Madame la présidente, chère Brigitte Bourguignon, je vous remercie pour cette invitation. J'ai la chance de bien connaître la commission des affaires sociales car j'y ai déjà défendu un projet de loi. J'ai pu apprécier la qualité de nos travaux et de nos débats. Je suis ravie de pouvoir vous présenter et discuter avec vous des grandes lignes de l'avant-projet de loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel.
Le projet de loi ne sera présenté au conseil des ministres que fin avril. Il a fait l'objet de concertations avec les partenaires sociaux, les régions et le groupe de travail de votre commission. Il s'agit d'un engagement du Président de la République, mais également d'une réforme attendue par nos concitoyens qui aspirent à davantage de liberté, mais aussi à plus de protections. En réalité, ce projet renoue avec la promesse républicaine d'émancipation sociale, à travers la formation, l'apprentissage, mais également grâce à certaines dispositions relatives à l'assurance chômage, à l'accès à l'emploi des travailleurs handicapés, à l'égalité entre les femmes et les hommes. Il déclinera nos valeurs fondamentales de liberté, d'égalité et de fraternité.
Pourquoi est-ce important ? À l'heure actuelle, nombreux sont nos concitoyens qui ne perçoivent pas que le développement de leurs compétences et leur travail peuvent être un véritable ascenseur social et qu'ils ont la liberté de choisir leur avenir professionnel. Comment pouvons-nous tolérer qu'un 1,3 million de jeunes ne soient ni à l'école, ni à l'université, ni en apprentissage, ni employés ? Plus d'un million de jeunes ne se projettent pas dans l'avenir ! C'est un drame pour eux, une angoisse pour leurs parents, mais aussi une perte pour l'économie et un risque majeur pour la cohésion sociale.
Comment tolérer qu'à diplôme, âge et parcours équivalents, même avec une formation de niveau baccalauréat ou supérieur, un habitant des quartiers prioritaires de la politique de la ville ait trois fois plus de mal à accéder à l'emploi que la moyenne des Français ?
Comment expliquer que seuls 6 % des ouvriers et 12 % des employés déclarent avoir choisi leur formation, alors que 75 % des Français sont conscients de l'enjeu stratégique de la formation professionnelle ?
Comment ne pas être choqué qu'un ouvrier ou un employé ait deux fois moins accès à la formation qu'un cadre, alors qu'il en a autant besoin ? De même, un salarié d'une petite ou moyenne entreprise (PME) a deux fois moins accès à la formation que celui d'une grande entreprise.
Comment accepter que le taux de chômage des personnes handicapées soit deux fois supérieur à celui du reste de la population et que 500 000 travailleurs handicapés soient au chômage ?
Enfin, comment accepter qu'à travail égal, les femmes et les hommes n'aient pas un salaire égal – l'écart est de 9 % à travail égal et de 25 % pour l'ensemble de la carrière ?
Tous ces sujets sont à l'ordre du jour du projet de loi que j'aurai l'honneur de vous présenter. Nous ne pouvons pas nous satisfaire du système actuel, car il ne parvient ni à endiguer le chômage de masse, ni à protéger les plus vulnérables contre le manque ou l'obsolescence des compétences, ni à permettre le développement de nos TPE-PME – faute de trouver les compétences dont elles ont besoin sur le marché du travail.
Le moment est propice : nous assistons à une reprise de la croissance ; pour qu'elle se transforme en emplois et qu'elle soit inclusive, les compétences sont stratégiques. L'année dernière, la France a créé 268 000 emplois nets, mais de très nombreuses entreprises témoignent de leurs difficultés à recruter certains profils. Cela a toujours été le cas dans quelques secteurs, mais tous les secteurs et toutes les tailles d'entreprises sont désormais concernés. L'enquête sur les besoins en main-d'oeuvre (BMO) publiée par Pôle emploi ce matin montre une augmentation de 18 % de l'impossibilité de recruter pour des raisons liées aux compétences, alors que les entreprises veulent recruter dans la construction, dans l'industrie et dans de nombreux secteurs où l'économie repart. Il devient stratégique pour les entreprises de trouver ces compétences, mais également fondamental que chaque demandeur d'emploi, chaque jeune, chaque salarié puissent bénéficier des fruits de cette croissance. Ces derniers doivent pouvoir monter dans le train qui passe !
