Intervention de Karine Jacquemart

Réunion du jeudi 19 avril 2018 à 14h40
Commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques

Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch :

Merci, monsieur le président. Monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, merci de nous recevoir aujourd'hui. S'il est effectivement très intéressant de tirer les enseignements de l'affaire Lactalis, c'est qu'elle a été un cas d'école. Elle implique tous les acteurs et toutes les phases : la prévention, la gestion des risques, et la crise qui est survenue. Ce cas d'école est propre à nous montrer comment ce genre de scandale alimentaire est encore possible en France et en Europe – car Foodwatch travaille au niveau européen, c'est important dans le cadre de la réglementation européenne.

Ces enseignements doivent aussi nous apprendre comment faire pour que cela ne se produise plus. Je m'efforcerai d'apporter quelques éléments en ce sens, sans entrer dans tous les détails de la plainte et des acteurs, puisque nous avons publié non seulement une plainte de cinquante pages, mise à la disposition de la commission, mais aussi un rapport synthétique d'une vingtaine de pages, que j'ai apporté aujourd'hui et que je tiens également à votre disposition.

Parmi les éléments clefs, rappelons d'abord qu'il y a deux niveaux de normes : le cadre réglementaire européen et la loi française, déclinés notamment dans le code de la consommation et le code rural. Ces normes sont suffisamment fortes, et les obligations de tous les acteurs concernés sont claires. La première chose à faire pour éviter qu'une telle crise se reproduise est donc de s'assurer que la loi est respectée par tous, et qu'elle est assortie de sanctions suffisamment dissuasives, non seulement dans les textes mais aussi dans leur application, de façon à ce que ce petit jeu s'arrête. Car nous n'en sommes pas au premier scandale alimentaire et, dans le cas de la viande de cheval comme dans plusieurs autres, on n'a pas vu beaucoup de sanctions – je pense notamment à celles encourues par les distributeurs, mais aussi à d'autres. Ce premier rappel est donc une bonne nouvelle : le cadre réglementaire est assez solide, même s'il présente encore des lacunes et qu'un renforcement est à souhaiter. J'y reviendrai.

Second point, à bien distinguer du premier : la responsabilité de tous les acteurs. Il faut y insister. C'est pour cela que Foodwatch et plusieurs parents ont déposé plainte en énumérant douze infractions. Je me contenterai ici d'en présenter une synthèse, en rappelant les obligations et les manquements à ces obligations. Ils incombent, selon nous, à quatre acteurs : Lactalis, évidemment, mais également les distributeurs, pour des raisons évidentes que vous connaissez, et qui concernent la procédure de rappel ; et aussi, tout simplement, parce qu'ils ont, au même titre que Lactalis, l'obligation de s'assurer qu'ils ne commercialisent pas des produits dangereux pour la santé. Ils sont tenus à une obligation de conformité et de sécurité. Or, dans ce cas, c'est de sécurité qu'il s'agissait.

Viennent ensuite les laboratoires, vous venez d'en parler. En fait, la loi leur impose déjà une obligation de signalement. Le problème, c'est qu'il semble – je dis bien « il semble » parce que nous ne disposons pas encore de toutes les informations, d'où l'importance de mener à bien les enquêtes en cours, que ce soit celle de la justice ou celle de cette commission – il semble qu'ils n'aient pas toujours fait remonter les informations à l'entreprise, encore moins aux autorités. Il faut donc renforcer, sur ce point, la réglementation existante, qui n'est pas suffisante. Cela de deux façons : il faut vraiment rendre encore plus clair le devoir de signalement par les laboratoires aux autorités dès lors qu'ils ont le moindre soupçon d'un danger sanitaire, et il faut préciser que ce devoir s'impose non seulement pour les résultats positifs sur les produits, c'est-à-dire pour une contamination des produits alimentaires, mais aussi pour une contamination de l'environnement.

Cette différence entre les résultats révélant la contamination d'un produit et celle de l'environnement a beaucoup servi de ligne de défense à Lactalis, dont le raisonnement consistait à dire : « Nous avons reçu des informations sur des contaminations de l'environnement, mais nous ne les avons pas signalées parce que la loi, selon nous et selon le cabinet d'avocats avec lequel nous travaillons, ne nous y obligeait pas ». Ce n'est pas vrai. Ils y sont réellement obligés. Mais puisqu'il y a un doute, et puisque même la DGAL et la DGCCRF ont avancé publiquement une interprétation selon laquelle on ne serait pas obligé de signaler un contrôle positif concernant l'environnement, alors, là encore, renforçons la loi. Des amendements en ce sens seront proposés lors de l'examen du projet de loi sur l'agriculture et l'alimentation. Leur adoption serait une très bonne chose.

Car enfin, cette question d'environnement n'est pas nouvelle. D'ailleurs, rien n'est nouveau dans cette affaire puisqu'elle remonte à 2005. Cette usine avait alors été contaminée par des salmonelles, on savait donc qu'elle présentait un risque particulier. Malgré ce risque, l'historique de ses contrôles – des autocontrôles comme des contrôles officiels – est assez opaque. On commence tout juste, au fil des auditions au Sénat et grâce à votre commission, à obtenir des bribes d'informations, mais elles sont encore loin de former un historique clair. Après la contamination de 2005, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), devenue l'ANSES, avait pourtant été saisie par la DGAL, la DGCCRF et la DGS pour en tirer les enseignements. Ces enseignements étaient nombreux, et l'une des recommandations du rapport appelait précisément à une vigilance accrue sur les signalements de contamination dans l'environnement. Car, dans le cas de salmonelles et comme on l'a vu en 2005, il y a un lien évident entre contamination de l'environnement et contamination des produits. Les alertes étaient bien là, les antécédents étaient connus. Il est d'autant plus inexplicable qu'il n'y ait eu ni contrôles efficaces, ni remontées d'informations efficaces qui auraient permis de prévenir la crise. La présence de salmonelles est pourtant un phénomène fréquent, qu'il faut simplement gérer comme il se doit. Cela n'a pas été fait.

Les services de l'État, enfin, sont eux aussi visés par notre plainte. Car, si les autocontrôles ne sont pas inutiles en tant que tels – à condition qu'ils soient effectués correctement, que les laboratoires aient l'obligation de signalement que vous évoquiez, et qu'ils se sentent libres de s'y conformer –, ces autocontrôles des acteurs privés ne peuvent en aucun cas se substituer à la responsabilité in fine de l'État, qui doit être le garant de la protection des consommateurs, de la santé et de la sécurité sanitaire des produits. Les services de l'État doivent non seulement veiller à ce que les autocontrôles soient effectués, mais ils doivent procéder à leurs propres contrôles. Tout scandale alimentaire, toute contamination engage donc, en dernier lieu, la responsabilité des services de l'État.

De fait, nous avons identifié, dans le cas présent, ce qui nous semble être des défaillances. Il s'agit en tout cas de points qui doivent être examinés attentivement, et des améliorations seront indispensables pour le futur. Mais elles ne sont pas de la responsabilité de l'un ou de l'autre : elles relèvent des obligations de l'ensemble de ces quatre acteurs. C'est pour cette raison que nous avons porté plainte en ce sens et que nous communiquons, je l'espère du moins, de façon pédagogique, afin de rappeler ces obligations à tous.

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