Intervention de Justin Vaïsse

Réunion du mercredi 24 janvier 2018 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Justin Vaïsse, directeur du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie du ministère de l'Europe et des affaires étrangères :

Merci beaucoup, madame la présidente. Je suis très heureux de retrouver votre commission – ma dernière audition remonte à la fin de l'année 2016. Le Centre d'analyse, de prévision et de stratégie existe depuis 1973. Il est composé à parité de diplomates et de contractuels qui apportent à cette structure de moins d'une vingtaine de personnes un regard différent. Ainsi, ma collègue Maya Kandel, déjà auditionnée par votre commission en tant qu'experte spécialiste des États-Unis, a rejoint le CAPS récemment. Elle offre un exemple de cet assez fructueux mélange des genres.

Notre mission est en fait double.

D'une part, nous jouons le rôle d'une interface entre le monde de la recherche – universités, laboratoires et think tanks français et étrangers – et la diplomatie française. Nous essayons d'apporter à la diplomatie française, au Quai d'Orsay et à l'ensemble de l'appareil d'État la masse des connaissances qui existent en dehors de cet appareil d'État. Pour ce travail de passeurs, nous recourons à des consultants et nous entretenons des rapports privilégiés avec les centres de recherche et universités.

D'autre part, il s'agit de conseiller le ministre sur ses orientations de politique étrangère, avec un double privilège. Le premier est le temps, puisque nous n'avons pas les tâches de nos camarades des directions géographiques – dossiers, notes d'entretien, instructions aux postes, etc. Nous pouvons lire donc lire à la fois ce qui est produit en interne et ce qui est produit à l'extérieur du ministère, et donc avoir un regard un peu décalé. Deuxième privilège, en l'absence de filtre entre le ministre et nous-mêmes, puisque nos notes parviennent directement au ministre, nous avons une liberté de ton. Michel Jobert avait créé ce qui s'appelait à l'époque le Centre d'analyse et de prévision pour qu'il soit le poil à gratter du Quai d'Orsay. Nous essayons en effet de produire des analyses différentes de celles des directions ; sinon, l'existence d'un tel service n'aurait guère d'intérêt.

Nous avons quelques autres fonctions, notamment de prospective. Nous faisons par exemple des exercices d'alerte précoce réguliers, à un horizon de six mois, en travaillant avec les directions du ministère et avec d'autres services de l'État. De temps en temps, nous faisons de la prospective à plus long terme. Vous a ainsi été envoyée au cours de l'automne la dernière édition des Carnets du CAPS, avec le travail que nous avons fait sur les mondes de 2030 – le premier semestre de l'an dernier ayant, pour des raisons évidentes, été plus calme, nous en avons profité pour essayer de nous projeter à plus long terme.

