Je vous remercie pour cette invitation. Je suis docteur en médecine, professeur en neurologie. J'exerce au centre hospitalier universitaire (CHU) de Besançon et je suis actuellement président élu et en exercice de la Société française de télémédecine. Je suis, par ailleurs, doyen de l'unité de formation et de recherche (UFR) de médecine à Besançon. La Société française de télémédecine est une association pluridisciplinaire qui agit au nom des sociétés savantes – dix-neuf à ce jour – de diverses disciplines médicales, paramédicales, maïeutiques, pharmaceutiques, etc. Elle s'intéresse aussi à l'ingénierie des technologies et, surtout, met l'accent sur les sciences humaines, c'est-à-dire les aspects éthiques, philosophiques, sociologiques, juridiques et économiques liés à la pratique de la santé numérique. La santé numérique aura un rôle majeur à jouer pour faire progresser la diffusion des connaissances et la standardisation des pratiques.
Pour nous, Société française de télémédecine, le changement de paradigme est lié non seulement au numérique, mais aussi à la répartition inégalitaire des professionnels de santé sur le territoire national. Aussi s'agit-il de réorganiser l'offre de soins et les organisations professionnelles au service des usagers. Depuis les lois Kouchner, le patient est au centre du dispositif et l'ensemble des éléments doit concourir à cette prise en charge. Notre objectif vise à faire en sorte que le numérique favorise la chaîne de solidarité autour du patient.
Comme l'a souligné la stratégie nationale de santé, il faut également agir sur les préventions – primaire, secondaire, tertiaire et quaternaire – et sur l'aide à nos concitoyens. Il faut le faire là où ils sont et là où ils désirent vivre. Dans ce contexte, il est très important de bien définir les déserts médicaux. Ils se caractérisent à la fois par une mauvaise répartition des professionnels sur le territoire, mais aussi et surtout par la difficulté à répondre à l'immédiateté du besoin, ce qui impose une réponse coordonnée permettant une prise en charge. L'indisponibilité sur le terrain doit être graduée. Il arrive aussi que nous ayons accès à un certain nombre de professionnels de santé, mais pas à une certaine expertise. Il sera important de répondre à ce sentiment de nécessité d'avoir accès à l'expertise.
La santé connectée et la télémédecine, puisque les deux sont liées, doivent nous aider en prévention primaire avec les objets connectés, lesquels doivent favoriser le bien-être. Le législateur doit s'assurer qu'ils répondent à des règles totalement claires quant à la fiabilité et la sécurité des usages. Cela impose un effort de labellisation.
La réponse à l'immédiateté du besoin pourra venir de l'accès au téléconseil, qui a un rôle à jouer dans la prévention primaire, mais aussi de la télésurveillance, avec une organisation professionnelle permettant des transferts de compétences, ou encore de la télé-expertise, qui met en lien les différents types de professionnels – médecins généralistes ou spécialistes. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) en sont le modèle, au niveau hospitalier. Il faut pouvoir le construire avec les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), voire les officines pharmaceutiques afin de le déployer sur le territoire libéral. Dans ce cadre, en effet, le téléconseil permettra de désengorger l'accès aux urgences. D'autres mesures peuvent aussi être citées, comme le regroupement, le numerus clausus et la meilleure définition d'un parcours de soins, en sortant de la rémunération à l'acte. Des plateformes territoriales de téléconseil pourraient être montées, afin de ne pas relever de la seule responsabilité d'administrateurs privés, au risque d'entraîner une part d'« ubérisation » contre laquelle il faut lutter.
Réviser le cadre réglementaire nous paraît important, en particulier le décret relatif à la télémédecine. Il s'agirait de réécrire ce cinquième acte qu'est le téléconseil, aujourd'hui limité à la régulation médicale du « 15 », mais aussi de libéraliser l'accès des organisations en dehors de contrats sous l'égide des agences régionales de santé (ARS).
Nous ne supprimerons pas les déserts médicaux par le seul recours à des outils, en l'absence de professionnels. Aussi faudra-t-il travailler sur la réorganisation territoriale des professionnels de santé. D'une part, il faudrait agir sur le numerus clausus qui est aujourd'hui obsolète, pour plutôt retenir un numerus apertus. Ce plancher serait ajusté en fonction des besoins et des possibilités territoriales de formation. C'est très important, car si vous ne formez pas localement, vous continuerez à favoriser l'évasion et l'ubérisation. D'autant que la contrainte réglementaire et les incitations financières ont montré leurs limites. D'autre part, il importe de former tous les professionnels. La transversalisation de la formation des professionnels de santé au sein des universités de santé est un enjeu très important, en particulier pour les pratiques avancées.
Pour conclure ce bref exposé, j'indiquerai que nous souhaitons pouvoir favoriser le changement d'organisation que le nouveau paradigme nous impose, en l'étayant par les outils du numérique. Non seulement ceux-ci engloberont les professionnels de santé dédiés tels que nous les connaissons, mais ils favoriseront aussi de nouveaux métiers aux interfaces avec les ingénieries à destination des professionnels de santé. Parce que, finalement, la technique de la télémédecine lie surtout des hommes et des femmes qui ont besoin de rapports humains.