Je voudrais rappeler notre philosophie générale. Les chiffres, qui sont importants à mon avis, montrent qu'il y a eu une diminution extrêmement forte de la demande d'asile en Europe – elle a été divisée par deux, je l'ai dit – mais que nous avons en revanche continué à connaître une demande d'asile particulièrement élevée en France au cours des trois dernières années. La hausse était ainsi de 17 % en 2017. Nous devons prendre un certain nombre de mesures qui figurent dans ce projet de loi.
En ce qui concerne l'éloignement des déboutés du droit d'asile, nous souhaitons qu'il y ait dans un premier temps une assignation à résidence, comme le demande la directive « Retour », car c'est la mesure la moins privative de liberté. Ce dispositif a conduit dans le passé à des taux d'éloignement faibles, les risques de fuite étant particulièrement élevés. Environ 10 % des personnes assignées à résidence finissaient par être éloignées. Un article du projet de loi, que nous allons examiner par la suite, nous donnera les moyens de contrôler si les personnes assignées à résidence se trouvent bien là où elles doivent être : on leur demandera d'y rester trois heures par jour afin de permettre des vérifications.
Selon les règlements européens, la rétention reste évidemment l'exception. Encore faut-il qu'elle soit utile ! La proportion de rétention par rapport à l'éloignement est de 37 %, ce qui signifie que nous sommes loin de faire en sorte que tous les gens placés en rétention soient éloignés. C'est pourtant notre but puisqu'il s'agit majoritairement de déboutés du droit d'asile et que, nous l'avons dit depuis le début, nous voulons trancher assez vite entre les déboutés et les réfugiés, que nous devons insérer le plus vite possible dans notre société.
Nous souhaitons étendre à 90 jours la durée de la rétention, ce qui nous laissera très en deçà de beaucoup de pays européens, où elle est de 160 à 180 jours.
Trois principaux phénomènes expliquent l'augmentation de la demande d'asile en France. Le premier tient au fait qu'un certain nombre de personnes, venues particulièrement d'Afrique occidentale, essaient d'arriver non pas en Europe en général, mais en France en particulier, pays avec lesquels ils ont des attaches historiques.
Le deuxième phénomène procède de mouvements secondaires : des pays comme l'Allemagne et la Suède ont beaucoup accueilli au cours des dernières années, mais beaucoup débouté depuis. Des gens qui s'y sont vu refuser l'asile tentent, si je puis dire, une deuxième chance en France.
Troisième phénomène : des pays ont demandé que leurs citoyens soient dispensés de visa pour circuler dans l'Union européenne. Or, certains de leurs ressortissants déposent une demande d'asile dès qu'ils y entrent. Dans plusieurs États, comme l'Allemagne, cette demande est examinée en quelques jours, voire quelques semaines en cas d'appel ; en France, ce traitement peut être extrêmement long. Historiquement, l'Albanie figurait au nombre de ces États dont les ressortissants sont dispensés de visa ; ses citoyens représentent aujourd'hui 20 % des places du dispositif national d'asile. C'est pour cela que je m'y suis rendu et que j'ai eu des discussions avec les autorités albanaises. Elles ont fait des efforts importants pour que leurs ressortissants soient moins nombreux à quitter leur territoire pour demander l'asile dans les pays concernés, dont la France. En six mois, le nombre des départs a diminué de 34 %, ce qui est tout à fait remarquable. Nous nous heurtons toutefois à un certain nombre de difficultés ; c'est précisément pourquoi nous devons corriger notre législation, ce que vous êtes invités à faire.
Les chiffres nous donnent d'ailleurs raison puisqu'en deux mois les mesures d'éloignement ont augmenté de 14 % par rapport à 2017. Nous progresserons encore si vous décidez de réduire les délais d'examen de l'asile.
Faute d'obtenir les laissez-passer consulaires, les préfets ont cessé de les réclamer, avez-vous dit. Nous avons travaillé avec les pays africains et nous sommes désormais en passe de disposer de ces sauf-conduits. Toutefois, à l'évidence, nous avons besoin de plus de temps pour les obtenir. C'est pourquoi il est très important de passer à quatre-vingt-dix jours, étant entendu que le Gouvernement acceptera l'amendement soutenu par la rapporteure permettant de mieux séquencer cette période.
Je m'engage devant vous à faire en sorte d'améliorer les conditions de rétention, dont vous avez souligné la difficulté. Je rappelle que des droits y sont déjà exercés : un suivi médical est assuré, des associations ont passé des conventions avec l'État pour un suivi juridique des personnes placées. Enfin, puisque nous allongeons la durée de rétention, des travaux seront entrepris pour que les conditions soient plus acceptables qu'elles ne le sont.
Ayons à l'esprit que, contrairement à ce que l'on a pu insinuer, ces centres de rétention sont faits pour éloigner, non pour punir : nous avons la volonté de l'éloignement, certes, mais dans les meilleures conditions.
La Géorgie vient d'obtenir la dispense de visa vers l'Union européenne pour ses ressortissants et, en trois mois, nous avons été confrontés au même phénomène qu'avec l'Albanie. Nous voulons donc passer avec la Géorgie des accords similaires. En général, les Albanais qui arrivent sur notre sol sans visa et déposent des demandes d'asile viennent avec leur famille, dont des enfants. Pendant leur séjour en CRA, soit ils acceptent d'être séparés de leurs enfants qui sont alors confiés à l'Aide sociale à l'enfance (ASE), soit ils le refusent et les enfants sont placés avec eux en rétention. Des travaux particuliers seront entrepris afin que les conditions de rétention de ces familles avec enfants soient plus dignes. Je ne parle pas ici d'actions qui seraient menées dans deux ou trois ans. En 2018, nous investirons au total 1,5 million d'euros pour améliorer les CRA et, partant, les conditions de séjour.
Voilà ce que je souhaitais vous dire de la philosophie qui nous anime afin d'éclairer la discussion des amendements.