Avant d'aborder les États-Unis et la politique étrangère de Trump, je me permets une sorte de note méthodologique. Trump n'est pas un président comme les autres. Si c'était le cas, nous parlerions aujourd'hui de stratégie, d'idéologie, de moyens, de choses « normales ». Avec Trump, tout cet attirail intellectuel, tout ce qui fonde le sérieux et la grandeur, en quelque sorte, de l'analyse des relations internationales, et donc de la formulation de la politique étrangère, n'est utile que de façon secondaire. Ce qui prime dans l'analyse de la politique étrangère de Trump, c'est de bien comprendre l'interaction entre deux mondes qui existent quasi séparément à Washington. Le premier monde est celui du président, de son imaginaire, de ses névroses, de son ego, de ses manies, de son intuition, de ses tweets et de ses conseillers les plus proches, comme Steve Miller, Kellyanne Conway et quelques autres. Le deuxième monde est un peu le « surmoi » par rapport au « ça », pour reprendre la terminologie de Freud. Les impulsions du président sont assez brutes et très souvent contradictoires – reprenez systématiquement ses tweets, vous en trouverez toujours un qui contredit le dernier en date. Ce deuxième monde du surmoi est celui de ses conseillers, de la machinerie gouvernementale américaine, avec ceux que l'on a appelés parfois « les adultes » puisque tel est un peu le rôle qu'ils jouent, sans forcément pouvoir imposer leur volonté, vis-à-vis du président : le chief of staff de la Maison Blanche John Kelly, le secrétaire à la défense James Mattis, le secrétaire d'État Rex Tillerson, le conseiller à la sécurité nationale McMaster et quelques autres. Il y a aussi toute la machinerie du Conseil de sécurité nationale, avec des gens compétents qui font de leur mieux, mais qui n'ont qu'un rapport indirect avec ce premier monde de Trump. Tout l'enjeu, pour comprendre le système, est de voir les interactions qui peuvent se nouer. Un bon exemple a été fourni le mois dernier par la publication de la Stratégie de sécurité nationale des États-Unis, document assez rationnel qui essaie de prendre en compte les préférences du président – un président méfiant des alliés, fasciné par les hommes forts, plutôt porté sur le protectionnisme, toujours convaincu que les États-Unis se font avoir dans les accords internationaux, en particulier commerciaux – et, malgré tout, de tracer une certaine continuité avec la politique précédente. Lorsque Trump l'a présentée, les menaces décrites, notamment du côté de la Russie et la Chine, devenaient des possibilités de faire des accords « formidables » avec ces pays, et les alliés présentés comme clés par le document devenaient des pays immensément riches qui ne font pas leur travail. C'est un exemple, mais il illustre bien la problématique principale.

Deuxième point, que s'est-il passé depuis l'entrée en fonction de Trump, il y a à peu près un an ? Au-delà des scandales, des tweets et de l'agitation quotidienne de Washington, il importe de voir les faits. C'est ce que le tableau à votre disposition permet de faire. Nous avons passé au crible vingt-trois dossiers de politique étrangère en essayant de montrer, à côté de ce que Trump avait dit, ce qui s'est fait effectivement, c'est-à-dire quelle a été la politique étrangère américaine, et puis, dans les dernières colonnes, de quelle logique ces faits, ces actions, ces actes ressortaient. Nous distinguons quatre types de logique pour essayer de comprendre les dynamiques de cette politique étrangère américaine, types de logique expliqués en dernière page du document. La première logique est celle des adultes : le président a des tas d'idées mais ses conseillers parviennent à lui dire que telle d'entre elles, comme se retirer tout de go de l'accord de libre-échange nord-américain (ALENA), est mauvaise et contrevient aux intérêts américains. Ainsi, Trump a décidé non le retrait de l'ALENA mais la mise en place d'une commission qui révise, avec les Mexicains et les Canadiens, cet accord. La deuxième logique est « tout sauf Obama ». Il est assez classique, dans n'importe quelle démocratie qui connaît des alternances, de vouloir se démarquer de son prédécesseur, mais, aux États-Unis, cela devient une logique en soi. Il s'agit pour Trump de plaire à son électorat, à cette base d'à peu près un tiers d'Américains qui le soutiennent quelles que soient les turbulences politiques et pour lesquels il est prêt à beaucoup de choses, tels le retrait de l'accord de Paris ou le transfert de l'ambassade des États-Unis à Jérusalem. La logique America First relève un peu plus de l'idéologie et du rationnel : c'est la logique qui veut que l'Amérique passe avant tout et, plus précisément, que les États-Unis s'accordent un peu de protectionnisme, de souci de leurs intérêts immédiats, particulièrement en matière de commerce international, et se protègent des influences extérieures, comme avec la construction d'un mur à la frontière mexicaine ou le Muslim ban. La dernière logique est la logique du chaos. Le chaos est très répandu depuis un an dans presque tous les domaines d'action, comme avec le Muslim ban, retoqué plusieurs fois par les juges. Il est particulièrement sensible en ce qui concerne la Russie, en raison de l'enquête en cours, des liens entre l'équipe du président et les Russes et de l'intervention de la Russie dans les réseaux sociaux et par des actions de hacking au cours de la campagne présidentielle de 2016. Nous avons là une opposition très forte entre, d'une part, Trump, qui n'a jamais critiqué la Russie et encore moins Vladimir Poutine d'une quelconque façon, et, d'autre part, le Congrès et la plupart des conseillers du président. Cela donne une politique qui n'offre aucune visibilité.