En conséquence, notre devoir est non seulement de conforter le retour de la croissance en libérant les initiatives, mais de faire en sorte que cette croissance soit inclusive.
La politique de lutte contre le chômage de masse que mène le Gouvernement comporte trois principaux volets : le premier est issu de la loi du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances des mesures pour le renforcement du dialogue social. Les ordonnances ont permis de libérer les initiatives et l'énergie. La confiance des entreprises est de retour – elles sont prêtes à embaucher – et les marchés rebondissent.
Le deuxième est notre stratégie de renforcement des compétences : elle sera au coeur du projet de loi et constitue la raison d'être du plan d'investissement compétences qui vise à former un million de jeunes et un million de demandeurs d'emploi.
La politique d'inclusion constitue le troisième volet : certains de nos concitoyens et certains demandeurs d'emploi sont trop éloignés du travail pour accéder directement au marché du travail, même lorsqu'ils ont une formation technique. Nous devons développer une stratégie inclusive pour leur remettre un pied à l'étrier, afin qu'ils regardent l'avenir avec confiance. La compétence est la meilleure protection contre le chômage, c'est ma conviction profonde. Le taux de chômage varie du simple au double entre une personne qualifiée et une personne qui ne l'est pas. L'absence de qualification ou de compétence est donc le premier marqueur du chômage.
Le projet de loi sera l'occasion d'engager des transformations profondes en la matière. Mon audition intervient à un moment charnière, après la ratification des ordonnances pour le renforcement du dialogue social – le Conseil constitutionnel les a définitivement validées il y a une dizaine de jours. Nous faisons le pari de la confiance et de la convergence entre performance économique et progrès social. En sillonnant la France ces derniers mois, j'ai constaté les effets matériels et psychologiques des ordonnances, mais cette agilité supplémentaire – qui donne envie aux chefs d'entreprise d'embaucher – et le contexte économique – les carnets de commandes se remplissent – doivent se concrétiser en projets de recrutement.
Quelles sont les compétences dont nous avons besoin ? Les métiers se sont considérablement transformés, pour certains en moins de cinq ans ! Différentes études – dont celle du Conseil d'orientation pour l'emploi (COE) – soulignent que 50 % des emplois vont être profondément transformés au cours des dix prochaines années. Cela commence déjà, nous le constatons tous les jours : tous les secteurs d'activité et toutes les entreprises sont touchés par la transformation numérique et la transition écologique. Le sujet ne concerne pas uniquement les grandes entreprises ou l'industrie numérique : demain, un artisan ou un commerçant n'aura plus le même rapport à ses clients et à ses fournisseurs qu'aujourd'hui, grâce par exemple au e-commerce ou à la fabrication en 3D à proximité de son entreprise.
Le rapport de Cédric Villani met clairement en lumière les enjeux de l'intelligence artificielle : ce n'est plus une abstraction lointaine pour les entreprises et les salariés, mais un bouleversement profond du travail qu'il est essentiel d'anticiper et d'accompagner.
Le rapport au Gouvernement de François Taddei, « Vers une société apprenante », va dans la même direction : si 50 % des emplois se transforment tous les dix ans, nous devons revoir nos dispositifs de formation, pour que chacun y ait accès en permanence, dans l'entreprise, autour de l'entreprise, mais également en apprentissage ou dans le cadre de son éducation.
