L'intelligence artificielle (IA) et la médecine prédictive posent des problèmes assez complexes. Mais l'intelligence artificielle nous aidera à définir des populations à risque et à leur prédire un devenir. Toutefois, l'IA ne remplacera pas le médecin, elle fera mieux : elle nous aidera, nous médecins, à redevenir ce que nous n'aurions jamais dû cesser d'être, c'est-à-dire des humains parlant aux humains. Nous y réfléchissons beaucoup en médecine d'urgence, car on ne nous demande pas d'être spécifiques, mais sensibles.
Lorsque vous venez pour une douleur abdominale aiguë de moins de 24 heures, et qu'au terme des examens il vous est dit qu'il n'y a rien, le ministère vérifie souvent, et considère que nous aurions pu faire autrement. Ce à quoi nous répondons qu'il nous est demandé d'être sensibles et de ne pas passer à côté. Ce type de pathologies met nos collègues exerçant en cabinet en difficulté, ne l'oublions pas : la société nous demande d'être sensibles, et non spécifiques. Nous ne pouvons pas passer à côté, sauf à considérer que nous avons droit à 5 % d'erreurs et que, dans ce cas, nous pouvons procéder différemment…
À l'heure où, sans vergogne, on n'hésite pas à divulguer sur Facebook énormément de données ultraconfidentielles, la pusillanimité portant sur les données médicales nous met en défaut au regard de notre besoin de savoir, qui n'est pas assumé. Aux urgences, nous sommes régulièrement confrontés à des évènements indésirables dus à l'incapacité totale d'obtenir des informations. Ce n'est pas parce que le collègue exerçant en ville n'a pas souhaité les mettre à disposition, mais parce qu'il y a des ruptures de charge. Et je n'évoque pas les directives anticipées, pour lesquelles devrait exister ce qui existe pour les dons d'organes. Où en sommes-nous, que faisons-nous lorsque la famille n'est pas joignable ? Cela constitue un réel sujet sur lequel il faut progresser.
La question de la nomenclature et des pratiques avancées est très sensible. Aux urgences, nous sommes à l'avant-garde depuis vingt ans, car la base du tri dans nos services repose sur des infirmiers d'orientation et d'accueil. Si le tri n'est pas le bon, le médecin aura du mal à récupérer le patient, car cette première étape détermine les temporalités d'accès ; et, globalement, nous obtenons de bons résultats.
Nous montrons que, pour des choses aussi cruciales que la phase aiguë, une pratique avancée, formée et évaluée peut fonctionner. Je pourrais multiplier les exemples, mais, le sujet étant très sensible, je ne voudrais pas m'attirer les foudres de mes collègues. Pour l'avoir été, j'affirme que le métier d'un généraliste est de maintenir la santé ; il serait presque possible de considérer que tout autre sujet ne relève pas de son domaine.
De ce fait, le maintien de la santé consiste à définir des plans d'action, de les faire exécuter et d'en assurer le contrôle ; dans ce contexte, le financement est évidemment déterminant, et il induit des comportements, je n'irais pas plus loin.