Je commencerai par la question de M. Cellier sur la filière de démantèlement et d'assainissement. Mon idée est qu'il faut probablement passer à une autre échelle. Il existe des acteurs, petits ou gros, qui peuvent contribuer à ces opérations. Leur santé économique peut être un peu vacillante parce que ces chantiers se révèlent compliqués. Il me semble qu'il faudrait faire émerger une entreprise commune qui aurait la responsabilité de mettre les principaux acteurs autour de la table et qui s'assurerait de la présence d'un tissu de petites et moyennes entreprises (PME) autour du CEA. Pour ce faire, il faudrait prendre une ou deux installations pilotes pour tester le système.
Un peu à l'instar de ce qui est demandé aux États-Unis et après les diligences faites sur l'installation, il faudrait vérifier la capacité de l'entreprise commune à prendre certains engagements en vue d'une gestion globale du contrat d'assainissement. En effet, l'une des difficultés actuelle est la complexité liée à la gestion des interfaces entre les différents fournisseurs. Il faut donc réfléchir à une offre intégrée impliquant des acteurs de la filière nucléaire et d'autres, comme Veolia, qui ont l'expérience d'installations différentes, par exemple dans le secteur de la chimie. Il s'agit aussi d'emmener un tissu de PME dans la filière. Une telle démarche, qui serait novatrice en matière d'assainissement, suppose de faire la tournée de toutes les parties prenantes. Ce sera l'une des premières choses auxquelles je m'attellerai. Enfin, peut-être… Pardonnez-moi de retomber sur mon conditionnel, mon futur et mon présent.
Monsieur Cinieri, vous m'avez posé une question un peu redoutable : combien de temps faut-il pour faire tout cela ? Le mandat de l'administrateur général est de quatre ans après avoir été allongé d'un an. C'est court. Je ne vous en demande pas déjà plus mais, étant donné le contexte, il faut agir relativement vite. Certaines évolutions se faire relativement vite. Cela étant, mon expérience à Météo France et à l'Ifremer m'a rendu modeste : souvent, ce sont vos successeurs qui moissonnent ce que vous avez semé. Il faut poser les bases et construire le socle ; les résultats se verront dans cinq ou dix ans, c'est-à-dire dans un temps qui excède la durée du mandat de l'administrateur général.
Monsieur Laglaize, vous m'avez interrogé sur le dépôt de brevet, un sujet sur lequel j'aurais besoin de me confronter avec les équipes pour vraiment vous répondre. Avec un nombre de brevets déposés qui doit avoisiner les 680, le CEA est le quatrième déposant français. La Cour des comptes s'est livrée à une petite analyse sur le coût de l'entretien du portefeuille de brevets comparé aux redevances associées, qui montre que l'on se trouve à peu près à l'équilibre, peut-être un peu en dessous.
Ces dépôts de brevets permettent de constituer des grappes et d'avoir une cartographie de certains domaines techniques. Il faut donc continuer à déposer des brevets, sans aucun doute. La question est de savoir où se situe l'optimum en considérant la nature et le volume des brevets. Déposer le plus possible de brevets n'est pas forcément un objectif mais j'ouvre un droit de réserve tant que je n'en ai pas discuté avec les équipes. Le taux de dépôts comparé au nombre de salariés de l'institut allemand Fraunhofer est plus faible sans forcément que les résultats soient moins bons. Il faut probablement travailler le modèle.
J'en viens à votre question sur l'international et sur la stratégie à adopter en matière de propriété industrielle. L'aspect international est absolument majeur. Le Président de la République a une stratégie dans le domaine du climat qui s'inscrit dans la ligne de l'accord de Paris. Dans le difficile contexte actuel, vu l'attitude de certains pays, si l'on veut que cette stratégie prospère, il va aussi falloir développer des technologies et essayer d'accompagner certains pays. Le développement technologique doit servir à l'échelle nationale et comporter des spécialisations plus adaptées sous d'autres latitudes, dans d'autres types de contexte climatique ou autres. Le CEA, en partenariat avec l'industrie et avec des filières industrielles françaises, peut relever ce défi.
