Intervention de François Bourdillon

Réunion du mercredi 18 avril 2018 à 14h10
Commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques

François Bourdillon, directeur général de Santé publique France :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie d'auditionner Santé publique France sur cette affaire pour laquelle nous avons joué un rôle important, celui de l'alerte.

Je voudrais tout d'abord rappeler le positionnement de l'Agence nationale de santé publique, Santé publique France, et ses liens avec les autres agences sanitaires ou administrations centrales.

Notre métier dans ce domaine est de faire l'alerte. Il était donc particulièrement important d'identifier un signal et de pouvoir lancer l'alerte. C'est notre métier régalien sur lequel je reviendrai.

L'autre aspect de notre métier, c'est d'assurer la surveillance, en particulier des maladies transmissibles, et plus exactement de surveiller les salmonelles dans notre pays. Pour que vous ayez une vision globale de l'importance des salmonelloses en France chaque année, je vous livre quelques chiffres : une étude que nous avons menée il y a quelques années nous laisse penser qu'il y a environ 200 000 cas de salmonellose par an en France avec 4 400 hospitalisations et environ 72 décès. La difficulté pour nous, c'est de savoir quand nous devons lancer l'alerte pour informer notre ministère de tutelle, la DGS, et les autres partenaires concernés, en particulier la DGAL, le ministère de l'agriculture et l'ANSES.

Nous sommes une agence en santé humaine tandis que l'ANSES est une agence en santé animale et végétale qui s'intéresse aux questions environnementales et de travail sur la dimension du risque, alors que nous travaillons sur l'épidémiologie dans les populations. C'est une différence très forte, très marquée. Nous sommes l'agence populationnelle comme il y en a dans tous les pays du monde. La troisième grande agence qui existe, c'est celle du médicament et des produits de santé. Avec ces trois agences, vous couvrez en gros le spectre de la sécurité sanitaire. On doit rajouter le sang qui est à part.

Quand lançons-nous l'alerte ? Comprenez bien la chaîne : quand quelqu'un attrape une salmonellose, il présente des signes cliniques. En fonction de sa gravité, du médecin qu'il consulte, une coproculture est adressée soit à un laboratoire de ville, soit à un laboratoire hospitalier. Lorsqu'une salmonelle est identifiée, ce prélèvement est adressé au centre national de référence qui, grâce aux nouvelles techniques, va faire du séquençage et va être capable de déterminer le type de salmonelle. En fonction de ces données qui nous sont adressées, nous allons analyser la fréquence de ces souches, et le faire dans le temps et dans l'espace.

Ce sont 1 200 laboratoires qui envoient leurs souches au CNR. Comme je vous le disais, la difficulté pour nous c'est de savoir quand il faut tirer la sonnette d'alarme. Avec 200 000 cas de salmonellose par an, si on la tirait tous les jours, c'est comme si on criait au loup tous les jours : il n'y aurait plus de signal. Inversement, on ne doit pas passer à côté d'une épidémie qui pourrait être grave.

Le 1er décembre, nous avons eu un signalement de huit cas de salmonellose chez des enfants de moins de six mois – mes collègues ici présentes ont construit, avec l'aide du CNR, des algorithmes pour que l'ordinateur sonne, ce qui enclenche pour nous une investigation. Les épidémiologistes de Santé publique France se sont mobilisés immédiatement. Ils ont appelé les parents de ces huit enfants pour faire une enquête épidémiologique et essayer d'identifier une source commune. C'est ce qui a été fait en vingt-quatre heures. La souche commune, c'était du lait maternisé produit à l'usine de Craon, en Mayenne. Notre métier a été de lancer immédiatement l'alerte au niveau de la DGS qui assure son rôle de gestion de la crise et réunit, par conférence téléphonique ou physiquement en fonction des crises – je crois qu'il s'agissait ici d'une conférence téléphonique – l'ensemble des parties prenantes pour prendre en compte les éléments de l'alerte et faire en sorte qu'on agisse le plus rapidement possible. Les lots incriminés par notre enquête épidémiologique ont été immédiatement retirés.

