Intervention de Delphine Ernotte-Cunci

Réunion du mercredi 19 juillet 2017 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Delphine Ernotte-Cunci, présidente-directrice générale de France Télévisions :

Avec votre autorisation, monsieur le président, je répondrai à cette importante question au terme de mon propos introductif.

Je suis heureuse que l'occasion me soit donnée de vous parler de cette belle maison qu'est France Télévisions en vous rendant compte de l'exécution de la première année d'exercice complet du contrat d'objectifs et de moyens (COM) signé avec l'État en décembre 2016 pour la période 2016-2020. Le COM fixait pour cinq ans le cap du groupe et sa trajectoire de ressources et d'économies.

J'ai pris mes fonctions à la présidence de France Télévisions le 22 août 2015 avec le mandat de transformer l'entreprise. J'ai appuyé mon projet sur les rapports parlementaires de Mme Martine Martinel et de M. Stéphane Travert et le rapport sur l'avenir de l'audiovisuel public commandé à M. Marc Schwartz par trois ministres.

Je suis une femme d'entreprise. Toute ma carrière s'est précédemment déroulée au sein d'une même société qui s'est beaucoup transformée au fil du temps – France Télécom, devenu Orange, l'un des acteurs de la transformation numérique que vit France Télévisions. En entrant à France Télévisions, je suis en quelque sorte passée du contenant au contenu, après avoir constaté, dans mes fonctions précédentes, la révolution complète des modes de diffusion et son impact considérable sur la vie de chacun.

Sachant que c'est pendant les premières années d'un mandat que l'on peut engager les réformes les plus profondes, j'ai engagé la transformation dès ma nomination. Pour ce faire, j'ai lancé une consultation, qui a pris la forme des assises de l'entreprise. Nous sommes allés à la rencontre de l'ensemble des salariés, en région, outremer et à Paris, pour cerner la manière dont ils envisageaient eux-mêmes l'avenir de leur entreprise et déterminer les contours de son évolution.

France Télévisions compte aujourd'hui un peu plus de 9 800 salariés répartis dans toute la France. Trois mille cinq cents d'entre eux travaillent dans les régions métropolitaines et 1 500 dans les neuf territoires et départements d'outre-mer. France Télévisions, ce sont six chaînes nationales – France 2, France 3, France 4, France 5, France Ô et la nouvelle chaîne Franceinfo ; un réseau de neuf stations ultramarines de télévision et de radio, leaders sur leurs territoires respectifs ; vingt-quatre décrochages régionaux pour les différentes éditions des journaux sur France 3 ; enfin la chaîne de plein exercice ViaStella en Corse, en plus de France 3 Corse.

Je me suis inspirée du diagnostic établi à l'issue des assises de l'entreprise pour construire le plan stratégique de l'entreprise qui fonde le COM discuté avec l'État.

En parallèle, nous avons lancé cette année des consultations avec nos téléspectateurs – avec lesquels nous dialoguons par ailleurs quotidiennement par le biais du Club des téléspectateurs de France Télévisions et celui des médiateurs. Il m'a semblé important que les membres du comité exécutif discutent directement avec les téléspectateurs. Partout en France, en région, outremer et à Paris, nous avons organisé des débats de deux heures pour mieux appréhender ce qu'ils attendent de la télévision publique. Dans un univers numérique aux frontières si bien abolies que nos concurrents ne sont plus tant TF1 et M6 que Netflix et Amazon, il nous semblait important de définir quelle est, pour ceux qui nous regardent, la place des programmes de service public mis à l'antenne.

En 2016, les objectifs fixés dans le COM – qui, en nombre, avaient été revus à la baisse – ont tous été atteints sans exception ; la première année s'est donc déroulée comme nous nous y étions engagés.

