Intervention de Philippe Errera

Réunion du mardi 20 février 2018 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Philippe Errera, directeur général des relations internationales et de la stratégie au ministère des armées :

Madame la rapporteure, je n'ai pas parlé du processus d'élaboration de la Revue stratégique mais il convient de souligner que même si elle a été pilotée par la ministre des Armées, contrairement au livre blanc qui l'a été sous l'autorité du SGDSN (Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale), le comité a fait une très large place au ministère des affaires étrangères ainsi qu'au ministère de l'intérieur. Le représentant du ministère des affaires étrangères qui siégeait au comité en a été l'un des membres les plus actifs. Non seulement la Revue stratégique a été approuvée en conseil de défense par Jean-Yves Le Drian mais en outre, elle comprend de nombreuses références à la nécessité d'articuler les fameux trois « D » dont a parlé le Président de la République à plusieurs reprises : défense, diplomatie et développement. L'outil diplomatique doit nous servir non seulement à façonner le contexte juridique et politique dans lequel nous intervenons mais aussi à la stabilisation et à ce qu'on appelle la sortie de crise.

Quant à l'ambition européenne, elle est présente dans la loi de programmation militaire, non seulement dans le langage mais aussi dans le cadre de plusieurs programmes que nous souhaitons poursuivre en coopération avec d'autres États européens. Il y a tout d'abord le drone MALE, que nous développons avec l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie et que nous envisageons de proposer dans les semaines qui viennent à nos partenaires européens en tant que projet dans le cadre de la CSP. Il y a aussi la surveillance spatiale, ce qui me donne l'occasion de vous répondre, monsieur le député Leroy. Dans le cadre de la LPM, nous avons fait le choix de moderniser le système de commandement et de conduite des opérations aériennes (SCCOA 5) qui comprend une dimension de surveillance spatiale. Nous le ferons de toute façon à titre national mais nous verrons aussi, avec ceux de nos partenaires européens qui ont à la fois des intérêts et des capacités en matière de surveillance spatiale, tels que l'Allemagne et l'Italie, comment renforcer nos moyens en commun. Parallèlement à ces projets multilatéraux, nous avons des projets bilatéraux, tels que le système de combat aérien futur avec le Royaume-Uni, si ce dernier est en mesure de confirmer les engagements financiers qu'il a pris, et avec l'Allemagne, si l'on peut aller de l'avant sur la base des engagements de juillet dernier. Bref, la coopération internationale est vraiment au coeur de la LPM.

S'agissant de l'aspect budgétaire de la LPM, si vous aviez interrogé la ministre des armées, monsieur Deflesselles, sans doute vous aurait-elle répondu qu'elle aurait préféré que la trajectoire soit linéaire. Cela étant, le Président de la République et le Gouvernement doivent concilier leur volonté ferme de faire un effort significatif et inédit à court terme et la nécessité de dégager des marges de manoeuvre et de souveraineté financière en allégeant la dette. Concernant la période couvrant les trois dernières années de la LPM, les tendances de notre environnement et les menaces qui pèsent sur nous me rendent plutôt serein. Il est vrai qu'aucune LPM n'avait été respectée à la lettre sauf que s'agissant de la dernière en date, la dégradation de l'environnement stratégique – en particulier depuis 2015 – a conduit le Gouvernement et le Parlement à décider de budgets annuels de défense supérieurs à ceux prévus en loi de programmation. Dans le contexte actuel et avec les perspectives d'évolutions que nous connaissons, il n'est pas envisagé de réduire cet effort. Oui, les marches resteront élevées mais je suis confiant. Il est vrai que les provisions pour OPEX sont désormais intégrées au budget de la défense mais elles ont augmenté et tout dépassement serait financé dans un cadre interministériel, ce qui n'était pas acquis. À l'inverse, si nous dépensons moins que ce que prévoit cette provision, les crédits resteront au budget du ministère des armées.

S'agissant du caractère « étroit » de la Revue stratégique, nous avons travaillé dans un temps contraint et avons réussi à rédiger en trois mois un document qui l'est normalement en un an minimum. Le Président de la République, dans son mandat, a demandé les éléments nécessaires pour pouvoir préparer la LPM, de manière à ce que cette dernière puisse être présentée au Parlement au début de l'année 2018. D'où le choix de confier cette Revue à la ministre des armées.

