Intervention de Cédric Villani

Réunion du jeudi 12 avril 2018 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani, député, premier vice-président de l'Office :

- Je souhaite d'abord féliciter chaleureusement nos collègues qui se sont investis dans cette mission, dont je rappelle qu'elle s'inscrit en soutien à la mission d'information commune aux trois commissions des affaires économiques, des finances et des lois de l'Assemblée nationale sur « les usages des blockchains et autres technologies de certification de registres », présidée par notre collègue Julien Aubert avec deux co-rapporteurs, Laure de La Raudière et Jean-Michel Mis.

Nous nous étions entendus avec eux pour leur apporter un soutien technique avec un travail qui pourrait les aider à dégager les enjeux de cette technologie. Je pense que cette note courte est une première étape, qui apporte un début de réponse et qui sera tout à fait utile. Je suis frappé par la qualité du travail qui a été accompli en un temps record.

Nous voyons précisément ici comment il est possible de répondre à une demande sur un sujet qui est en évolution rapide et qui relève des sciences et technologies mais, aussi, comme vos réponses l'ont bien souligné, de choix politiques, idéologiques et philosophiques qui sous-tendent la démarche d'usage des blockchains. Celles-ci portent un vrai changement, avec la possibilité de réaliser des transactions dont la fiabilité est garantie, non pas par une organisation ou par une personne mais par une communauté. Si l'on voulait pirater le système, il faudrait agir sur l'ensemble de la communauté, ce qui lui donne une stabilité très forte. Bien sûr, ces systèmes peuvent être soumis à des mouvements de foule, des changements d'idéologie ou bien à des actions politiques agissant sur une communauté de grande dimension. Ce que Ronan Le Gleut a pu dire sur le rôle de la Chine était ainsi particulièrement intéressant : je n'avais pas conscience du point auquel ce système est exposé à une potentielle fragilité liée à l'influence chinoise.

Il est aussi intéressant que notre collègue ait évoqué le rôle des conceptions libertariennes, selon lesquelles il faut donner le rôle le plus réduit possible aux autorités étatiques et le plus grand à une sorte de « main invisible », qui sous-tendrait l'ensemble. Ce côté « absolu » permis par la technologie, et qui est recherché par les participants, peut être une fragilité pour l'évolution de la technologie elle-même. En effet, on sent qu'elle pourrait être utilisée avec des modes « mixtes » de gouvernance et qu'il existe un débat sur la question de systèmes privés ou publics, la question étant de savoir si un système fermé doit être qualifié de blockchain. Ces controverses montrent bien l'aspect idéologique sous-jacent qui, à titre personnel, me pose beaucoup de questions, notamment l'idée de faire totalement confiance à cette technologie qui peut sembler assez effrayante.

Je m'interroge aussi sur l'idée d'oublier, ou de mettre au second plan, le défi environnemental qui paraît considérable, du moins si l'on utilise la technologie dans son mode le plus ouvert et le plus absolu, avec la preuve de travail. À titre personnel, c'est ce problème qui me pose le plus de questions.

Je suis également frappé par le fait que l'on dise que le système s'autorégule alors que l'on observe tout de même une volatilité considérable par rapport à une monnaie classique. Lorsque l'on parle d'une capitalisation de 130 milliards de dollars du bitcoin, on peut se dire que c'est soit une opportunité phénoménale, soit une des plus grandes bulles jamais vues et qu'elle explosera en créant un chaos dont on ne pourra tenir personne pour responsable.

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