Pour engager la transformation, il était indispensable de définir à quoi sert, pour ceux qui la regardent, la télévision publique, quelle fonction nous sommes appelés à remplir maintenant et à l'avenir. La révolution numérique fait que les plus jeunes, notamment, regardent beaucoup moins la télévision que leurs aînés : le temps passé devant une télévision est de 3 heures 40 par jour en moyenne tous âges confondus, mais il n'est que de 1 heure 30 pour la tranche d'âge des 15-25 ans. C'est pour nous une préoccupation certaine.

Alors que les écrans et les sources d'information se multiplient, la demande nous est faite de fournir une information de référence fiable dans un univers où, bombardé d'informations fausses dont on ne connaît pas toujours l'origine ni la finalité véritable, on peut se laisser embrigader.

La télévision de service public a d'autre part un rôle particulier à jouer en matière culturelle, nous disent les téléspectateurs, qui nous demandent de les aider de cette manière à « faire grandir leurs enfants ». C'est un vrai combat. Si la télévision publique, qui a un poids très important au sein de l'audiovisuel français, notamment dans le domaine de la création puisqu'elle y réalise plus de 50 % de l'investissement total, parvient à tenir sa place dans l'univers numérique, elle garantira la permanence d'une vision française du monde, des sujets de société et du développement de l'imaginaire et de la créativité, singulièrement chez les plus jeunes. Nous sommes toujours en concurrence avec les grandes chaînes de télévision privées, mais nous devrons affronter désormais la rude compétition des GAFA, autrement dit Google, Amazon, Facebook et Apple. Le risque est de voir l'exception culturelle française se diluer dans un univers essentiellement américain – et peut-être demain américain et chinois car d'autres plateformes pourraient se développer en France.

J'observe que la télévision, perçue hier comme une menace pour le savoir, la lecture et le cinéma, se voit aujourd'hui conférer un rôle culturel affirmé : le paradigme est inversé, on attend d'elle qu'elle éduque aux arts, à l'histoire, à la littérature, aux oeuvres françaises en général. C'est pourquoi j'ai souhaité, dans le COM, accroître l'investissement dans les oeuvres patrimoniales – les fictions et les documentaires mais aussi l'animation, grand succès français – en le portant de 400 millions d'euros en 2016 à 420 millions d'euros en 2017, engagement que nous tiendrons, puis à 435 millions d'euros en 2018. Par ce moyen, nous renforcerons notre capacité à porter l'exception culturelle – et quel meilleur vecteur pour cela que les oeuvres patrimoniales, qui resteront ?

Comment améliorer l'offre de la télévision publique ? Pour nous, l'enjeu premier, c'est la jeunesse qui tend, je vous l'ai dit, à se détourner des formats traditionnels de la télévision. Selon leurs réponses aux enquêtes, les jeunes gens, à la télévision, regardent beaucoup les programmes de téléréalité et les séries américaines – ce qui cadre assez peu avec l'injonction qui nous est faite « d'aider à faire grandir les enfants ». Pour leur proposer une alternative de service public, il nous faut donc réinventer notre offre en matière d'information et de fiction mais aussi de divertissements, toujours envisagés sous le prisme culturel. Parce que nous ne pouvons-nous limiter à proposer la télévision dans son format classique à des jeunes qui passent énormément de temps à naviguer sur internet, Mathieu Gallet, président de Radio France, et moi-même avons prévu de lancer une plateforme commune entièrement numérique dédiée aux jeunes adultes âgés de 18 à 25 ans.

