Le patriotisme culturel consiste aussi à exister en dehors de nos frontières. Nous utilisons à cette fin une entreprise de télévision publique, TV5 Monde, qui regroupe les médias francophones et au sein du conseil d'administration de laquelle siègent la Suisse, la Belgique et le Québec. Nous avons noué des liens assez étroits et travaillons ensemble à l'idée d'une offre de contenus francophones en dehors de nos frontières respectives. Nous sommes en train de réfléchir, de manière collégiale, à ce qui pourrait entrer dans le catalogue, ainsi qu'au véhicule de commercialisation : nous examinons la possibilité de passer par des opérateurs mobiles, par exemple en Afrique, où ces mobiles priment sur les autres formes de récepteur. Nous continuons de réfléchir également à une offre de plateforme européenne. Cela passe par une refonte de la législation dans la mesure où les droits sont aujourd'hui régis par pays. Cela suppose un travail de conception et d'anticipation très complexe.
La diversité, madame Rilhac, est un grand enjeu pour nous. Nous n'avons pas aujourd'hui le sentiment de complètement représenter la société dans sa complexité et sa diversité. C'est une préoccupation que je porte fortement. Nous avons, tout d'abord, renouvelé beaucoup de visages au sein de France Télévisions, en introduisant une certaine parité mais aussi en faisant place sur nos antennes à la diversité des origines.
Parallèlement, nous travaillons aussi à faire pour la diversité ce que nous avons fait pour la mixité, à savoir inviter des experts de toutes origines sur nos plateaux. Dans de grandes émissions très suivies comme C dans l'air ou sur nos plateaux d'information, nous faisons souvent appel à des experts, et c'est l'occasion de présenter des référents en médecine, en science, en politique, hommes et femmes, d'origines diverses. C'est pourquoi nous avons travaillé avec le Club du XXIe siècle à l'écriture d'un Guide des experts. Les journalistes, chez nous, sont frileux et ont tendance à appeler toujours les mêmes personnes, notamment parce qu'elles savent intervenir à la télévision. Nous essayons de changer les habitudes pour présenter des experts qui reflètent mieux la société française telle qu'elle est.
Nous attachons aussi beaucoup d'importance au casting de nos fictions. La fiction Caïn, qui marche très bien, a pour rôle-titre un policier en fauteuil roulant : il est important de montrer des personnes handicapées dans des rôles très positifs, qui peuvent être des flics comme les autres, pour normaliser la diversité. Nous souhaitons le faire aussi avec la diversité sociale ; un support très important pour nous à cet égard est le feuilleton quotidien. Plus belle la vie, sur France 3, a permis d'aborder des débats importants de manière non partisane et dépassionnée, par exemple au moment de la discussion sur le mariage pour tous. Nous sommes en train de construire un second feuilleton quotidien sur France 2 pour exposer les différents points de vue au sein de la société de manière dépassionnée, afin que les familles se parlent davantage et s'affrontent moins. C'est moins évident qu'il n'y paraît : cela reste un combat car notre société est plutôt dans la reproduction sociale. Il faut y porter une attention particulière et sachez que je m'en préoccupe personnellement.
Pour ce qui est de la diversité des opinions, je ne suis pas la rédactrice en chef des émissions : mon rôle est de garantir qu'il ne s'exerce pas d'influences, ni publiques ni privées, sur le travail des équipes, que ce soit à l'investigation – où l'on sent parfois quelques tentatives très fortes –, aux émissions traditionnelles ou dans les émissions politiques. Je suis le garant que personne n'influe sur les décisions et la charte éthique des journalistes.
Je souhaite également redire le rôle central de la télévision publique dans le débat politique. Nous avons fait dix fois plus que TF1 au moment de l'élection présidentielle. Cela implique de donner de l'espace à tous les points de vue, sur France 2 et sur France 3 qui a joué un rôle central dans l'élection législative. Tout cela naturellement sous le contrôle très strict de notre régulateur, qui veille au respect des temps de parole, en tout temps mais particulièrement en période électorale, et nous avons reçu un satisfecit du CSA sur notre capacité à tenir les temps pour les différentes formations politiques, durant les plus de huit cents heures de débat sur nos antennes… Cela a représenté pour nous un enjeu de premier ordre.
Je n'ai jamais, monsieur Bournazel, été opposée à la publicité et je serais même favorable à ce qu'on laisse France Télévisions en passer un peu plus entre vingt heures et vingt et une heures, non que j'aime la publicité, mais parce que c'est un moyen totalement indolore pour les citoyens de financer l'audiovisuel public. À condition évidemment qu'elle soit raisonnée, mais elle le sera toujours sur le service public : il n'est pas question de couper les oeuvres ou de diffuser des tunnels de publicité. Il faut qu'elle soit contrôlée et strictement encadrée.
Par ailleurs, nos partenaires sur le territoire français, TF1 et M6, ne vont pas spécialement bien – et je ne parle pas de Canal +. Or ce n'est pas notre intérêt qu'ils aillent mal, car si nous devons construire un jour une offre française à l'étranger, nous aurons besoin de nous mettre tous autour de la table. Si, pour que TF1 se porte mieux, il faut autoriser une coupure dans ses journaux, je vous le dis tout net : je n'y vois aucun inconvénient. Il n'y en aura jamais dans les journaux de France Télévisions, car nous sommes un service public financé par la redevance. Mais je ne vois rien contre le fait que TF1 puisse se développer, d'autant que le marché publicitaire est plutôt étale ; si cela peut les aider, tant mieux.
Comment faisons-nous pour parvenir à l'équilibre, madame Rubin ? Rendons d'abord à César ce qui est à César : c'est pour moitié grâce à la représentation nationale, grâce à des amendements déposés par des députés, que nous avons bénéficié en 2015 et en 2016 d'un surcroît de recettes publiques. Nous avons beaucoup investi dans les programmes et la création, nous avons donc rendu à l'économie et au monde de la création, de la production et des auteurs. L'autre moitié de notre équilibre, ce sont les économies réalisées par le groupe. C'est cet équilibre qui nous permet de faire face à la dérive naturelle des coûts – les charges et les salaires augmentent car la télévision est une entreprise de main-d'oeuvre, c'est de l'artisanat, de l'art, pas de l'industrie – et d'investir dans la création.