L'ensemble des directions départementales chargées de la protection des populations fonctionnent avec des boîtes institutionnelles « alerte » qui sont utilisées tant par la DGAL que par la DGCCRF. Il y a donc un point d'entrée unique, commun au sein des directions départementales chargées de la protection des populations. Quand on se prépare à un exercice de gestion de crise, on part souvent de l'hypothèse que l'on reçoit une alerte le vendredi soir, quand tout le monde est parti du bureau et alors qu'il n'y avait eu aucun signe avant-coureur. C'est ce qui s'est passé le 1er décembre : nous avons reçu un premier courriel à 18 heures 34 sur la boîte alerte de la DDCSPP. Évidemment, il n'y avait personne pour le relever. La DGCCRF l'a donc doublé d'un appel téléphonique à 18 heures 45.
C'est moi qui ai reçu sur mon portable cet appel m'indiquant qu'il y avait un problème avec des produits Lactalis, mais qu'on ne connaissait pas exactement l'origine ni l'usine susceptible d'être concernée. Ils nous appelaient parce que le siège social du groupe Lactalis est chez nous et qu'ils savaient que nous devions disposer des numéros de téléphone afin de joindre rapidement l'industriel. C'est ce que je leur ai confirmé. Ils m'ont précisé quelles étaient les marques des produits concernés : il s'agissait de Milumel et Picot. Je leur ai répondu que j'étais sûre que l'usine de Craon, en Mayenne, fabriquait des produits de ces marques-là. Par contre, je n'étais pas certaine que ce soit la seule usine du groupe Lactalis en France qui les fabriquait. La DDCSPP d'Ille-et-Vilaine avait été également destinataire de l'alerte parce que le siège social de Lactalis Nutrition Santé est situé dans le département d'Ille-et-Vilaine. J'ai immédiatement confirmé que nous étions forcément concernés puisqu'il y avait une usine Lactalis en Mayenne, et que nous allions contacter Lactalis. Nous les avons contactés très rapidement par téléphone. J'ai donc pu confirmer aux autorités centrales, à la fois par téléphone et par courriel, à 19 heures 45, que c'était l'usine de Craon, en Mayenne, qui était concernée, et que c'était la seule concernée, Lactalis nous ayant indiqué, dans les échanges que nous avions eus dans cette première heure, que les références produit n'étaient fabriquées que dans l'usine de Craon. Je précise que nous n'avions aucun numéro de lot. C'est donc bien le vendredi 1er décembre, à 19 heures 46, grâce à l'information de Lactalis, qu'on a pu cerner que les produits venaient de l'usine de Craon en Mayenne.
J'ai donc, dès le premier appel, mobilisé mes deux chefs de service compétents, à savoir le chef du service « sécurité sanitaire des aliments », qui dépend de la DGAL au ministère de l'agriculture, et la cheffe du service « concurrence consommation et répression des fraudes », qui dépend de la DGCCRF. Tout au long du week-end, nous avons géré la crise tous les trois, en nous répartissant les rôles et en définissant immédiatement des principes très clairs : les autorités centrales ne nous envoyaient des messages que sur la boîte « alerte », et nous avions également défini des règles claires avec Lactalis, qui ne devait nous communiquer ses informations que sur cette boîte, afin que tout soit traçable. J'avais en effet conscience qu'il se produisait quelque chose de tout à fait anormal, puisque nous étions alertés à la suite de plusieurs cas de bébés tombés malades sans qu'aucun signe avant-coureur n'ait pu le laisser présager.
Cela répond à l'une de vos questions : ni moi ni aucun de mes deux chefs de service n'avions jamais eu connaissance d'un problème de salmonelles dans cette usine, sachant, comme vous l'a expliqué M. Dehaumont, qu'une entreprise n'est pas tenue de faire un signalement aux autorités à la suite d'un contrôle environnement positif. Si nous avons par la suite récupéré un certain nombre d'informations, au moment du premier appel, le 1er décembre à 18 heures 45, nous ne savions encore rien. J'ajoute que, aucun de nous trois n'occupant ces fonctions à l'époque, nous n'avions pas non plus connaissance des événements de 2005.
En revanche, il se trouve que, le dimanche, j'ai dû gérer le dysfonctionnement du numéro vert mis en place par Lactalis et qu'à cette occasion, j'ai procédé à une veille sur les réseaux sociaux. Or, sur le compte Twitter « Alertes sanitaires », un message a retenu mon attention, qui indiquait que ce n'était pas la première fois qu'un tel incident se produisait avec les laits Picot. Et en effet, le lundi matin, lorsque nous avons rendu compte devant nos équipes du week-end tout à fait exceptionnel que nous venions de vivre, certains, parmi les agents les plus anciens de la DDCSPP se souvenaient que l'usine de Craon avait déjà connu des problèmes par le passé. J'ai donc demandé que l'ensemble des archives, datant de l'époque où les deux directions départementales étaient encore séparées, soient sorties, et c'est ainsi que s'est fait le lien.
Reste que, dans l'ignorance de cet épisode de 2005, nous nous sommes concentrés au cours des premières vingt-quatre heures sur le problème immédiat, qui demandait une réponse extrêmement rapide. Pour être très précise, nous avons interrogé Lactalis sur les résultats de ses contrôles « environnement » à 2 heures 35 dans la nuit du 1er au 2 décembre et avons eu confirmation par courriel, à 3 heures 25, que des contrôles étaient en effet revenus positifs.