Le document mis à votre disposition montre une continuité sur certains sujets, parfois une continuité avec Obama, du moins une continuité bipartisane : sur l'Afghanistan, sur l'OTAN, car, malgré toutes les interrogations et le fait que le président n'aime pas l'OTAN, estimant que les États-Unis s'y font avoir, la présence de la puissance américaine en Europe reste une réalité et le président a fini par réaffirmer l'attachement des États-Unis à l'OTAN. Même sur certains points qui peuvent nous choquer, en réalité, un autre président républicain n'aurait pas agi très différemment. En revanche, des ruptures non seulement avec Obama et le consensus bipartisan, quand il existe, mais également avec la tradition républicaine se font jour : en matière de commerce ; avec la décision de transférer l'ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, décision que le président Bush n'a jamais prise en dépit d'un acte du Congrès qui lui en donnait l'instruction ; avec le mur à la frontière mexicaine ; avec le Muslim ban ; avec le retrait de l'UNESCO. Certes, Reagan avait retiré les États-Unis de cette dernière organisation, mais ils y étaient revenus sous Bush et il y avait un consensus républicain pour y rester. Une rupture plus importante, plus générale, est la rupture avec le multilatéralisme, la diplomatie. Fondamentalement, le président Trump n'aime pas les organisations multilatérales et l'action collective. Selon lui, chaque fois, les États-Unis se font avoir et il ne faut pas continuer sur cette voie. Les dégâts sont moins importants au cours de cette première année qu'ils n'auraient pu l'être ; ainsi, les coupes au détriment de l'ONU sont moins drastiques que ce que l'on avait craint. Le budget de l'ONU n'en est pas moins en baisse et les États-Unis ne jouent pas un rôle constructif, si bien que la responsabilité de cette action collective repose sur d'autres épaules.

En 2017, Trump, au fond, a eu de la chance : il n'y a pas eu de grande crise. Peut-être avons-nous eu collectivement de la chance qu'il n'ait pas eu à faire face à une crise majeure comme le 11 septembre ou comme la Somalie au début du mandat de Bill Clinton. Compte tenu de la désorganisation à la Maison Blanche et de l'impulsivité du président, nous aurions eu beaucoup à craindre.

Que se passera-t-il cette année ? Certaines crises sont possibles. Songeons notamment à l'Iran et à l'ultimatum fixé pour la révision du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), le plan global d'action conjoint, soit l'accord sur le nucléaire iranien conclu le 14 juillet 2015, ultimatum qui expire le 10 mai prochain. La situation en Corée du Nord est particulièrement explosive. Et, impliqués dans de nombreuses zones du globe, les États-Unis pourraient avoir à prendre des décisions par ailleurs – j'ai souligné le caractère un peu particulier des modalités actuelles de prise de décision.

Dans le domaine commercial, le déclenchement des hostilités attendu en 2017 compte tenu de ce qu'avaient été la campagne et les déclarations de Trump n'a pas vraiment eu lieu. Les États-Unis se sont retirés du Transpacific Partnership (TPP), mais, au fond, c'est un acte de sabordage unilatéral, puisque cet accord était favorable aux intérêts américains. Trump a remis en question l'ALENA en entamant cette négociation avec les Mexicains et les Canadiens et il est possible qu'il décide de s'en retirer au cours de l'année, quand bien même cela pourrait nuire aux intérêts républicains, y compris dans des États ayant massivement voté en faveur de Trump.