Il faut bien comprendre qu'il peut se passer un mois entre le moment où une personne présente un symptôme, réalise une coproculture, et où les résultats arrivent au centre national de référence. Il faut en moyenne une semaine entre le moment où est fait le séquençage, où on nous adresse les résultats et où nous les introduisions dans le système informatique. Le délai est donc parfois long avant de déclencher l'alerte. Mais je tiens à souligner la très bonne réactivité de mes équipes, puisqu'à partir du moment où nous avons eu les souches et que notre système a fonctionné, nous avons identifié la source commune en vingt-quatre heures, et nous avons lancé l'alerte. Quand des cas d'Ébola, de dengue, de maladies vectorielles, d'arboviroses surviennent sur le territoire français, nous sommes tenus d'alerter les autorités pour qu'elles prennent des mesures. Nous assumons plutôt bien cette mission régalienne. L'unité qui m'accompagne aujourd'hui est très axée sur la sécurité sanitaire, et sa capacité à déclencher les alertes est reconnue au niveau européen. Ce que j'ai dit sur le signalement français, je pourrais le dire sur le signalement européen car nous avons fait les signalements européens, ce qui nous a permis d'identifier les deux cas en Espagne et le cas en Grèce.

Au fur et à mesure que le CNR identifiait de nouveaux cas de Salmonella Agona, nous avons pu les rapprocher des huit cas que nous avions, puisque le génome est une véritable signature. C'est ainsi que nous avons pu identifier trente-huit cas de Salmonella Agona sur cette épidémie-là.

Grâce à sa nouvelle technique de séquençage qui date de décembre 2017, le CNR est remonté sur les Salmonella Agona des années précédentes. Nous nous sommes souvenus qu'il y avait eu une épidémie dans la région en 2005. C'était la même signature. En rapprochant l'épidémie de 2005 et celle de 2017, nous avons pu déterminer qu'il s'agissait du même germe. L'épidémie de 2005 avait fait l'objet d'une investigation, mais on ne disposait pas alors de cette capacité technique pour pouvoir en faire une signature. Toutefois, elle avait été décrite et publiée par Santé publique France.

Tous les laboratoires n'envoient pas toutes leurs coprocultures au CNR. Nous finançons le centre national de référence qui est retenu après un appel à candidature. J'en profite pour souligner l'extrême compétence du CNR, situé à l'Institut Pasteur, et de François-Xavier Weill et Simon Le Hello. On pourrait se poser la question de la nécessité de séquencer l'ensemble des salmonelles sur notre territoire, puisque cela a un coût pour l'Institut Pasteur et pour nous qui le finançons dans ce domaine.

Vous nous interrogez sur la manière dont nous travaillons avec les autres administrations. Chaque semaine, une réunion a lieu au ministère de la santé sur la sécurité sanitaire – elle a eu lieu ce matin – à laquelle assistent les directeurs généraux de toutes les agences et les représentants des administrations centrales. Ce matin, nous avons parlé de cas de salmonellose. C'est un sujet que nous abordons très régulièrement. En cas de crise, il y a une conférence téléphonique. Et, comme dans toute crise, il y a séparation des métiers : il y a ceux qui font l'alerte, ceux qui continuent à assurer la surveillance, ceux qui prennent la main pour la gestion, ceux qui prennent la main pour la communication, ceux qui s'occupent du retrait des lots, ceux qui font le lien avec le politique – aujourd'hui, cette affaire a pris une dimension politique. Nous sommes extrêmement attentifs à la répartition des rôles en situation de crise, car, comme chez les militaires, chacun doit être à sa place pour fonctionner dans de bonnes conditions.

Nous n'avons pas été impliqués dans toute une série de questions sauf à indiquer les lots que nous identifions à partir de nos enquêtes épidémiologiques. C'est en effet grâce aux enquêtes épidémiologiques que nous avons pu dire que tous les laits provenaient de l'usine de Craon et, par extension, que l'usine devait être probablement contaminée. Mais la décision de fermer cette usine relevait de la DGS et du ministère de l'agriculture.

Quant à la question du nombre de prélèvements à faire en milieu agricole et de leur rythmicité, elle ne relève clairement pas d'une agence populationnelle. En la matière, mes équipes et moi-même exerçons notre devoir de réserve parce que ce n'est ni le rôle, ni la mission de Santé publique France.

Vous demandez s'il y a des liens entre le centre national de référence et le Laboratoire national de référence (LNR), c'est-à-dire la santé animale. La réponse est oui. Nous essayons autant que faire se peut de partager nos souches. Nous voyons tous les mois l'ANSES et nous essayons de balayer l'ensemble des sujets, de manière que les liens entre nos deux institutions, qui sont éminemment complémentaires sur bon nombre de sujets, soient les plus fluides possible.

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