Je conteste toutefois que cette Revue stratégique soit purement militaire : les facteurs qui affectent notre sécurité concernent aussi bien le champ militaire que les autres évolutions auxquelles nous faisons face au plan international. C'est pourquoi nous avons souhaité que des représentants du ministère des affaires étrangères, du ministère de l'intérieur et du SGDSN, mais aussi des personnalités qualifiées (civiles) siègent au comité de rédaction de la Revue, et que nous avons regardé les évolutions dans des domaines comme la situation sanitaire internationale ou les dérèglements climatiques.

Le choix d'un modèle d'armée complet n'est pas une absence de choix mais, au contraire, un choix tout à fait délibéré, compte tenu des menaces auxquelles nous faisons face et des scénarios d'engagement possibles pour nos forces dans les années à venir. Nous aurions pu aller plus loin, dans le cadre de la Revue, pour identifier les aptitudes militaires sur lesquelles nous souhaitions porter l'effort. Ce qui n'a pas été fait dans la Revue l'a été dans le cadre de la préparation de la LPM : ce qui compte, c'est que le projet de LPM identifie bien les fonctions stratégiques et les axes sur lesquels nous voulons porter l'effort.

Je serais ravi de discuter plus longuement de la recherche stratégique et de la prospective avec ceux d'entre vous qui s'intéressent à ce sujet. Je mentionnerai simplement un élément nouveau : le Pacte enseignement supérieur lancé sous Jean-Yves Le Drian, qui nous permet d'utiliser les crédits du ministère des armées non seulement pour nourrir l'écosystème des instituts de recherche et think tanks français, ce qui est certes important, mais aussi pour opérer un décloisonnement par rapport à la recherche universitaire et apporter à des chercheurs individuels ou à des laboratoires de nos universités, qui ne travaillent pas de manière unie dans le champ de la recherche stratégique ou internationale, une capacité de développement, notamment par le financement de doctorats et post-doctorats ainsi que par la création de labels d'excellence.

Plusieurs questions ont été posées sur l'IEI. Cette initiative part d'un double constat. Tout d'abord, le nombre de nos partenaires européens qui ont la capacité militaire et la volonté politique de s'engager en opération est relativement restreint. Ensuite, lorsque nous, Français, nous engageons dans des opérations, nous le faisons dans des délais parfois très brefs. Il s'agit certes d'une bonne chose, mais nous ne prenons parfois pas le temps de nous concerter avec nos partenaires Européens. Il est donc délicat de leur reprocher après de ne pas être à nos côtés. Or, lorsque nous dialoguons avec eux, ils se mobilisent et peuvent venir en soutien de nos opérations.

Dès le printemps 2016, nous avions relevé la nécessité d'identifier les quelque pays avec lesquels nous sommes les plus susceptibles d'agir, ainsi que les améliorations possibles, chez nous et chez nos partenaires, afin de faciliter les déploiements en opération. Cela passe par un travail en amont sur les scénarios d'intervention, un meilleur partage de renseignement, une meilleure anticipation stratégique, en vue d'abaisser le coût avant l'opération, un renforcement des synergies pendant l'opération par un soutien logistique mutuel, une amélioration du retour d'expérience après l'opération. Pour caricaturer, c'est l'Europe de la défense pour les armées et non pour les diplomates et cela ne se fait donc pas dans le cadre d'une institution particulière, ni de l'Union européenne, ni de l'OTAN mais par le biais de coopérations bilatérales.

Nous avons présenté ces quatre « corbeilles » à une petite dizaine de partenaires européens en décembre et janvier, et nous sommes en train de recueillir leurs réactions, positives pour une grande partie d'entre eux J'accueillerai le 20 mars à Paris l'ensemble de mes homologues de ces pays, avec des représentants de l'état-major des armées, de manière à préparer un lancement officiel au niveau des ministres au mois de mai.

Ceci n'est pas contradictoire avec la CSP. Il est tout de même très positif de voir que tous les pays veulent en faire partie, alors qu'il y a deux ou trois ans inscrire le sujet de l'Europe de la défense à l'ordre du jour des Conseils européens était difficile. Il faut tirer profit de cette évolution pour obtenir des résultats, en termes de capacités opérationnelles.

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