Que se passera-t-il avec la Chine ? Nous pouvons faire deux hypothèses. Les hommes du président, ses proches, peuvent l'emporter et eux veulent lancer une guerre commerciale, notamment Peter Navarro, dont l'ouvrage Death by China montrait comment, depuis l'adhésion de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), les intérêts commerciaux américains avaient souffert du fait de la déloyauté chinoise en matière de normes et standards sociaux et environnementaux, de subvention aux exportations, du fait du dumping, etc., Robert Lighthizer, représentant au commerce des États-Unis, et Wilbur Ross sont également sur cette ligne. De l'autre côté, le secrétaire au Trésor Mnuchin ou le conseiller économique Cohn conseillent au président de ne pas lancer cette offensive commerciale contre la Chine. Il est possible qu'il les écoute, tout simplement parce que la croissance américaine s'est poursuivie tout au long de l'année 2017 et pourrait se poursuivre, une partie de l'année 2018 en tout cas, alimentée par ces baisses d'impôts massives votées par le Congrès, sous l'impulsion du président, un peu la seule réalisation du président au cours de cette première année.

Que ce soit en politique étrangère ou en politique intérieure, le président et ce Congrès ont fait peu de chose, et ce fut presque toujours dans le sens de la destruction. En politique étrangère, mentionnons : retrait de plusieurs organisations, blocage des mécanismes de d'arbitrage et de décision collective – par exemple, le refus de nommer des juges à l'organe de règlement des différends de l'OMC, qui obère le fonctionnement normal de l'organisation –, retrait de l'UNESCO, retrait des accords de Paris, retrait partiel, et sans doute bientôt complet, du JCPOA, auquel les États-Unis sont évidemment partie prenante avec les cinq autres partenaires. Bref, cette politique se définit essentiellement négativement par le retrait, par la destruction et assez peu par la construction. En politique intérieure, c'est un peu la même chose, avec une dérégulation massive. La seule réalisation est cette baisse d'impôts massive, puisque le président n'a pas réussi à abolir l'Obamacare, loi adoptée en 2010, et à la remplacer par une quelconque alternative.

Se profilent les élections de mi-mandat du mois novembre prochain. Pour l'instant, les démocrates sont donnés vainqueurs à la Chambre des représentants. Au Sénat, c'est un peu plus compliqué : le Sénat est renouvelé par tiers tous les deux ans, les sénateurs étant élus pour six ans, et la carte électorale est très défavorable aux démocrates en ceci que cette année ce sont de nombreux sièges démocrates et peu de sièges républicains qui sont renouvelés, mais il se pourrait que le Sénat passe aussi aux mains des démocrates. Nous pouvons donc nous attendre à un gouvernement divisé. Jusqu'à présent, le gouvernement était uni, il n'y avait pas de « cohabitation » entre le président et le Congrès. Si cette éventualité se réalise, le climat politique risque de se détériorer encore plus fortement à Washington car il fait peu de doute que les démocrates lanceraient la procédure d'impeachment contre le président soit sur la base de l'enquête en cours menée par Robert Mueller sur les liens entre la campagne de Trump et la Russie, soit pour d'autres motifs, par exemple financiers, mais l'impopularité de Trump est telle qu'il est difficile d'imaginer que les démocrates ne fassent pas campagne sur cette promesse d'impeachment, cette promesse de « tacler » le président. Cela ne veut pas dire qu'il sera effectivement destitué. Si la procédure est lancée au début du mois de janvier prochain par une Chambre des représentants majoritairement démocrate, il revient ensuite au Sénat de se prononcer en tant que jury, aux deux tiers. Les démocrates peuvent remporter la moitié des 100 sièges au Sénat ; en revanche, une majorité démocrate de 67 sièges est tout à fait hors de portée. Il n'y aura donc pas d'impeachment, à moins que des républicains ne décident de se joindre aux démocrates. Traditionnellement, le parti à la Maison Blanche perd les élections de mi-mandat. En l'occurrence, les pertes pourraient être extrêmement importantes, ce qui dégradera encore plus la situation politique.