Notre deuxième obligation est d'informer. De plus en plus, nos concitoyens de tous âges s'informent par le biais du téléphone portable, qui est en passe de devenir le premier écran. Nous nous sommes donc associés à Radio France, France Médias Monde et l'Institut national de l'audiovisuel pour lancer une offre commune d'information continue. Notre objectif est qu'elle soit la première offre d'information sur les supports numériques – téléphones mobiles et tablettes. Cette offre s'est appuyée sur la chaîne de radio France Info, née il y a trente ans et dont le savoir-faire en matière d'information continue est reconnu, et sur les forces respectives de Radio France et de France Télévisions dans le domaine numérique. Nous avons aussi lancé une chaîne linéaire, différente des chaînes d'information traditionnelles. En six mois, nous avons réussi notre premier pari : en avril et en mai, Franceinfo est devenue la première offre d'information continue sur les trois écrans – ordinateur, tablette et téléphone mobile – pour toute la population, tous âges confondus. C'était un de nos objectifs, et la bonne nouvelle est que l'élargissement de notre offre numérique n'a pas nui à la radio : au contraire, son audience ne cesse de croître. Nous travaillons à faire progresser l'audience de la chaîne linéaire, sachant que les contenus sont conçus en même temps pour le numérique et pour la chaîne traditionnelle.

Notre troisième ambition a trait à la culture entendue au sens large – pas uniquement les arts mais tout ce qui contribue « à faire grandir » chacun, la jeunesse en particulier. La diffusion de la culture a longtemps été perçue au sein de France Télévisions comme une obligation. Son cahier des charges lui impose d'ailleurs de retransmettre spectacles vivants, opéras et pièces de théâtre, et cela doit continuer. Mais nous devons aussi renforcer l'accès à la culture au sens large sur toutes nos antennes, traditionnelles et numériques. J'ai confié à Michel Field la mission d'alimenter la réflexion au sein du comité exécutif à ce sujet.

Le COM fixait pour objectif au groupe de retrouver une bonne santé financière et de gagner en performance. L'objectif de France Télévisions n'est pas de faire des bénéfices, mais une entreprise financée à 85 % par les deniers publics doit être à l'équilibre, avec un résultat opérationnel et un résultat net à zéro pour chaque exercice couvert par le COM. Ce fut le cas pour le résultat net en 2015, quelques mois après mon arrivée, et ce le fut aussi en 2016, tant pour le résultat net que pour le résultat opérationnel. Nous poursuivrons dans cette voie.

La Cour des comptes avait publié un rapport assez critique sur la gestion de l'entreprise entre 2012 et 2015. Mon équipe et moi-même, qui prenions nos fonctions, avons tenu à mettre en oeuvre les principales recommandations de la Cour et en avons tiré les enseignements nécessaires pour améliorer la gouvernance et la performance de l'entreprise. La Cour ayant mis en avant la nécessité d'une plus grande transparence dans l'utilisation des fonds publics et celle de la prévention des conflits d'intérêts, nous avons nommé une déontologue chargée de s'assurer du respect des bonnes pratiques et du progrès dans le champ de la transparence et de l'exemplarité.

Comme les parlementaires et comme M. Marc Schwartz, la Cour des comptes avait également souligné le besoin de réformes. J'ai souhaité les engager toutes en même temps, dès le début de mon mandat ; je suis consciente que cela n'est pas facile pour l'entreprise. Les plus importantes sont au nombre de trois.

D'abord, le positionnement de France 3, qui compte 3 500 salariés en régions, a été revu. L'engagement a été pris dans le COM de doubler la part des programmes régionaux à l'antenne. Cela supposait une réorganisation, dont l'unique objectif est de soutenir cette stratégie. Je me suis appuyée sur la réforme territoriale pour réorganiser le réseau en treize régions et nommer treize patrons régionaux. Il leur appartient de faire progresser la part des programmes régionaux, de mieux représenter les territoires dans leur diversité sur les antennes de France 3 et aussi de garder les comptes à l'équilibre, enjeu qui s'impose à toutes nos équipes.

La deuxième réforme, qui visait à plus d'efficacité, avait été discutée pendant le mandat de mon prédécesseur mais j'ai eu à la mettre en oeuvre : il s'agit de la fusion des rédactions nationales de France 2 et de France 3 ; engagée en 2015 sous le nom « Info 2015 », elle sera achevée à la fin de l'année 2018. Cette réforme est très impopulaire au sein de France Télévisions, où l'on craint que les identités des chaînes ne soient pas respectées. Il faudra poursuivre la fusion tout en respectant les identités assez contrastées des éditions de France 2, de celles de France 3 et de l'édition permanente de Franceinfo.

