de l'État exacte apparaît à travers la loi de règlement, à laquelle les parlementaires consacrent beaucoup moins de temps.

Pour ce qui concerne la transparence vis-à-vis du citoyen, ce dernier a légitimement accès à ces informations. Toute la documentation budgétaire de l'État est consultable sur le Forum de la performance publique, site gouvernemental et véritable mine d'informations financières ; pour les plus connectés, il existe même une application mobile, Budgetek, lancée en juillet 2015. Encore faut-il connaître ces outils dont l'utilisation reste malgré tout l'apanage des seuls « experts » – avec beaucoup de guillemets. Un large effort de communication s'impose si l'on veut qu'ils soient ouverts à un plus large public.

Il faudrait également développer chez le citoyen français ce que j'appelle une conscience financière publique ; or la conscience du phénomène financier ne commence à apparaître que lorsque l'on commence à payer des impôts – directs s'entend. C'est certainement la moins agréable, en tout cas la moins confortable, puisqu'elle ne porte que sur l'aspect fiscal. L'enjeu serait de travailler à ce que citoyen ait aussi connaissance de l'autre aspect du phénomène financier : la dépense, dont il bénéficie directement ou indirectement impôts.

Je préconise donc dans ma thèse la mise en place d'une nouvelle communication financière publique, qui permette à tous les citoyens non pas de devenir des experts en finances publiques mais d'avoir à tout le moins une connaissance, une intuition des grandes masses budgétaires, de savoir par exemple que la dépense sociale représente 45 % des 1 250 milliards d'euros que pèse la dépense publique française, entre assurance maladie, vieillesse, famille, etc. ; qu'ils aient aussi une idée générale de la façon dont se répartit l'argent de l'État entre défense, justice, culture, éducation nationale, etc. Il suffit pour cela que l'État utilise davantage les différents réseaux de communication – médias traditionnels ou réseaux sociaux – où il pourrait, par exemple, communiquer chaque mois en mettant spécifiquement en avant telle ou telle politique publique.

Dans la même logique, et parce qu'il est fondamental, en démocratie, que les citoyens sachent où va l'argent public, je recommande dans ma thèse d'intégrer dans le cursus scolaire de chaque Français des séquences d'initiation aux finances publiques. C'est au lycée, par exemple, que l'on commence à entrer dans l'âge adulte et à développer une conscience politique et citoyenne ; on pourrait imaginer que les lycéens aient, parmi leurs cours, des séquences leur expliquant les grands principes de notre droit public financier et de notre fiscalité, les grandes masses de nos finances publiques, mais également le rôle des différents acteurs, l'exécutif, le Parlement et les organes de contrôle.

C'est donc à sensibiliser nos concitoyens aux problématiques des finances publiques, grâce à de nouvelles formes de communication, que les acteurs publics doivent oeuvrer.

J'ajoute que l'information des citoyens en matière de finances publiques est une exigence constitutionnelle, en vertu des articles 14 et 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen mais également en vertu de la Constitution qui, depuis la révision de 2008, impose à la Cour des comptes un devoir d'information des citoyens. C'est ainsi qu'en 2016, la Cour a produit 289 rapports et autres documents informatifs.

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