Intervention de Philippe Errera

Réunion du mardi 20 février 2018 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Philippe Errera, directeur général des relations internationales et de la stratégie au ministère des armées :

Avons-nous été trop timides ? On peut considérer qu'une augmentation d'1,7 milliard d'euros par an, c'est beaucoup. Mais, quand on regarde les besoins, notamment liés à la régénération des forces que le sur-engagement rend nécessaire par rapport au contrat opérationnel du Livre blanc de 2013, cela ne permet pas de tout faire. Dans le cadre de la préparation de la LPM, nous avons identifié ce qui devait être fait de manière prioritaire et urgente pour ne pas compromettre le modèle et pour préparer l'avenir le mieux possible. Je pense que, dans chacun des domaines clés et dans les fonctions transversales, comme le cyber, l'investissement est suffisant pour pouvoir consolider et maintenir le modèle d'armée complet, qui est indispensable.

La défense européenne est-elle la seule réponse ? Oui et non. L'évolution de notre environnement de sécurité fait que les Européens sont de plus en plus nombreux à considérer qu'ils n'ont pas le luxe de choisir leurs menaces, ce qui n'était pas évident il y a cinq ou dix ans. La chute des budgets de défense a été enrayée et l'augmentation est désormais de plus en plus générale. Il faut poursuivre ce mouvement dans la durée car la chute a été telle depuis la fin de la Guerre froide que même cette remontée depuis 2012 2013 n'est pas encore suffisante. Mais la condition est que cette défense européenne se traduise par des capacités supplémentaires, des budgets investis de manière intelligente dans la technologie, l'industrie, les capacités de projection, en allant au-delà, comme certains pourraient en être tentés, de simples avancées institutionnelles.

Dans certains domaines, nous dépendons des capacités américaines pour pouvoir agir avec la liberté de manoeuvre que nous souhaitons. Cela ne signifie pas que l'on ne pourrait pas intervenir sans les États-Unis, mais leur appui nous facilite grandement les choses. Au Sahel, par exemple, ils assurent une grande partie de notre ravitaillement aérien ; l'état de notre flotte de ravitailleurs est tel que nous devons nous appuyer sur eux. Ils nous apportent également du renseignement, notamment par les drones ; nous pourrions agir sans ces drones mais avec des résultats moindres.

La dépendance n'est pas en soi rédhibitoire, mais nous souhaitons cependant la réduire autant que possible. C'est la raison pour laquelle la LPM tend à consolider notre fonction d'intervention dans des domaines comme le ravitaillement et le renseignement, en particulier les drones. Ensuite, il y a des choix à faire. Nous considérons que, sur certains théâtres, il est probable que nous interviendrions dans le cadre d'une coalition avec les États-Unis.

Le risque biologique est traité de façon relativement sommaire dans la Revue. Ce n'est pas que nous considérions qu'il ne s'agit pas d'une menace importante. Nous sommes préoccupés par deux choses. La première est la banalisation de certaines technologies. Il y a dix ans, certaines capacités de synthèse d'ADN et d'autres étaient l'apanage des États et des grands laboratoires universitaires. Elles sont aujourd'hui accessibles à un nombre bien plus grand d'acteurs. Cette évolution, positive en termes de santé, est aussi potentiellement dangereuse si l'on pense à des usages hostiles. Les groupes terroristes n'ont toutefois pas encore la sophistication nécessaire, en termes notamment de vectorisation, et continuent de préférer utiliser, pour semer la terreur, camions, kalachnikovs, charges explosives simples, voire un agent chimique, plutôt qu'un agent biologique.

Nous avons contribué dès son lancement à la présence avancée renforcée dans les pays Baltes, d'abord en Estonie sous commandement britannique, puis cette année en Lituanie sous commandement allemand, et l'année prochaine de nouveau en Estonie. Nous y contribuons de manière substantielle, avec près de 300 soldats, et surtout robuste puisqu'il s'agit d'unités blindées avec des chars Leclerc. Cette présence avancée renforcée ne vise pas à elle seule à dissuader la Russie d'une agression conventionnelle. Nous avons bien veillé, dans les réunions préparatoires à l'OTAN, à bien expliquer la fonction stratégique de cette présence. La Russie peut mobiliser des dizaines de milliers d'hommes de l'autre côté de la frontière, ce n'est donc pas avec le millier d'hommes dans chaque pays Balte que nous la dissuaderons. Mais nous élevons le seuil d'une action hybride : nous empêchons une prise territoriale qui se ferait avec quelques hommes traversant la frontière en car et, ce faisant, nous obligeons tout dirigeant russe qui songerait à tester l'OTAN à mener véritablement une agression armée, à coût politique élevé.

Cette présence est considérée comme extrêmement bénéfique par nos partenaires baltes. Non seulement elle renforce leur sécurité, mais elle contribue aussi à la sécurité de l'ensemble de l'Alliance. Je ne pense pas que les dirigeants russes caressent aujourd'hui l'idée d'une invasion territoriale mais ils peuvent être tentés de tester l'unité et la cohésion de l'Alliance. J'ajoute que cette présence renforce la coopération bilatérale avec les pays baltes, notamment l'Estonie. Le Gouvernement estonien, cela n'a pas été noté par les médias en France, a donné des indications publiques, avant un débat au Parlement, de sa disponibilité pour mettre des forces de combat au sol dans notre opération Barkhane. Ce serait le premier pays à le faire.

S'agissant de la dimension budgétaire, présente dans deux des questions posées, la clé de répartition existe pour les opérations de l'Union européenne, comme la mission de formation de l'armée malienne depuis 2013, ou encore EUFOR TchadRCA en 20092010. Nous nous efforçons d'élargir le champ de ce qui peut être couvert par les coûts communs et nous avons déjà obtenu que les coûts de transport depuis l'Europe et de redéploiement le soient.

S'agissant des opérations qui ne sont pas de l'Union européenne en tant que telle mais où des Européens sont sur le terrain, chacun paie pour ses propres déploiements. C'est ce qui nous conduit à rechercher un nouveau modus vivendi, par l'IEI et d'autres coopérations multilatérales. Lors du sommet franco-britannique du 18 janvier, nous avons obtenu l'engagement d'hélicoptères lourds Chinook en appui à Barkhane. Tout le monde se concentre sur le partage du fardeau transatlantique, et c'est certes un enjeu – on ne peut pas parler d'autonomie stratégique européenne et maintenir un tel déséquilibre entre ce que dépensent les États-Unis et les Européens pour la sécurité –, mais un sujet au moins aussi important est le partage du fardeau entre Européens. La France seule, ou le Royaume-Uni et la France ne peuvent continuer de dépenser autant pour des opérations qui ont des retombées positives pour l'ensemble des Européens. La nouvelle coalition allemande et les premières décisions qu'elle prendra seront clé de ce point de vue.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.