Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Séance en hémicycle du jeudi 17 mai 2018 à 15h00
Prestation de compensation du handicap — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAgnès Firmin Le Bodo :

Notre objectif doit en effet être de changer le regard sur le handicap afin que chaque membre de la société, quels que soient ses capacités ou son niveau d'invalidité, soit perçu comme une richesse pour la collectivité dans son ensemble.

Toutefois – et c'est essentiel – , il ne s'agit pas de gommer, dans nos politiques pour une société inclusive, la dimension de souffrance et la spécificité de l'expérience du handicap. Nous devons prendre garde à ne pas rendre ces personnes invisibles, dans notre recherche d'un traitement indifférencié des personnes atteintes de handicap.

Depuis la loi fondatrice du 30 juin 1975, nous sommes passés progressivement d'une logique d'assistance, centrée sur le soin et la prise en charge des personnes conformément à une conception médicale du handicap, à une logique de droits.

La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a largement redéfini les contours de nos politiques, en reprenant le principe du droit à compensation des conséquences du handicap, mais surtout en lui apportant une définition et un contenu.

Le droit à compensation ainsi défini dépasse d'ailleurs largement les composantes individuelles que sont les aides techniques et humaines, ou encore l'aménagement du cadre de vie de la personne elle-même.

Il met également l'accent sur les composantes collectives de ce droit que sont l'accessibilité du cadre bâti, l'accès à l'école et à l'emploi ou encore le développement de l'offre de places en établissements spécialisés. En définitive, la mise en oeuvre de ce droit à compensation vise à donner aux personnes en situation de handicap la liberté de définir elles-mêmes leur projet de vie.

La prestation de compensation du handicap, créée par la même loi, est au coeur du dispositif visant à permettre cette compensation. Il s'agit d'un dispositif innovant et ambitieux, quasiment non soumis à des conditions de ressources et qui a avantageusement remplacé l'allocation compensatrice pour tierce personne qui était cantonnée aux aides humaines.

La création de la PCH avait apporté une clarification bienvenue sur la nature des prestations, la PCH devant concrétiser le droit à la compensation du handicap et l'allocation aux adultes handicapés étant conçue comme un revenu d'existence. La combinaison de ces deux prestations devait permettre une amélioration substantielle des conditions d'existence des personnes en situation de handicap.

Le dispositif de la PCH n'est toutefois pas exempt de défauts. Il prend ainsi insuffisamment en compte l'allongement de l'espérance de vie de nos concitoyens, dont bénéficient également les personnes en situation de handicap. En raison des progrès de la médecine, de l'amélioration de la qualité de l'accompagnement et d'une meilleure prise en compte de leurs besoins spécifiques, les personnes handicapées vivent en effet plus longtemps.

Ainsi, selon une enquête de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie en 2014, en moyenne nationale, 13 % des demandes déposées auprès des MDPH concernent une personne de plus de cinquante-neuf ans et les demandes relatives à la PCH représentent 6,6 % du total de ces demandes. Cette évolution doit nous conduire à mener une réflexion globale et à adapter notre cadre législatif.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, dans le cadre de la journée réservée au groupe MODEM, vise à améliorer le fonctionnement de cette prestation et son accessibilité. Elle entend répondre pour partie à cette problématique spécifique des personnes handicapées vieillissantes. Il s'agit d'une avancée que nous saluons.

Elle vise, d'une part, à supprimer la barrière d'âge de soixante-quinze ans au-delà de laquelle une personne ne peut plus demander la prestation de compensation du handicap, alors même qu'elle y était éligible avant soixante ans – nous pourrions du reste revenir sur la problématique de la barrière des soixante ans.

La mise en place de ces critères d'âge avait été contestée lors de l'examen du projet de loi en 2005, au motif qu'elle risquait d'entraîner des ruptures de droit et des discriminations entre individus. Pour cette raison, la version finale de l'article 13 de la loi prévoyait la suppression dans un délai maximal de cinq ans des dispositions opérant une distinction entre les personnes handicapées en fonction de critères d'âge, en matière de compensation du handicap et de prise en charge des frais d'hébergement en établissements sociaux et médico-sociaux.