Le commissariat a toujours voulu rester maître de sa propriété industrielle dans le souci de la protéger mais aussi parce que c'est autour d'elle que se construisent les coopérations futures. Je suis convaincu de la pertinence de ce modèle. Il faut trouver l'équilibre qui permette un retour industriel de cette propriété industrielle sous forme de redevances et de capacité à monter de nouvelles entreprises, ce qui est aussi une manière de se protéger. Cela n'empêche pas de rester en première ligne dans la lutte contre la contrefaçon, dans la continuité de ce que fait France Brevets. Il est extrêmement important de ne pas abandonner les portefeuilles de brevets.
J'en arrive aux questions budgétaires de Mme de Montchalin. Le CEA est confronté à des difficultés budgétaires sérieuses : avec les 740 millions d'euros dédiés tous les ans à l'assainissement et au démantèlement, il n'arrive pas à couvrir le programme tel qu'il devrait théoriquement se dérouler pour faire droit à la planification souhaitée par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Ce montant n'est qu'une composante des 4,5 milliards provenant des diverses sources de recettes publiques et industrielles.
Le CEA a du mal à boucler son budget d'investissements et à lancer des projets significatifs tels que le réacteur Jules Horowitz, le programme ASTRID (Accompagnement spécifique des travaux de recherches et d'innovation défense) ou le renouvellement d'installations du cycle du combustible nucléaire ou périphériques au réacteur Jules Horowitz.
Au cours de l'année à venir, il nous faut bâtir avec la puissance publique une trajectoire consensuelle et soutenable. Tout d'abord, il faut vraiment se mettre d'accord sur ce qui est essentiel, sur ce que l'on tient absolument à préserver et, éventuellement, sur ce à quoi l'on renonce. Ensuite, il faut s'assurer de s'y tenir pendant les dix années suivantes, grâce à une gestion rigoureuses des projets et des budgets, et au respect des délais. Le CEA n'a plus vraiment de plan à moyen terme sur dix ans, alors que ce serait la manière de procéder.
À l'échelle de Météo France et de l'Ifremer, j'ai pu constater un autre point important : il faut veiller au coût de possession inhérent à chaque projet d'investissement. À l'époque où j'étais patron de Météo France, l'éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull avait mis par terre tout le trafic aérien international. À cette occasion, il avait été jugé formidable d'installer des lidars (light detection and ranging) qui permettaient de suivre le nuage de poussière et de faire des mesures. J'avais obtenu des crédits d'investissement pour une dizaine de lidars. J'ai alors demandé à mes services combien allait me coûter l'entretien annuel du lidar installé dans les aéroports. Quand j'ai réalisé ce que ça allait consommer du budget de fonctionnement de la direction du système d'observation de la météo, j'ai réduit l'investissement. Ce n'était pas soutenable et il valait mieux réduire le nombre de points.
J'ai l'impression que le même genre de difficulté se rencontre dans des projets du secteur nucléaire où ces coûts sont particulièrement lourds, ainsi que dans le domaine technologique notamment pour les PRTT qui partent d'une idée extrêmement séduisante et positive en termes d'irrigation du tissu industriel.
Quel est le modèle technologique et économique de ces PRTT à moyen terme ? C'est bien le problème. On peut faire une analogie avec mon raisonnement sur l'investissement et le fonctionnement. Des investissements ont été payés, des dotations ont été données, 180 postes ont été affectés hors plafond d'emplois. On arrive la fin de l'expérimentation et on se demande s'il ne va pas falloir réintégrer ces postes dans le plafond d'emplois et si les recettes et les soutiens locaux ne vont pas disparaître. Il faut s'interroger sur la manière de pérenniser les PRTT grâce à un nécessaire socle de recettes industrielles mais aussi en revoyant le modèle. Il ne faut pas que la recherche du contrat devienne une course en avant qui finisse par asphyxier les équipes. C'est l'une des préoccupations que l'on rencontre autour du ressourcement dans le domaine de la recherche technologique. Il faut donc stabiliser les cinq PRTT existantes et bien réfléchir avant d'en créer de nouvelles. Quoi qu'il en soit, il faut gérer tout cela de manière très rigoureuse.
