J'entends et je comprends vos arguments en faveur de l'imprescriptibilité, que défendent également certaines associations de victimes, considérant que les conséquences d'un viol subi dans l'enfance vous poursuivent tout au long de la vie, y compris après la condamnation de l'agresseur.
Néanmoins, je crois qu'il est important de rappeler que l'objectif poursuivi par le Gouvernement, c'est de mieux prendre en compte la difficulté des victimes à révéler les faits, difficulté d'autant plus importante que la victime est jeune et que les crimes sont commis par un membre de la sphère familiale ou de l'entourage. Or, étendre le délai de prescription est rendu possible aujourd'hui par les progrès scientifiques qui ont été accomplis en matière de conservation et d'exploitation des preuves ; cela correspond également à une meilleure compréhension des mécanismes de l'amnésie traumatique ou de la mémoire traumatique. Il me semble donc que cet allongement à trente ans donnera aux victimes le temps nécessaire pour saisir la justice, pour juridiciariser les violences subies, pour peu évidemment qu'elles le souhaitent, ce qui participe du processus de reconstruction.
Sur le plan strictement juridique, vos amendements risquent de se heurter à la censure du Conseil constitutionnel, qui n'admet l'imprescriptibilité que pour les crimes « touchant l'ensemble de la communauté internationale », ce qui n'inclut pas les crimes à l'encontre des mineurs, en dépit de leur particulière gravité. J'ajoute que, dans notre droit, d'autres crimes très graves ne bénéficient pas de l'imprescriptibilité : le délai de prescription est de vingt ans pour les meurtres, de trente ans pour les crimes de guerre ou les crimes terroristes. C'est une des raisons pour lesquels le rapport de la mission de consensus n'a pas opté pour l'imprescriptibilité mais pour l'allongement du délai de prescription à trente ans, proposition que nous avons décidé de reprendre.
Je voudrais rendre ici hommage à cette mission de consensus, dont je ne peux, hélas ! m'attribuer le mérite, puisqu'elle a été mise en place sous la précédente législature. Composée de tenants de l'imprescriptibilité comme de tenants d'un simple allongement des délais, elle a procédé à de très nombreuses auditions pour s'arrêter sur la solution la plus consensuelle et la plus acceptable, qui ne présente aucun risque d'inconstitutionnalité.
Quant aux propositions consistant à porter le délai de prescription à quarante ou cinquante ans, elles seraient une source de complexification et de déstructuration du droit de la prescription en réduisant à néant l'important effort de simplification qui a été accompli avec la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale.
Le droit actuel ne connaît que le délai de prescription de droit commun, d'une durée de vingt ans, et le délai dérogatoire de trente ans pour certains crimes. D'un point de vue juridique, ajouter un nouveau délai dérogatoire se justifierait difficilement, et le Gouvernement est donc défavorable à l'ensemble de ces amendements.