Intervention de Odile Renaud-Basso

Réunion du mercredi 26 juillet 2017 à 11h10
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor :

Merci beaucoup pour cette invitation : c'est un grand honneur pour moi de venir présenter la direction générale du Trésor et notre analyse des grands enjeux économiques du pays.

Je vais commencer par brosser à grands traits un tableau de nos principales missions, de nature assez diverse et large.

Nous sommes chargés de suivre la conjoncture économique française et internationale, d'élaborer des prévisions macroéconomiques pour le Gouvernement, de faire des analyses sur la croissance et la compétitivité, à la fois en France et dans notre environnement européen et international, et de donner au Gouvernement des conseils sur la conduite de la politique économique.

Nous fournissons des analyses et des études d'impact sur la situation des finances publiques et sur les politiques fiscales, d'emploi, industrielles et sectorielles. Nous analysons également les questions liées au développement durable. Tout cela correspond à la fonction d'analyse et d'éclairage économique de l'ensemble des politiques publiques dont était précédemment chargée la direction de la prévision.

Nous assurons le suivi des dossiers économiques et financiers européens, en participant à toutes les négociations liées à ces questions, qu'elles soient relatives à l'euro, au fonctionnement de l'Union économique et monétaire, avec la préparation des Conseils Ecofin et des réunions de l'Eurogroupe, au secteur bancaire, à celui des assurances ou aux marchés financiers. Nous sommes en particulier très mobilisés sur la question du Brexit et la préparation des positions françaises en la matière, qu'il s'agisse de l'accord de sortie ou des relations futures. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur la situation de la Grèce et sur le renforcement de la zone euro.

La régulation du secteur financier et de l'épargne est un autre grand secteur d'intervention, où nous avons un rôle de préparation et d'élaboration des textes. Nous collaborons beaucoup avec les autorités de supervision – l'Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR), l'Autorité des marchés financiers (AMF) et les instances européennes. Récemment, nous avons été très mobilisés sur la question de l'attractivité de la place de Paris. Nous suivons aussi, dans ce cadre, les activités de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

Quant à nos responsabilités internationales, nous sommes chargés de la politique commerciale et des questions financières multilatérales, avec le suivi des comités de politique commerciale à Bruxelles, la définition des positions à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), le suivi des relations avec le Fonds monétaire international (FMI), la préparation du G20 et du G7, ou encore la présidence du Club de Paris, qui traite des questions de dette. Pour ce qui est du développement sous un angle financier international, nous contribuons aussi à la tutelle de l'Agence française de développement (AFD), avec le Quai d'Orsay, et nous participons à toutes les négociations relatives aux banques multilatérales de développement, telles que la Banque mondiale et la Banque africaine de développement.

En ce qui concerne les sujets commerciaux, nous travaillons beaucoup sur les questions de réciprocité : quelles relations entretenir avec la Chine, par exemple, et comment assurer l'équité de traitement ?

Sur le soutien à l'export et à l'internationalisation des entreprises françaises, nous sommes responsables de la gestion des mécanismes d'assurance-crédit et de soutien financier pour l'accompagnement de nos entreprises, grandes ou plus petites, dans leur développement international. Nous exerçons la tutelle sur les opérateurs, en particulier Business France, mais nous disposons aussi d'instruments financiers au niveau de l'État, qui sont gérés en partie par Bpifrance Assurance Export, afin de soutenir nos entreprises dans leurs activités d'exportation.

Autre volet, qui n'est pas des moindres, nous sommes en charge de la gestion de la trésorerie et de la dette de l'État à travers l'Agence France Trésor (AFT), service rattaché à ma direction. Cette agence a pour mission de gérer les émissions et de promouvoir la dette française auprès des investisseurs.

Une petite équipe nommée Fin Infra s'occupe aussi de conseiller le Gouvernement sur toutes les questions de financement des grands projets d'infrastructures. Cette structure de conseil et d'expertise a notamment beaucoup travaillé sur le Charles-de-Gaulle Express.

Pour l'ensemble de ces missions, la direction générale du Trésor dispose d'environ 700 personnes en administration centrale et d'un réseau à l'étranger, intégré dans les ambassades mais travaillant très étroitement avec le ministère des finances, qui compte également à peu près 700 personnes, dans 111 pays.

J'en viens aux grands enjeux de notre situation économique, aux évolutions récentes et aux perspectives.