Il n'y a pas de fatalité. Il y a quelques jours, avec mon collègue Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État chargé du numérique, nous avons lancé dans les Hauts-de-France le volet numérique du plan national d'investissement dans les compétences : nous ouvrons 10 000 formations numériques – de forgeurs numériques, rédacteurs web, codeurs, climaticiens, domoticiens – dont beaucoup sont accessibles à partir du certificat d'aptitude professionnelle (CAP) ou du baccalauréat professionnel. Il n'y a pas que des ingénieurs dans l'industrie numérique ! C'est un nouveau domaine de compétence, qui ne raisonne pas en termes d'années d'expérience ou de diplômes. Il est ouvert à tous les niveaux de qualification. Les méthodes de ce secteur pourraient d'ailleurs « diffuser » vers d'autres métiers et d'autres secteurs : les bouleversements actuels sont une chance pour construire les compétences de demain, dans une optique beaucoup plus ouverte que celle du passé.
Il faut éviter que ces changements importants soient synonymes de rupture, de relégation ou de déqualification pour nos concitoyens. Au contraire, nous devons investir massivement dans un système rénové de formation et d'apprentissage. Le développement de passerelles et l'accès facilité à la formation doivent permettre au plus grand nombre de rebondir. Je le répète, les compétences sont l'atout majeur du XXIe siècle : elles donneront au salarié la liberté de choisir son avenir et lui fourniront la meilleure des protections.
C'est le sens de mon action à la tête du ministère du travail et l'objectif du plan précité, d'investissement dans les compétences. Il est doté de 15 milliards d'euros sur cinq ans, incluant la garantie jeunes. Il s'agira de former et d'accompagner un million de demandeurs d'emploi peu qualifiés et un million de jeunes décrocheurs, en collaboration avec les régions. Plus d'une dizaine de régions ont accepté de co-investir. Un volet innovant permettra aux personnes les plus éloignées de la qualification d'y accéder grâce aux établissements pour l'insertion dans l'emploi (EPIDE), aux écoles de la deuxième chance et à travers l'insertion par l'économique. Ces personnes ne disposeront pas uniquement d'une qualification au sens technique du terme, mais seront également formées aux savoirs être et aux savoirs transversaux, qui sont souvent un des principaux obstacles à l'embauche. Cette remédiation est nécessaire : il n'est pas facile de connaître les codes sociaux quand on a trente ans et que l'on n'a jamais travaillé, ou lorsque l'on a quitté le monde du travail il y a deux ou trois ans.
Nous devons valoriser les compétences au coeur de nos quartiers et lutter contre l'assignation à résidence, qui est intolérable. Les emplois francs, lancés le 1er avril, mobiliseront particulièrement les services de l'État. De même, les parcours emploi compétences se substituent aux contrats aidés, tout en développant la formation et l'accompagnement des personnes concernées. Ce dispositif reprend les préconisations du rapport « Donnons-nous les moyens de l'inclusion » que m'a remis Jean-Marc Borello, président du groupe SOS – vous l'avez auditionné. Nous continuerons à nous appuyer sur les conclusions de ce rapport car le triptyque emploi-formation-accompagnement est efficace.
Ces nouveaux dispositifs programmatiques sont au coeur de notre projet de loi. Les dispositifs actuels de formation ont été conçus dans les années soixante-dix et quatre-vingt : ils ont alors permis à la France de faire des progrès, voire d'être en avance – c'est à cette époque qu'est née l'idée de formation continue tout au long de la vie. Aujourd'hui, nous sommes en retard, en termes tant d'investissements que d'accessibilité réelle de la formation : 77 % des Français jugent que le système de formation professionnelle n'est pas efficace. Les auditions de votre groupe de travail vous ont sans doute permis de faire le même constat…
Comme pour les ordonnances, nous sommes partis du terrain et des acteurs pour reconstruire un système viable. Nous n'avons donc pas abordé l'apprentissage, la formation ou l'assurance chômage en partant des institutions, mais des besoins, des attentes des jeunes, des demandeurs d'emploi, des salariés et des entreprises, car tous ces dispositifs sont à leur service. Nous souhaitons permettre à tous les actifs de mobiliser facilement de nouveaux droits concrets, adaptés à notre temps afin que, demain, ils choisissent au lieu de subir leur avenir professionnel.