Il s'agissait donc d'un dispositif qui, dans l'esprit du législateur, n'était que provisoire et avait vocation à être abrogé. Le Conseil d'État, saisi de cette question par une association en 2012, avait en quelque sorte exonéré l'État de l'obligation d'agir, en considérant que l'article 13 était dépourvu de portée normative. Toutefois, la question n'a pas disparu. Plusieurs rapports de l'IGAS, en 2011 et en 2016, ont ainsi préconisé la suppression de ce critère d'âge.

L'article 45 de la loi d'adaptation de la société au vieillissement prévoyait de même la remise au Parlement d'un rapport sur l'impact des seuils pour l'attribution de la prestation de compensation du handicap. J'avais d'ailleurs fait remarquer, lors de la présentation du rapport d'évaluation sur cette même loi, que la publication de ce rapport était particulièrement attendue par l'ensemble des acteurs du handicap.

De l'avis général, en effet, le maintien de ces barrières d'âge, notamment de celle de soixante-quinze ans, est perçu comme particulièrement injuste. Il reflète une conception inadaptée selon laquelle, à partir d'un certain âge, les difficultés que connaîtraient les personnes seraient non plus liées au handicap mais seulement à la dépendance, alors qu'en réalité les deux problématiques s'additionnent au lieu de se remplacer.

La suppression de cette barrière d'âge de soixante-quinze ans est donc une mesure de justice et d'équité, à laquelle nous souscrivons pleinement, même si sa mise en oeuvre doit avoir quelques conséquences financières pour les départements qui sauront, j'en suis certaine, l'assumer à hauteur de 69 millions d'euros pour l'ensemble d'entre eux. Ils pourront ainsi, vous l'avez souligné, madame la secrétaire d'État, résoudre des problèmes très difficiles pour les 8 600 bénéficiaires.

L'article 2 de la proposition de loi prévoit la mise en place d'une expérimentation visant à limiter le reste à charge des bénéficiaires de la PCH, les imprécisions actuelles de la loi contrariant la publication du décret limitant ce reste à charge à 10 % des ressources des bénéficiaires. Les inégalités territoriales en matière de reste à charge sont aujourd'hui criantes. Le rapport de l'IGAS de 2016 met en effet en lumière des pratiques très disparates selon les MDPH, qui ont la charge de la gestion du Fonds de compensation du handicap. Ce sont en effet bien souvent des barèmes ou des plafonds qui sont appliqués et non pas le critère des 10 % de ressources.

Nous sommes favorables à la mise en place de cette expérimentation, qui devrait permettre de sortir de l'impasse. Nous espérons qu'elle aboutira à une solution à la fois soutenable pour les finances publiques et plus juste pour les demandeurs, même s'il faut rappeler – je le fais après d'autres – que la disposition relève d'un décret.

Au même titre que d'autres parlementaires, nous avons à plusieurs reprises évoqué dans cet hémicycle l'injustice criante que constitue la prise en compte des revenus du conjoint dans le calcul de l'allocation aux adultes handicapés. C'est pourquoi nous soumettrons à la sagesse de l'Assemblée un amendement visant à évaluer le coût d'une déconjugalisation du calcul des ressources pour le bénéfice de l'AAH.

Il s'agit d'une exigence de justice, car les personnes en situation de handicap ne devraient pas être pénalisées dans leur vie privée du fait de leur handicap. Le maintien de cette prise en compte aboutit parfois à des situations indignes, conduisant ces personnes à renoncer à une vie de famille de peur de perdre le bénéfice de cette prestation. Elles peuvent également se retrouver en situation de dépendance financière par rapport à leur conjoint, au mépris de leur dignité et alors qu'elles font face à de plus grandes difficultés que les personnes valides pour trouver un emploi.

Je souhaite que nous trouvions une solution sur ce sujet, qui fait l'unanimité chez les acteurs et représentants du secteur. Notre groupe aborde donc très favorablement l'examen de cette proposition de loi. Nous sommes convaincus qu'il est nécessaire d'agir avec volontarisme en direction des personnes en situation de handicap, pour une société davantage inclusive. Ce texte a le mérite de régler deux problèmes particuliers et de faire deux pas – deux petits pas, mais considérables. Lors de la discussion en commission, nous avons constaté – il en sera de même durant notre débat dans l'hémicycle – que le temps est peut-être venu, madame la secrétaire d'État, d'ouvrir les chantiers des besoins des personnes en situation de handicap.

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