Un dernier mot maintenant des effets sur le système international dans son ensemble de cette politique brouillonne, peu lisible et souvent contradictoire. En termes de réputation d'abord, les États-Unis sont retombés à leur niveau de la guerre d'Irak en 2003 et 2004. Cette perte de prestige et cette image dégradée dans l'opinion publique mondiale ont évidemment un coût diplomatique réel, et important. L'affaiblissement des États-Unis pèse sur les différents équilibres en Asie de l'Est, au Moyen-Orient et ailleurs ; cela modifie évidemment les calculs des autres acteurs du système international. La Chine est le plus grand bénéficiaire de ces hésitations et de ces turbulences, tandis que d'autres pays, comme la Russie ou des pays du Moyen-Orient, en profitent pour avancer leurs pions.

Au-delà de ces modifications du système international, il y a la question des normes. Les États-Unis nous avaient habitués à être les défenseurs des normes, évidemment avec des lacunes, de l'hypocrisie, des doubles standards, mais tout de même, et ils avaient une certaine ambition en matière de gestion des biens publics mondiaux et des défis collectifs. Ce n'est plus le cas, et l'exemple donné par Trump n'est pas perdu pour tout le monde, notamment en ce qui concerne les rapports du pouvoir avec la presse ou les droits de l'homme. De nombreux pays se sentent autorisés à faire la même chose que Trump attaquant les journalistes ou remettant en question les normes et les droits de l'homme. Tout cela marque évidemment un recul et une défaite de ces normes et standards.

Je m'en tiens à cet aperçu en ce qui concerne les États-Unis, mais je serai heureux d'entrer dans les détails, mesdames et messieurs les députés, à la faveur des questions que vous me poserez.

Le deuxième sujet sur lequel vous m'interrogez n'est pas sans lien avec le premier. Depuis plusieurs années, le CAPS mène une réflexion sur le fait que les Français plutôt efficaces diplomatiquement sont insuffisamment présents dans les lieux où se débattent les questions internationales, où se forgent les concepts et les représentations du monde. Dans ces rencontres internationales, il est très fréquent qu'il y ait neuf Allemands, cinq Britanniques, souvent un Italien et un Espagnol et pas de Français – ou alors le Français ne parle pas anglais et ne peut échanger et défendre une vision propre. Un deuxième problème est que Paris n'est pas suffisamment un endroit où l'on parle des questions internationales. Pour cela, on va à Davos, comme en ce moment, à la conférence de Munich sur la sécurité ou, pour les questions de sécurité en Asie de l'Est, au Shangri-La Dialogue de Singapour.

Il y a deux ans, un rapport d'Yves Saint-Geours traitait de ces questions. L'an dernier, Pierre Buhler en a rédigé un autre sur la place de la France dans le débat d'idées. En ressortait notamment l'idée d'organiser un événement annuel à Paris qui soit non pas la réplique de ceux de Davos, Munich ou au club de discussion Valdaï mais quelque chose de différent qui corresponde un peu à notre vocation.

Le modèle était bien plutôt celui de la COP21 que celui de ces grandes conférences internationales. Deux éléments nous intéressent particulièrement dans la réussite de la COP21 : premièrement, l'articulation du Nord et du Sud, la conciliation des exigences du G77 et d'un certain nombre de pays du Nord, ce qui n'était pas du tout écrit d'avance, avec une attention réelle portée aux pays du Sud, pas simplement les plus importants ; deuxièmement, une articulation entre, d'une part, les États et les organisations nationales, et, d'autre part, une société civile qui ne se limite pas aux ONG mais qui rassemble les villes, les entreprises, les syndicats, les groupes religieux, les groupes d'experts et la masse des ONG, pas simplement les ONG occidentales.