La croissance mondiale va mieux, même si la reprise est progressive et relativement modérée. On anticipe un taux de croissance mondial d'environ 3,5 % en 2017-2018, avec un relatif dynamisme de la croissance aux États-Unis, bien que les dernières données aient été un peu décevantes, après un trou d'air en 2016, et une amélioration de la situation dans certains pays émergents, en particulier la Russie et le Brésil – nous prévoyons pour ce dernier pays une sortie de récession. La Chine reste extrêmement dynamique, mais demeure un facteur de fragilité à terme en raison d'un important risque de surchauffe et de bulle de crédit, ce qui nécessite une vigilance particulière. La situation des pays producteurs de pétrole est également une source de fragilité : malgré des tentatives engagées au sein de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) au cours des derniers mois, le prix est resté à un niveau très bas. La situation de ces pays, qu'ils soient du Golfe ou africains, est donc assez tendue.

Autre point d'amélioration assez notable, on observe une reprise du commerce mondial, après une période où il était moins dynamique que la croissance mondiale. Tous les indicateurs, aussi bien les données des douanes que la perception des chefs d'entreprise, vont dans ce sens, ce qui est bon signe pour nos exportations.

L'environnement économique de la zone euro est par ailleurs favorable : la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) reste extrêmement accommodante et le prix du pétrole demeure à un niveau très bas. Alors qu'il avait connu une très faible remontée entre 2016 et 2017, on constate de nouveau une tendance à la baisse. Cela s'explique par la mise en exploitation du gaz et du pétrole de schiste aux États-Unis, dans des quantités importantes, ce qui représente un changement structurel et limite l'impact des décisions de l'OPEP. C'est pour nous un soutien à l'économie qui devrait perdurer.

L'économie européenne montre des signes d'amélioration, même si la situation est contrastée. Le graphique projeté montre les taux de croissance trimestriels pour les quatre principaux pays européens, avec des niveaux de variation qui ne sont pas inhabituels. L'amélioration de la croissance mondiale se reflète en miroir sur le plan européen : après un trou d'air, la croissance française se serait élevée à 0,5 % au quatrième trimestre 2016 et au premier trimestre 2017, c'est-à-dire davantage qu'en Italie et en moyenne comme l'Allemagne. Nous en saurons plus demain soir, mais les prévisions pour le deuxième trimestre en France sont bien orientées : dans sa dernière note de conjoncture, l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) prévoit une croissance de 0,5 %, soit un niveau relativement soutenu. L'Espagne, après avoir connu une crise très marquée en 2008, puis en 2011-2012, se trouve dans une phase de rattrapage important. En Italie, la croissance s'accélère mais reste inférieure à la nôtre et se caractérise par d'importants enjeux structurels de compétitivité.

Élément également favorable, le moral des entrepreneurs s'améliore, rejoignant des niveaux que l'on n'avait pas connus depuis 2010-2011, lorsque la croissance était proche de 2 % en France. La confiance des ménages est par ailleurs au plus haut depuis 2007, ce qui est un élément de soutien potentiel à la demande.

Tout cela se traduit par des perspectives économiques encourageantes pour 2017 et 2018. La tendance est plutôt la révision à la hausse des prévisions de croissance des différents organismes. Tout récemment, le FMI a ainsi revu à la hausse, de 0,1 %, ses prévisions pour la France pour l'année en cours et la prochaine. Les prévisions restent dans un mouchoir de poche, autour de 1,5 % ou 1,6 % cette année, et légèrement plus en 2018. Il faut noter que la prévision de la Commission européenne, de 1,4 %, est « à politiques inchangées » : elle devrait donc être révisée un peu à la hausse une fois que notre trajectoire de finances publiques aura été intégrée.

Si la croissance nominale est plus dynamique, la croissance potentielle, entendue comme le maximum possible sans impact sur l'inflation, est en forte diminution. Il y a de nombreux débats sur ce sujet et nous avons d'ailleurs des chiffres légèrement supérieurs, d'un quart de point, pour la croissance potentielle en France, mais nous avons repris ici les évaluations de la Commission européenne.

L'important est la tendance à la diminution de la croissance potentielle dans l'ensemble des pays développés. On peut l'expliquer par plusieurs facteurs : non seulement l'héritage de la crise, avec des sujets dans un certain nombre de pays sur le fonctionnement du secteur bancaire et l'apurement de la situation de certains acteurs économiques, mais aussi, probablement, des facteurs plus structurants en lien avec le niveau de l'innovation et l'évolution de la productivité. Le ralentissement de la croissance potentielle, lié à celui de la productivité, pourrait s'expliquer par l'absence de révolutions industrielles – ou concernant les organisations de production – aussi importantes que dans le passé. Il y a beaucoup de débats sur le point de savoir si l'économie digitale va générer ou non, à terme, ce type d'évolutions : à ce stade, on n'observe guère d'impact sur la croissance potentielle. C'est un sujet de préoccupation, car c'est elle qui compte à moyen terme.

J'en arrive à nos principaux défis.