Le premier volet du projet de loi est consacré à une profonde rénovation de la formation professionnelle : les salariés et les demandeurs d'emploi disposeront de droits plus importants mais, surtout plus facilement mobilisables. Nous nous appuyons pleinement sur l'accord interprofessionnel signé il y a quelques semaines. L'utilisation du compte personnel de formation (CPF) sera élargie et simplifiée. Nous ne créons pas de nouveau dispositif puisque ce compte existe. C'était une innovation intéressante mais, dans les faits, il était complexe à utiliser et peu accessible aux salariés, hormis pour les demandeurs d'emploi.
Il s'agit de favoriser l'autonomie des salariés et d'aider les plus fragiles à construire leur parcours professionnel. Les droits liés au CPF seront désormais calculés en euros et non plus en heures, afin de rééquilibrer le dispositif en faveur des moins diplômés : en effet, une heure de formation marketing à HEC est beaucoup plus coûteuse qu'une heure de spécialisation climatique pour un ouvrier du bâtiment…
Les droits pourront par ailleurs être directement exercés par le salarié. Actuellement, seuls 6 % des ouvriers, 12 % des employés et 28 % des cadres choisissent eux-mêmes leur formation. Bien sûr, l'entreprise continuera à assurer sa part de responsabilité, en concevant un plan de formation lié à ses métiers. Mais beaucoup de nos concitoyens veulent améliorer leurs qualifications, obtenir une certification, évoluer dans leur métier ou en changer. Ces nouveaux droits, en euros, leur permettront de comparer, de décider, de s'inscrire et de payer. Le compte pourra être crédité jusqu'à 5 000 euros pour l'ensemble des actifs. Il sera porté à 800 euros par an, avec un plafond de 8 000 euros pour les moins qualifiés – ceux qui n'ont pas de diplôme.
Les femmes représentent 80 % des salariés à temps partiel. Il s'agit d'une véritable trappe vers les emplois les moins qualifiés et les moins payés. Les difficultés d'accès à la formation empêchent souvent ces femmes de progresser dans leur vie professionnelle. Nous proposons donc que les droits à formation accordés une personne à mi-temps ou plus soient égaux à ceux des salariés à temps plein.
Une application numérique permettra à chacun de connaître les taux d'insertion et les taux de réussite à la certification ou au diplôme de chaque formation. Ainsi, la formation deviendra un véritable droit. Vous me direz que certains ne savent pas – ou ne sont pas outillés – pour choisir eux-mêmes. Bien entendu, c'est la raison pour laquelle nous avons pleinement suivi la recommandation des partenaires sociaux et proposons de développer le conseil en évolution professionnelle. Il existe déjà mais reste confidentiel. Demain, nous souhaitons qu'il soit disponible et financé à grande échelle, afin de mieux accompagner nos concitoyens dans leurs choix individuels. Qu'est-ce que cela veut concrètement dire ? Une assistante administrative qui rêve de devenir fleuriste, qui a travaillé dix ans et a cumulé 5 000 euros sur son CPF pourra prendre rendez-vous avec un conseiller en évolution professionnelle. Ce dernier lui présentera les CAP disponibles prêts de chez elle. Une fois sa formation terminée, elle pourra alors démarrer sa nouvelle aventure professionnelle.
Depuis que nous avons commencé à évoquer ces nouveaux droits, je reçois de très nombreux témoignages de personnes disposant de qualifications modestes, qui me font part de leur satisfaction car, demain, elles pourront décider de leur formation.
Nous sommes également soucieux de la qualité de ces formations. Les organismes de formation devront obligatoirement être certifiés pour prétendre à un financement public ou mutualisé. Pour simplifier la vie des entreprises, la mission de collecte des fonds de formation des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) sera transférée aux Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf). Les OPCA deviendront des opérateurs de compétences, chargés de missions de conseil et d'ingénierie. Ils contribueront au développement de l'alternance, soutiendront les branches pour la co-construction des diplômes et pour la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Enfin, ils aideront les TPE (très petites entreprises) et PME à construire leurs plans de formation.
Par ailleurs, les règles seront simplifiées pour toutes les entreprises et les fonds mensualisés pour les TPE-PME.
