Intervention de Valéria Faure-Muntian

Réunion du jeudi 12 avril 2018 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValéria Faure-Muntian, députée :

- J'en arrive à certains enjeux technologiques des blockchains, à savoir le défi de la capacité des blockchains à monter en charge, les smart contracts, la distinction entre blockchains publiques et blockchains privées et la question de leur consommation énergétique.

La capacité à faire face à une augmentation du nombre de transactions, appelée « scalabilité », constitue l'un des principaux défis pour les blockchains, à commencer par celle du bitcoin. Ce défi a conduit à accélérer la naissance d'autres cryptomonnaies, dites alternatives (« altcoins »), plus de 1 500 à ce jour. Il a également mené à des innovations encore souvent peu matures d'un point de vue technologique. Bien que le rôle de la blockchain en tant que technologie sous-jacente des nombreuses cryptomonnaies soit aujourd'hui dominant, ses protocoles se déclinent dans de nombreux secteurs et pourront donner naissance à des applications nouvelles variées, dépassant le cadre strict de la finance : par exemple, des services d'attestation et de certification pouvant concerner l'état civil, le cadastre, des contrats de type notarié ou, encore, des mécanismes de protection de la propriété intellectuelle. Mais peu d'applications conjuguent, à ce jour, pertinence de l'usage et maturité technologique suffisante.

On peut relever que la blockchain Ethereum offre une infrastructure adaptée à des outils tels que les smart contracts, codes informatiques qui ne sont pas des contrats au sens juridique et qui peuvent s'exécuter après avoir été écrits dans une blockchain. Par rapport à des programmes classiques, les smart contracts présentent l'avantage de bénéficier des caractéristiques particulières de la blockchain. Ainsi, leur exécution est irrémédiable et leur code est vérifiable librement par les noeuds du réseau. Ils permettent aussi de placer des fonds sous séquestre de manière vérifiable. J'indique que l'exécution de la plupart des smart contracts reste conditionnée par l'apport et l'export d'informations : que ce soit pour relever une température, livrer un colis, prouver la réalisation d'un travail, ou donner l'heure d'arrivée d'un avion, un tiers, qualifié d'oracle dans l'écosystème Ethereum, doit faire le lien entre la blockchain et le reste du monde, ce qui s'apparente au retour d'un « tiers de confiance », alors que la blockchain devait permettre de s'en passer.

La distinction entre blockchains publiques et blockchains privées ne repose pas sur une distinction entre blockchains de personnes publiques et blockchains de personnes privées mais sur le caractère ouvert (permissionless) ou fermé (permissioned) de la blockchain. Un débat existe pour qualifier les blockchains privées de « vraies » ou de « fausses » blockchains, sachant que créer un produit recourant à ces technologies est aussi un enjeu de marketing : le recours aux blockchains pour certaines applications ne semble pas toujours justifié, les fonctionnalités offertes par les bases de données partagées et sécurisées existantes apparaissant, en effet, suffisantes à leur réalisation, d'autant plus que des technologies alternatives de registres distribués sont en développement. Le succès des levées de fond spécifiques à l'écosystème des cryptomonnaies, appelées ICO pour Initial Coin Offering, interroge également : sont-elles vraiment rationnelles ?

Nous estimons qu'un regard distancié paraît nécessaire, en raison des effets de mode propres aux écosystèmes entrepreneuriaux qui ne s'accompagnent pas toujours d'innovations aussi majeures que celles annoncées.

Je souhaite conclure avec les enjeux énergétiques et environnementaux des blockchains, surtout pour celles fondées sur la preuve de travail : les besoins en électricité des blockchains sont considérables. Leur estimation fait l'objet de débats mais la consommation pour le seul bitcoin est d'au moins 24 TWhan, ce qui représente la production totale annuelle de 3 réacteurs nucléaires de 8 TWh. Depuis la création du bitcoin, ces besoins ne font qu'augmenter de manière quasi-exponentielle. L'impact en termes d'émissions de gaz à effet de serre est d'autant plus important que les groupements de mineurs sont surtout établis en Chine, pays qui présente, pour sa production électrique, l'intensité carbone la plus élevée au monde. J'espère que cette note contribuera à ce que la recherche relève ce défi de la consommation énergétique des blockchains.

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