Intervention de Laurence Deflesselle

Réunion du mardi 17 avril 2018 à 14h00
Commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques

Laurence Deflesselle, directrice départementale adjointe, coordonnatrice du pôle protection des populations de la DDCSPP de Mayenne :

Il est toujours compliqué d'analyser le déroulement des faits a posteriori, mais je pense que la manière dont a été gérée la crise lors de ce premier week-end constitue l'un des points forts du dossier ; j'ai en effet le sentiment que nous n'aurions pas pu mieux faire et que nous nous sommes très bien organisés.

Bien que l'alerte ait été lancée par la DGCCRF, j'ai activé la double compétence dont je disposais, à savoir la compétence CCRF et la compétence vétérinaire. Par ailleurs, nous avons su prendre localement des décisions qui n'étaient pas commandées par les instructions que nous avions reçues de la DGCCRF, comme, par exemple, la demande faite à Lactalis de nous fournir les résultats de ses autocontrôles environnement. Il faut savoir en effet qu'en cas d'alerte alimentaire concernant des produits mis sur le marché, on s'intéresse prioritairement à la conformité de ces produits, et notre premier réflexe est donc de récupérer tout ce qui touche aux contrôles « produit », sans nécessairement se préoccuper du reste.

Si nous l'avons fait, c'est que toutes les données concernant les contrôles « produit » effectués par Lactalis sur la période de commercialisation visée, à savoir entre mi-juillet et décembre – soit plus d'un millier de contrôles –, données qui nous sont parvenues entre 19 heures 30 et 2 heures du matin, ne révélaient rien d'anormal.

Ayant une confiance absolue dans l'enquête de Santé publique France, menée par des épidémiologistes confirmés, j'en ai déduit que, si les salmonelles ne se trouvaient pas dans les produits, nous avions nécessairement manqué un signal faible ailleurs. D'où ma décision, dès la première nuit, de pousser plus loin les investigations, ce qui nous a permis d'obtenir les résultats des contrôles environnement, qui constituaient un jalon majeur pour reconstituer l'archéologie de la crise.

Juridiquement, cela ne changeait rien à la délimitation temporelle des deux retraits-rappels, le premier concernant les douze lots correspondant aux trois références de produits commercialisés qui avaient provoqué des cas de salmonellose chez des bébés, le second consécutif à l'arrêté ministériel du 9 décembre, qui se fondait, lui aussi, sur la seule épidémiologie des cas.

Cela étant, nous en sommes arrivés, dès la nuit du 1er au 2 décembre, à la conclusion que les contrôles analytiques réalisés sur les produits étaient disqualifiés, puisqu'ils étaient passés à côté d'une contamination assez minime pour avoir échappé au spectre des analyses.

Sur ce point, il appartiendra à la justice de trancher ; en gestion de crise en effet, on ne s'interroge pas sur la responsabilité d'Untel ou Untel, mais on agit au plus vite, pour prendre les décisions qui s'imposent. Par nature, le temps du retour d'expérience vient après, et c'est pour cela que nous sommes ici aujourd'hui.

Pour en revenir à la gestion de crise, nous avons donc eu connaissance dans la nuit du 1er au 2 décembre de deux épisodes avérés de contamination de l'environnement de l'usine, sans avoir la certitude qu'il s'agissait d'épisodes isolés. Nous nous sommes donc rendus sur place dès le 2 décembre, pour examiner les processus de fabrication sur ces deux périodes, et j'ai demandé à Lactalis de bloquer tous les produits fabriqués dans ces laps de temps, considérés comme des périodes à risque.

Si l'information n'a pas été rendue publique, c'est qu'elle n'interférait pas avec les retraits-rappels, puisqu'elle concernait des produits qui n'avaient pas encore été commercialisés et qui ne constituaient donc pas un danger pour le public. Il faut avoir à l'esprit en effet qu'en matière de laits infantiles, la contamination des bébés ne peut pas être immédiate, dans la mesure où, à la différence des produits à date limite de consommation (DLC) courte, pour lesquels les résultats d'analyse arrivent alors qu'ils ont déjà été commercialisés, les laits infantiles font l'objet de contrôles libératoires, c'est-à-dire que les produits ne changent pas de propriétaire tant que l'absence de salmonelles n'a pas été certifiée ; il s'agit en effet de produits à date limite d'utilisation optimale (DLUO) longue, pour lequel le processus de fabrication est étalé dans le temps puisqu'il s'écoule environ un mois entre le passage dans la tour de séchage et le conditionnement. Le stock de produits en cours de fabrication est donc très important.

Certains lots ayant été interdits à la commercialisation, il nous est apparu nécessaire, dès le 2 décembre, de procéder à des contrôles officiels dans l'usine, ce dont nous avons prévenu la DGCCRF le lundi 4 au matin. Dès le samedi précédent cependant, nous lancions une pré-alerte auprès du laboratoire départemental d'analyses qui dépend du conseil départemental et avec lequel nous travaillons en réseau, pour solliciter leur intervention dans l'usine afin qu'ils procèdent à de nouveaux prélèvements.

Ces contrôles officiels, nous avons fait le choix, par souci d'efficacité et puisque les contrôles « produit » étaient, eux, passés, à côté de la présence de salmonelles, de les concentrer exclusivement sur l'environnement ; c'est l'entreprise Lactalis qui, depuis le 4 décembre jusqu'à aujourd'hui, a procédé, à ses frais, à tous les autocontrôles renforcés sur les produits, lesquels contrôles se sont avérés positifs.

Dès le lundi, des contrôles officiels ont donc été effectués dans l'usine : on a chiffonné partout et longtemps, à la recherche de salmonelles, car plus on cherche, plus on a de chances de trouver. Grâce à la réactivité du laboratoire, nous avons eu, dès le 7 décembre, confirmation d'une forte suspicion de salmonelles sur deux prélèvements effectués dans la journée du 4, suspicion dont nous avons immédiatement averti Lactalis. Dès le 8 décembre, le laboratoire confirmait officiellement la présence de salmonelles dans l'usine.

C'est sur cette base qu'ont été prises les deux décisions du 9 décembre, d'une part l'arrêté ministériel portant retrait-rappel de lots potentiellement contaminés et, d'autre part, l'arrêté préfectoral imposant la fermeture partielle de l'usine, celle d'abord de la tour de séchage n° 1, d'où provenaient les lots ayant contaminé des bébés, mais celle également de la tour n° 2, où nos investigations du 2 décembre avaient identifié un autre sérotype de salmonelles, sans lien avec celui qui avait contaminé les enfants. Comme je l'ai dit, il s'agissait de produits non commercialisés, et un retrait-rappel n'était pas nécessaire en l'espèce, le blocage des produits étant suffisant.

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