La troisième réforme, moins visible à l'extérieur mais très importante pour nous, vise à adapter nos moyens techniques de fabrication. Nous fabriquons en interne 20 % de ce qui passe à l'antenne, et 85 % de nos programmes sportifs, comme le Tour de France. La place de la fabrication interne doit être réaffirmée et la performance mieux mise en avant, renforcée et surtout plus intégrée dans l'ensemble du groupe ; c'est le chantier que nous avons lancé.

À ces trois réformes indispensables doit s'ajouter la fondamentale adaptation à l'ère numérique. Cela touche notre maison en son coeur car cela signifie que chacun, dans les fonctions support et surtout dans les fonctions éditoriales, doit changer sa façon de travailler pour tenir compte de ce que désormais chaque programme diffusé sur la TNT peut l'être aussi sur Facebook et par extraits sur YouTube. Un champ nouveau s'ouvre aux équipes.

Cette révolution numérique doit se matérialiser pour les téléspectateurs. Pour cette raison, nous avons renouvelé et remis aux normes du marché la plateforme digitale voulue par mon prédécesseur, la renommant au passage « France.tv » – c'est une litote de dire que l'appellation « Pluzz » ne faisait l'unanimité ni dans la maison ni parmi nos téléspectateurs. Nous avons amélioré l'ergonomie de la plateforme pour mieux exposer les émissions en direct mais aussi les programmes en rattrapage, dont le poids augmente : pour certaines séries, cela peut représenter plus de 20 % du temps de visionnage, qui a lieu sur les supports numériques. Nous nous devons d'être en pointe.

Enfin, je suis convaincue que, face à Netflix et Amazon, nous devons proposer une offre française – pas obligatoirement seuls. Après avoir appelé mes concurrents actuels, TF1 et M6, à rejoindre ce que nous envisageons comme l'étendard de la culture française, nous avons décidé de lancer nous-mêmes une offre de plateforme d'abonnement (SVOD), non pour concurrencer Netflix et Amazon mais pour faire exister la création française en donnant une deuxième vie aux très nombreux documentaires que nous créons et à nos oeuvres de fiction mais aussi d'animation. Les enfants étant de grands utilisateurs de ces plateformes, il nous a semblé nécessaire que l'animation à la française telle que nous la prônons, avec une forte dimension ludo-éducative, ait sa place dans l'univers numérique.

Comme vous le voyez, notre ambition est très forte dans un monde qui change beaucoup : nous n'en sommes qu'aux débuts de la révolution numérique. On ne sait pas encore bien décrire parfaitement quel sera le monde demain, comment on regardera des programmes dans vingt ans ; on sait seulement que ce ne sera pas du tout comme aujourd'hui. Dans le même temps, il y a une attente de la part des publics pour des oeuvres, des programmes, pour la fiction française qui bénéficie d'un regain très fort sur nos antennes traditionnelles. Nous devons être au rendez-vous, avec notre spécificité de service public, de ces nouveaux usages qui n'en finissent pas de se développer, et tout cela avec une entreprise qui se transforme de l'intérieur, tout en respectant les principes d'exemplarité et de saine gestion de toute entreprise publique.

Beaucoup d'enjeux sont devant nous, et nombre d'entre eux sont encore à débattre. Nous avons un avenir à éclairer et à construire ensemble. C'est pour cela que je suis ravie de pouvoir échanger avec vous, de connaître vos attentes, votre vision de ce que doit être la télévision publique dans quelques années, de savoir comment vous voyez les choses et comment vous pouvez nous guider et nous aider à fabriquer cette télévision qui nous appartient tous. (Applaudissements.)

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