L'apprentissage va connaître une révolution copernicienne. Nous devons relever un défi majeur : développer massivement l'offre de formation en apprentissage dans l'ensemble du territoire. Seuls 400 000 jeunes ont la chance d'accéder à l'apprentissage, alors que sept apprentis sur dix ont un emploi six mois après la fin de leur apprentissage. C'est une voie de réussite et de passion qui permet de se former, du CAP au diplôme d'ingénieur – beaucoup de parents ou de jeunes l'ignorent encore.
Nous devons également arrêter d'opposer apprentissage et lycées professionnels : 1,3 million de jeunes ne se projettent pas dans l'avenir, 700 000 jeunes étudient en lycée professionnel, 400 000 sont apprentis. Nous devons développer tous les types de formation et créer des passerelles. Il faut faciliter le passage du statut scolaire à l'apprentissage au statut d'étudiant, et inversement. Nous avons besoin de campus communs, où les formations puissent se développer sous toutes les formes.
Avec Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, et Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, nous portons cette vision intégrée et souhaitons lever tous les freins. Désormais, les entreprises et les organismes de formation pourront créer des centres de formation des apprentis (CFA) sans contraintes administratives. Nous sommes un des rares pays en Europe où persistent des barrières administratives à la création de CFA. Les centres devront être certifiés – garantie de leur qualité – mais pourront enfin se développer sans avoir à subir un parcours du combattant bureaucratique.
Un second frein sera levé : le financement sera désormais garanti au contrat. Ce point n'est pas que technique, il est fondamental : si une entreprise et un jeune décident de signer un contrat l'apprentissage, le financement sera garanti par la loi, la péréquation et la mutualisation étant organisées au plan national. Bien sûr, les financements seront distribués régionalement par les opérateurs de compétences. Grâce à cette nouvelle organisation, toutes les branches, tous les secteurs, toutes les régions où l'apprentissage va se développer bénéficieront de cette péréquation. En outre, les jeunes et les entreprises ne seront plus freinés dans leurs projets. Parallèlement, tout l'argent de l'apprentissage ira à l'apprentissage – ce n'est pas le cas aujourd'hui, sans même parler de la fraction hors quota.
Troisièmement, les entreprises et les jeunes pourront signer des contrats d'apprentissage toute l'année. Pour des raisons historiques, sans réels fondements philosophiques, les contrats doivent actuellement être signés entre septembre et décembre. En conséquence, les jeunes qui trouvent leur entreprise en janvier ou février se découragent et décrochent. Rien ne justifie le maintien de ce système. Cette modification impliquera de moduler l'offre de formation, la formation continue et l'évaluation, mais cela fonctionne déjà pour les contrats de professionnalisation. La plupart des CFA sont enthousiastes à l'idée de disposer d'une offre plus personnalisée – la formation pourra être adaptée en fonction des acquis du jeune.
Les meilleurs réseaux d'apprentis – Compagnons du devoir, maisons familiales rurales, chambres des métiers – pourront se développer dans l'ensemble du territoire sans être bridés.
Tout commence par l'orientation et la perception de l'apprentissage par les jeunes et les familles. Nous tentons depuis des années d'améliorer son image. Nous devons désormais réaliser un saut qualitatif et quantitatif important ; nous allons donc publier les taux d'insertion dans l'emploi, de poursuite d'études, de réussite aux examens et les salaires de première embauche des 995 000 centres de formation et lycées professionnels de France. Beaucoup de jeunes et de familles vont découvrir avec stupéfaction que l'apprentissage permet d'accéder à des métiers passionnants, où l'on recrute et qui permettent de bien gagner sa vie.
Il faut également améliorer l'information sur les métiers. Elle ne peut être uniquement le fait de sites et de brochures. Les régions verront leurs compétences renforcées en matière d'orientation et d'information. Elles pourront ainsi permettre aux jeunes de rencontrer des entrepreneurs, des tuteurs, des salariés qui sont passés par l'apprentissage, dans et en dehors des établissements – collèges, lycées et universités. Le témoignage est souvent la meilleure des convictions.