Le premier est celui des finances publiques, auquel vous avez d'ailleurs consacré la première partie de la matinée et que je traduirai par l'objectif de remettre la dette publique sur un sentier décroissant. Il y a depuis 2010 une divergence très frappante avec l'Allemagne : alors que nos trajectoires de dette étaient jusque-là extrêmement connexes, les dynamiques ont ensuite connu des divergences particulièrement marquées. Il existe de nombreux facteurs, notamment en termes de croissance, mais on voit bien l'enjeu à l'échelon national et au niveau européen : cette divergence de trajectoire est un obstacle pour la gestion de la zone euro et ses évolutions.

La question du taux de chômage est le deuxième grand défi. C'est même, probablement, le défi majeur de notre économie. Le taux de chômage reste à un niveau relativement élevé en France, alors qu'il a fortement crû en Espagne avant de descendre rapidement. Là aussi, on voit bien la différence de situation avec l'Allemagne. Une partie importante du taux de chômage est structurelle et liée à des questions de qualification, mais il y a aussi des questions de compétitivité coût et hors coût, ainsi que de positionnement industriel.

Depuis le début des années 2000, les coûts salariaux unitaires ont crû au même rythme que dans la zone euro, mais on observe des évolutions très contrastées. Par rapport à l'Allemagne, notre compétitivité coût s'est continûment dégradée tout au long des années 2000 et même jusqu'en 2013. La situation s'est ensuite stabilisée puis elle a eu tendance à converger, l'Allemagne ayant désormais une dynamique de coûts beaucoup plus importante que la nôtre, ce que nous considérons comme un élément très favorable. L'Espagne, qui a d'abord connu une explosion de ses coûts salariaux unitaires, est quant à elle dans une phase d'amélioration très forte de sa compétitivité coût, donc de gains de parts de marché à l'export, que l'on observe très nettement sur le plan micro-économique.

L'écart de compétitivité entre la France et l'Allemagne semble provenir d'un différentiel concernant moins les gains de productivité que la dynamique salariale entre 2000 et 2008. L'Allemagne, qui absorbait alors l'effet de la réunification, a connu une politique de modération salariale très marquée et l'écart s'est creusé au maximum. Quant à l'Italie, l'écart avec notre pays s'expliquerait plutôt par des gains de productivité plus faibles qu'en France.

En ce qui concerne le commerce extérieur, les problèmes de compétitivité de l'économie française ont fait de notre pays l'un de ceux qui ont le plus perdu, en proportion, de parts de marché au sein de l'Europe. Tous les pays ont un peu reculé, l'arrivée de la Chine dans le commerce mondial ayant fait baisser la part relative des différents pays européens, même si l'Allemagne a été moins touchée que d'autres. Il faut souligner un élément positif, qui est la stabilisation de nos parts de marché depuis 2012, à un niveau certes plus bas qu'auparavant, mais qui constitue une base solide pour repartir. Les efforts consentis, notamment en termes de compétitivité coût, portent leurs fruits : même s'il reste de nombreux enjeux, nous arrivons à préserver nos parts de marché dès lors que le choc lié à la Chine est absorbé.

Je conclurai sur les risques entourant le scénario macro-économique central que j'ai évoqué. Comme le disait le président de la BCE il y a quelques jours, nous sommes dans un scénario de risque équilibré : il y a en effet des risques à la hausse comme à la baisse, alors qu'ils étaient surtout dans ce dernier sens jusque-là.

Parmi ces risques à la baisse, il y a l'évolution de la politique monétaire de la BCE et l'impact de la hausse des taux d'intérêt : il est clair que l'on s'achemine vers une normalisation liée à la reprise de l'activité, même si l'inflation reste très modérée, et la gestion de la remontée des taux d'intérêt s'accompagne de risques importants en termes de stabilité financière et d'impact sur les finances publiques. Il y a ensuite la question de la montée du protectionnisme, avec des risques de politiques de réaction ayant des incidences négatives sur nos possibilités à l'export et d'enclenchement d'un cercle négatif. Un troisième risque, qui me paraît très limité, est la remontée du prix du pétrole. Cela peut toujours arriver, mais nous avons plutôt des éléments rassurants à ce stade. Le quatrième risque, qui est un peu la contrepartie du premier, est le risque de bulle financière liée à la politique monétaire : lorsqu'elle est très accommodante, cela fait gonfler le prix des actifs. Celui des actions sur le marché américain est extrêmement élevé, avec un risque de réactions brutales et d'effets en chaîne qui ne sont pas négligeables si la perception des marchés se retourne tout à coup. Enfin, il y a la négociation du Brexit. Il pourrait y avoir des incertitudes, des tensions et des réactions sur les marchés et sur l'investissement si l'absence d'accord devenait un scénario probable, mais cela reste principalement un risque pour le Royaume-Uni plutôt que pour nous.

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