Je vais finir par votre question qui m'habite déjà au quotidien à l'Ifremer : le travail en commun, notamment sur le modèle des unités mixtes de recherche (UMR). Ne nous dissimulons pas la vérité : il n'est jamais simple de travailler en commun, une fois que les directions d'organismes ont manifesté leur intention de nouer des partenariats. Chacun a son identité, ses envies et ses comptes à rendre. Certaines UMR ont quatre tutelles, donc autant de modes de restitution. Même quand on essaie d'homogénéiser, ce n'est pas toujours très simple. Établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), l'Ifremer a des modalités de restitution et d'arrêté des comptes qui diffèrent de celles d'un établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST).
Il me semble qu'un travail en commun ne peut fonctionner que si chacun est extrêmement clair sur son projet et ses attentes, et s'il respecte le projet et les attentes des autres. J'en reviens à mon exemple de l'Ifremer. À la pointe de la Bretagne, on a un certain nombre d'UMR. Le travail en commun pourrait très bien fonctionner entre l'université, le CNRS, l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et l'Ifremer. Cependant, il faut pour cela que la singularité de l'Ifremer soit respectée : c'est un organisme à finalité, qui vient en appui aux politiques publiques, qui doit avoir une vocation d'intégration vers la mer pour le compte de l'État. Les autres doivent respecter cette singularité et comprendre qu'elle implique certaines orientations.
Toutes proportions gardées, je pense que le CEA peut aussi travailler sur le modèle de l'UMR et il le fait déjà : le Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE) en est un très bel exemple. Cela suppose un projet bien constitué et une discussion entre organismes pour s'assurer du respect mutuel.
Pour revenir un instant à mon propos liminaire sur les très grandes infrastructures de recherche (TGIR), le CEA et le CNRS sont concernés au premier chef. La question est de savoir si l'on ne peut pas faire plus et mieux en rationalisant, en ayant une gestion un peu moins imbriquée, en imaginant des systèmes où l'un accorde une délégation à l'autre en ne conservant qu'un droit de regard. Dans son projet pour le CNRS, M. Antoine Petit a énoncé ce genre d'idées, que je trouve très sympathiques. Cependant, cela ne peut marcher qu'à condition qu'il y ait du respect et de la bonne foi entre les organismes. Je l'ai vécu dans le cadre de l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement, AllEnvi. Faire fonctionner vingt-huit organismes dans les sciences de l'environnement peut se révéler compliqué, mais, pas à pas, on arrive à concrétiser des initiatives, même avec deux personnes au secrétariat exécutif et 180 000 euros de budget.
Monsieur Delpon, je ne sais pas si vous avez eu la générosité de m'interroger sur l'hydrogène et le cloisonnement parce que j'allais me sentir spontanément à l'aise avec le sujet, mais vous prêchez pour des thèmes chers à mon coeur. J'ai passé mes jeunes années au Centre de sociologie de l'innovation de l'École des mines où j'ai eu pour maîtres Michel Callon – mon directeur de thèse – et Bruno Latour, des gens qui ont plaidé pour cette construction sociotechnique. La technologie, la science et la technique ne peuvent pas s'imposer au monde social, pas plus que l'inverse. Il ne s'agit pas d'affirmer aux gens que la science et la technologie sont de bonnes choses ; il faut parvenir à montrer que l'on peut construire un usage, une forme de coopération adaptée entre les uns et les autres. Cette idée m'est chère parce qu'elle a été au centre de mon travail initial. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine car on voit bien qu'une partie des problèmes que l'on rencontre dans la transition énergétique y est liée. Il ne s'agit pas seulement d'avoir identifié des briques technologiques, encore faut-il savoir comment les insérer dans certains contextes. Le contexte social est capable de les accueillir, voire de les modifier.
En ce qui concerne l'hydrogène, nous sommes parvenus à un moment clé. Il y a une vingtaine d'années, je soutenais des recherches sur l'hydrogène lorsque j'étais au ministère de la recherche où l'on me promettait monts et merveilles que je n'ai pas forcément vus à l'époque. En ce moment, il se passe quelque chose dans la technologie des électrolyseurs, les coûts commencent à devenir acceptables. Comment cela peut-il s'insérer dans un usage, en réglant les questions de sécurité et de réseaux d'approvisionnement ? Il faut voir au-delà de la percée technologique et imaginer un projet intégrateur.