Nous allons également développer les campus des métiers qui forment les élèves – quel que soit leur statut – du CAP à l'ingénieur. L'Aérocampus Aquitaine de Bordeaux ou celui d'Égletons pour les travaux publics sont, à ce titre, exemplaires.
Deux autres dispositions viendront soutenir l'apprentissage : afin d'améliorer l'accès à l'apprentissage en zone rurale, une aide de cinq cents euros – soit environ la moitié du coût négocié – permettra au jeune de financer son permis de conduire ; nous permettrons également aux apprentis de passer un semestre dans un pays d'Europe en développant Erasmus pour les apprentis. Ces derniers sont des étudiants – même si le format pédagogique de leurs études est différent. Ils préparent souvent les mêmes diplômes, ont les mêmes aspirations que les jeunes d'autres pays européens et sont eux aussi des citoyens européens. Vous avez commencé à aborder le sujet dans le cadre des ordonnances travail. Nous allons continuer ensemble afin que 15 000 jeunes puissent bénéficier d'Erasmus d'ici la fin du quinquennat.
Le troisième volet de notre réforme concerne l'assurance chômage. À la différence de la formation professionnelle et de l'apprentissage, il ne s'agira pas d'une refonte systémique du dispositif, mais d'un élargissement et d'une amélioration du système, afin que ce filet de sécurité soit plus universel. Actuellement, les protections sont conçues par statut. Les dispositifs de sécurisation fonctionnent mal dès que l'on change de statut – de salarié à entrepreneur ou travailleur indépendant par exemple. Sous certaines conditions, nous souhaitons permettre aux indépendants et aux salariés démissionnaires de disposer de ce filet de sécurité.
Quel sera le dispositif pour les indépendants ? Les agriculteurs, les commerçants, les artisans, les micro-entrepreneurs, les travailleurs de plateforme prennent des risques entrepreneuriaux et, lorsqu'ils se retrouvent en difficulté ou en liquidation judiciaire, ils n'ont aucun filet de sécurité puisqu'ils n'ont pas cotisé au régime général d'assurance chômage. Nous prévoyons de leur permettre de bénéficier de ce filet le temps de se retourner.
Lors de sa campagne électorale, le Président l'avait promis : les salariés démissionnaires doivent aussi pouvoir bénéficier de l'assurance chômage, sous conditions. Un projet professionnel, la création d'une entreprise, une reconversion lourde après un certain nombre d'années de salariat demandent du temps et de l'argent. Il s'agira donc d'une mesure démocratique afin que nos concitoyens soient plus nombreux à accéder à ces nouveaux horizons. Dans des conditions définies par l'accord national interprofessionnel – sur la base d'un projet, avec un conseil en évolution professionnelle et une intervention paritaire –, nous permettrons aux démissionnaires de bénéficier de l'assurance chômage.
Enfin, nous allons renforcer l'accompagnement précoce des chômeurs. Ce dispositif a été testé dans plusieurs régions, qui ont mis en place un journal de bord avec le demandeur d'emploi. Nous améliorerons également le contrôle afin de le rendre plus juste. Le système de sanctions est complexe et peu cohérent. Il doit devenir progressif et plus logique pour être mieux compris et accepté.
En ce qui concerne l'égalité entre les femmes et les hommes, le projet de loi comportera également des avancées sur deux points : la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail et l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Comme l'a indiqué le Premier ministre aux partenaires sociaux le 7 mars dernier, en présence de Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les hommes et les femmes, et de moi-même, l'ambition du Gouvernement est forte. Nous passerons d'une obligation de moyens à une obligation de résultats pour les écarts de salaires injustifiés. Les partenaires sociaux nous ont transmis des propositions concernant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Nous avons ensuite réalisé des concertations bilatérales sur l'égalité hommes-femmes. Depuis le 7 mars et jusqu'au 3 mai, nous avons entamé un processus multilatéral avec les partenaires sociaux pour discuter de quinze actions. Celles d'entre elles qui nécessiteront une traduction législative seront intégrées ultérieurement au projet de loi – ce qui explique qu'il soit actuellement peu disert à ce sujet.
