La secrétaire d'État venant de nous présenter le projet de loi, je souhaite vous faire part de l'état d'esprit dans lequel j'aborde cette discussion. Ma réflexion s'est nourrie des nombreuses auditions que nous avons organisées pour un total de près de vingt heures. Elles nous ont permis de rencontrer des associations, des magistrats, des enquêteurs, des médecins, des avocats et des universitaires.
La lutte contre les violences sexuelles et sexistes et l'amélioration de la prise en charge de leurs victimes, particulièrement lorsqu'elles sont mineures, sont deux objectifs partagés sur tous les bancs. Le présent texte apporte trois améliorations cruciales pour, précisément, atteindre ces objectifs.
La première de ces améliorations consiste à donner aux victimes et à la justice le temps suffisant pour engager des poursuites : le projet de loi porte de vingt à trente ans le délai de prescription de l'action publique d'un certain nombre de crimes commis sur des mineurs. Faut-il rappeler que, dans la majeure partie des cas, la victime de viol ou d'agression sexuelle, femme ou homme, a moins de quinze ans au moment des faits ? Parallèlement, très peu d'auteurs sont condamnés. Derrière ces chiffres anonymes se cachent trop de victimes réduites au silence pendant des jours, des mois, voire des années. L'allongement du délai de prescription à trente ans se justifie donc par la nécessité de tenir compte des mécanismes psychologiques complexes, dont l'amnésie traumatique, ou des obstacles matériels qui peuvent empêcher la victime de se remémorer ou de révéler des faits commis durant son enfance.
Faut-il aller plus loin en rendant ces crimes imprescriptibles ? Je ne le crois pas. L'imprescriptibilité est réservée au seul crime par nature imprescriptible : le crime contre l'humanité. Si le législateur de 1964 a tenu à le rappeler, c'est qu'à travers cette infraction c'est l'humanité en tant que valeur qui est protégée. Comme le précise à juste titre la professeure Hardouin-Le Goff, « le crime contre l'humanité s'identifie à une dénégation de l'homme, dénégation de l'humanité de l'homme qui en est victime ». Concéder le caractère imprescriptible à d'autres infractions, aussi terribles soient-elles, reviendrait à priver le crime contre l'humanité de son ultime degré de gravité.
La deuxième amélioration que permet ce texte est de créer les conditions d'une juste et efficace répression des auteurs d'agressions sexuelles, tout particulièrement lorsque la victime est mineure. Nous aurons un débat certainement riche, peut-être parfois passionné, sur cette question de société qui cristallise l'attention et fait écho notamment à de récents faits divers très médiatisés qui nous ont tous bouleversés. Elles ont mis en lumière des zones d'ombre de notre droit dans la protection des mineurs. Fort de ce constat, le Gouvernement a décidé, par ce projet de loi, de fixer un âge seuil de 15 ans pour la définition des viols et agressions sexuelles. La rédaction proposée allège considérablement la preuve de la contrainte ou de la surprise pour les mineurs de moins de quinze ans. Surtout, ce texte permet de guider le juge dans son appréciation du discernement du mineur, et ce avec application immédiate, c'est-à-dire aux dossiers en cours, donc pour des faits commis antérieurement à la loi.
Je vous proposerai cependant plusieurs amendements visant à améliorer et enrichir le projet de loi.
Je crois en effet nécessaire de clarifier les modalités d'appréciation du manque de discernement du mineur.
Par ailleurs, la définition du crime de viol devrait être complétée afin de viser les actes de pénétration imposés par l'auteur sur sa personne, et pas seulement sur sa victime, actes qui ne sont pas aujourd'hui considérés comme des viols mais comme de simples agressions sexuelles.
Enfin, les circonstances aggravantes des violences sexuelles mériteraient d'être étendues, notamment pour tenir compte de l'éventuelle présence d'enfants qui assisteraient aux faits.
La troisième et dernière amélioration consiste à adapter notre droit aux violences sexuelles et sexistes que nous avons trop longtemps banalisées. Je pense au cyber-harcèlement et au « harcèlement de rue ». Ces violences qui font irruption dans le quotidien des victimes ne sont pas acceptables en ce qu'elles portent atteinte à leurs droits et libertés, liberté d'aller et venir, vie privée, ainsi qu'à leur dignité.
Je salue l'avancée que constitue l'article 3 du projet de loi, qui permettra de punir pénalement les « raids numériques », ces contenus vécus par la victime comme du harcèlement compte tenu de leur caractère répété et massif alors même que chaque auteur n'a agi qu'une seule fois. Je vous proposerai d'en compléter le dispositif pour lever les interrogations qui ont pu naître autour de la notion de concertation, afin d'inclure deux types de propos ou comportements : ceux imposés par plusieurs personnes à une même victime à l'instigation de l'une de ces personnes et ceux imposés successivement, par plusieurs personnes qui, même en l'absence de concertation, savaient qu'ils caractérisent une répétition, par un phénomène en quelque sorte de surenchère.
Le harcèlement de rue sera désormais interdit par la loi pénale par le biais de la nouvelle infraction d'outrage sexiste ; il me semble nécessaire, dans un souci d'opérationnalité, d'étendre la liste des agents qui seront habilités à constater cette infraction, en visant notamment les policiers municipaux et les agents de sûreté des organismes de transport en commun.
Enfin, je remercie Mme la secrétaire d'État de s'être montrée disponible et à l'écoute de ces réflexions, ainsi que mon collègue Dimitri Houbron, qui défendra au nom du groupe de La République en marche certaines de ces propositions.
Tout notre travail a été la recherche d'un équilibre, un équilibre indispensable entre protection effective des victimes et respect des garanties constitutionnelles.