Cette inspiration nous a servi de base pour faire des propositions à l'Élysée. Le Président de la République en a parlé lors de son discours à la conférence des ambassadeurs à la fin du mois d'août dernier. Puis il a jugé utile de me confier une mission pour la préfiguration de ce qui s'appelle donc maintenant le Forum de Paris sur la paix. Cela a été décidé aux mois de novembre et décembre dernier, cela formera une partie des commémorations du 11 novembre prochain, auxquelles le Président de la République a invité 83 chefs d'État à Paris. L'idée du Président de la République est de ne pas se limiter à la commémoration du passé et de la guerre – c'est important mais cela ne suffit pas – et de profiter de la présence de ces chefs d'État et de ces délégations pour se tourner vers la paix, l'avenir et la construction de la paix. Le Forum de Paris repose sur l'idée que la paix n'est pas simplement l'absence de guerre même si elle est généralement définie négativement comme l'armistice, la suspension des hostilités. En fait, une paix durable et soutenable, c'est une coopération internationale, ce sont les institutions internationales, la justice internationale, la gestion en commun des biens publics mondiaux et du climat, tous facteurs qui contribuent à faire reculer la guerre et ses causes. La paix est sous-investie. Le budget de l'ONU diminue, tandis que tous les budgets militaires augmentent et que des forces assez puissantes contrecarrent cet objectif de paix, en particulier les forces du populisme à l'intérieur d'un certain nombre de pays démocratiques. En outre, la concurrence internationale et la multipolarité font que l'attitude des différents pays est de moins en moins coopérative et de plus en plus concurrentielle face aux défis mondiaux. L'idée est donc de proposer chaque année un endroit où se réunissent tous ceux qui, comme le disait le Président de la République et comme le soulignait le ministre Jean-Yves Le Drian à la fin du mois de décembre dernier, souhaitent travailler sur l'organisation du monde, tous ceux qui pensent qu'une action collective est encore souhaitable et possible, tous ceux qui ont des projets pour organiser les choses un peu au-delà des frontières et qui estiment que les défis globaux ne pourront pas être relevés par les pays seuls mais nécessiteront une forme ou une autre d'action collective. Ils auront un endroit pour se regrouper et montrer que cette ambition n'a pas disparu. L'idée est donc que se tienne chaque année, en commençant le 11 novembre 2018, ce Forum de Paris. Ce serait une organisation privée, certes impulsée initialement par l'État, mais dont nombre de membres fondateurs seraient des pays du Sud. Le tour de table réunit l'Observer Research Foundation de New Delhi, la fondation brésilienne Getúlio Vargas, qui doit encore confirmer sa participation, la fondation panafricaine Mo Ibrahim. Cette organisation organiserait collectivement cette rencontre, qui serait non pas simplement une conférence où l'on parle mais une conférence centrée sur les solutions de gouvernance. Le mot n'est pas très heureux, c'est pourquoi il ne figure pas dans l'intitulé de la conférence, mais c'est bien de cela qu'il s'agit : comment réguler la mondialisation, organiser la gestion des biens publics mondiaux, améliorer et renforcer le soutien aux organisations multilatérales, souvent mal en point et qui souffrent d'un déficit d'image et de financement ? Les solutions seraient débattues, et, comme à la COP21, un espace permettrait aux organisations de présenter leurs projets, initiatives, concepts nouveaux en termes de gouvernance, dans différents domaines : paix et sécurité, justice, médiation, environnement, développement durable, monde numérique, puisque c'est devenu un enjeu majeur, et échanges humains, ce qui regroupe les questions touchant aux migrations, au commerce et à l'investissement.

L'ambition est que cette rencontre se tienne chaque année, et montre que Paris peut jouer encore ce rôle d'articulation entre les États et la société civile, d'une part, et entre le Nord et le Sud, d'autre part.

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