En ce qui concerne l'accès à l'emploi des personnes handicapées, nous avons engagé la même démarche avec ma collègue Sophie Cluzel, secrétaire d'État aux personnes handicapées – vous l'avez auditionnée le 21 février dernier. Nous avons retenu un principe simple : inclure au maximum les personnes en situation de handicap en milieu ordinaire. Les partenaires sociaux ont été consultés sur les évolutions nécessaires. 500 000 travailleurs handicapés sont au chômage. Plus de quarante ans après le vote de la loi d'orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées, les entreprises ne comptent que 3,4 % de personnes handicapées, alors que l'obligation est à 6 % et qu'environ 7 % de la population active est handicapée. On ne peut s'en réjouir ; tout juste peut-on considérer qu'on est à mi-chemin… Il faut désormais accélérer et faire en sorte que davantage de personnes handicapées trouvent leur place dans le marché du travail.
L'avant-projet de loi traite de deux autres sujets d'importance : le détachement des travailleurs et la liberté de circulation.
En ce qui concerne le détachement, il ne s'agit pas de transposer la directive, puisqu'elle devrait être définitivement adoptée par le Conseil européen dans les prochaines semaines. Vous le savez, le trilogue a été conclusif. Je vous remercie pour votre soutien lors des négociations. Nous souhaitions que la révision de la directive soit beaucoup plus ambitieuse que le projet initial proposé le 15 juin dernier. Cela n'a pas été facile, car nous venions d'être élus, mais nous avons réussi à convaincre nos partenaires européens afin que les nouvelles dispositions soient beaucoup plus protectrices des salariés – un travail égal donnera lieu au versement d'un salaire égal, tout compris. La nouvelle directive sera également beaucoup plus respectueuse de la concurrence loyale, notamment pour nos TPE-PME qui étaient pénalisées.
Les dispositions de l'avant-projet de loi complètent le volet européen sur deux points : un renforcement et une amélioration de l'efficacité de la lutte contre la fraude, les sanctions étant plus dissuasives. Demain, une entreprise qui omet ses déclarations sera davantage pénalisée. Si elle ne répond pas aux injonctions, il sera possible de suspendre son activité ou son chantier. En outre, les moyens de contrôle seront élargis.
S'agissant de la liberté de circulation et de prestations, elle sera améliorée : un allégement des formalités administratives est prévu dans certaines situations spécifiques. Nous sommes les seuls en Europe à en prévoir pour les zones frontalières. Cela n'a pas vraiment de sens… En l'état actuel du droit, un musicien belge qui joue en France pour une soirée doit être déclaré comme travailleur détaché… Nous allons désormais concentrer nos efforts de régulation sur le véritable travail détaché.
Le projet de loi ne constitue pas non plus une réforme de la fonction publique – le projet en la matière vous sera proposé l'an prochain. Mais la liberté de choisir son avenir professionnel concerne également les fonctionnaires : il faut reconnaître la valeur ajoutée des mobilités professionnelles. De nombreux fonctionnaires passent du public au privé – à tous les niveaux de qualification, pour accompagner un conjoint ou vivre une autre expérience. Il est important que le secteur public comprenne le secteur privé et inversement. Chacun doit rester dans son rôle, les droits et devoirs ne sont pas les mêmes, mais ces passerelles sont utiles au développement des compétences de chacun. Le projet le reconnaîtra.
L'avant-projet de loi est en ligne sur le site du ministère du travail. Il a été adressé au Conseil d'État et aux partenaires sociaux la semaine dernière. Douze instances consultatives doivent donner leur avis sur tout ou partie. J'étais d'ailleurs ce matin à la réunion du Conseil national de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (CNEFOP).
Madame la présidente, l'audition à laquelle vous m'avez conviée me donne à nouveau l'occasion d'articuler étroitement démocratie sociale et démocratie politique en amont de la discussion des amendements, puisque je présenterai le projet de loi en conseil des ministres le vendredi 27 avril prochain. Je vous remercie par avance pour vos questions, qui enrichiront le débat et notre réflexion.