Avec l'article 2, nous abordons un sujet particulièrement sensible.
Il faut rappeler que nous poursuivons tous un même objectif : améliorer la prise en compte de la spécificité de violences sexuelles commises par des majeurs sur des mineurs.
Nos chemins divergent toutefois sur les moyens d'y parvenir, qui sont au nombre de trois : premièrement, éclairer la notion de contrainte et de surprise comme le propose le Gouvernement ; deuxièmement, instituer une présomption de contrainte ou de non-consentement ; troisièmement, créer des infractions sexuelles autonomes pour les mineurs.
Revenons sur la question de l'âge. Les nombreuses auditions que j'ai menées m'ont convaincue de la nécessité de conserver un haut niveau de protection en visant l'ensemble des mineurs de moins de 15 ans. Cet âge est reconnu par le code pénal comme celui de la maturité sexuelle. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État souligne la cohérence du seuil de 15 ans avec l'objectif poursuivi par les dispositions pénales envisagées. Reprenant les conclusions de la mission pluridisciplinaire, il fait valoir que « l'adolescent mérite, jusqu'à l'âge de quinze ou seize ans, une protection renforcée en raison des traces profondes provoquées par les traumatismes sexuels sur la structure et le fonctionnement du cerveau » et que « l'âge moyen du premier rapport sexuel chez les adolescents se situe de manière stable à dix-sept ans ». Abaisser l'âge à 13 ans, comme certains amendements le proposent, constituerait un recul par rapport au droit existant et créerait des effets de seuil pour les mineurs âgés de 13 à 15 ans.
Deuxième question : faut-il instaurer une présomption de contrainte ou de non-consentement ? Cette hypothèse a été soumise à l'expertise du Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi. Nous en avons très longuement discuté au cours des auditions. C'est l'une des questions qui a fait le plus débat. Une chose est certaine : il n'apparaît pas possible d'instituer une présomption irréfragable. Cela contreviendrait aux principes constitutionnels et conventionnels de la présomption d'innocence.
Qu'en est-il de la présomption simple ? A priori séduisante, cette idée n'en soulève pas moins de très sérieuses objections et pose nombre de difficultés. Le Conseil constitutionnel comme la Cour européenne des droits de l'homme n'ont admis l'existence d'une présomption de culpabilité en matière répressive que dans de très rares hypothèses, principalement dans le domaine contraventionnel, et généralement pour un fait matériel et objectif. En tout état de cause, les faits doivent induire raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité. Surtout, les droits de la défense doivent être préservés. Or il s'agirait ici d'instaurer une présomption simple de contrainte ou de non-consentement en matière criminelle qu'il serait bien difficile pour la personne poursuivie de renverser, à moins de se fonder sur les résultats incertains d'une expertise psychiatrique du mineur. La présomption instituée revêtirait donc en pratique toutes les caractéristiques d'une présomption irréfragable.
Cela me conduit à aborder l'option consistant à réprimer de manière spécifique les actes sexuels sur les mineurs sans exiger qu'ils aient été accompagnés de violence, contrainte, menace ou surprise. Incriminer de manière autonome les viols et agressions sexuelles sur mineurs reviendrait, pour faire simple, à criminaliser tout acte sexuel commis par un majeur sur un mineur d'un certain âge. Compte tenu du principe de proportionnalité, une telle proposition ne saurait s'appliquer indistinctement à tous les mineurs de moins de 15 ans. Elle serait source de difficultés pratiques et de contestations que ne manquerait pas de soulever l'instauration de seuils à différents âges. En outre, elle ignorerait la situation d'un auteur devenu majeur qui poursuivrait une relation librement consentie avec un mineur.
Pour l'ensemble de ces raisons, j'émettrai un avis défavorable à l'ensemble des amendements visant à revenir sur l'alinéa 2, que je vous proposerai en revanche de clarifier dans le sens d'une plus grande protection des mineurs.
Je suis défavorable à l'amendement CL1 dont l'objet est la criminalisation de tout acte de pénétration sexuelle sur un mineur de 15 ans ou tout mineur de 18 ans dès lors que l'auteur a une relation d'autorité sur lui. Votre proposition, monsieur Masson, va en effet extrêmement loin puisqu'elle revient sur la liberté sexuelle entre mineurs, sauf exception. Par ailleurs, elle me paraît disproportionnée au regard des peines encourues pour les faits que vous visez.
L'amendement CL68 reprend une proposition formulée par le Sénat dans la proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles qui a fait l'objet de nombreuses discussions.
Il revient sur le seuil de 15 ans, que plusieurs travaux préconisent de retenir et qu'il me paraît important d'inscrire dans le texte.
Toutes les personnes auditionnées ont souligné qu'une telle disposition soulevait de sérieuses difficultés.
Tout d'abord, rien n'est dit dans l'amendement du caractère simple ou irréfragable de la présomption. De sérieuses objections constitutionnelles peuvent être formulées à l'encontre d'une telle présomption, même simple, dès lors qu'elle s'applique en matière criminelle et à toutes les victimes mineures, quel que soit leur âge.
En outre, la mention d'une « différence d'âge significative entre la victime mineure et l'auteur des faits » laisse libre place à toutes les interprétations et incertitudes possibles. Le législateur peut-il ainsi se défausser sur la jurisprudence pour fixer cette différence d'âge sans méconnaître sa compétence ?
Pour ces raisons, je suis défavorable à cet amendement tout comme à l'amendement CL248.