Intervention de Pierre Dharréville

Séance en hémicycle du jeudi 17 mai 2018 à 15h00
Prestation de compensation du handicap — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la compensation du handicap doit être un droit universel. Parce que le handicap vient ajouter à toutes les inégalités, à toutes les difficultés de la vie, notre société doit assurer cette compensation, non pas comme un geste de charité, mais comme un droit.

L'accès à ce droit ne doit pas être semé d'obstacles. Or la puissance publique a souvent tendance à ne pas aller au bout des intentions qu'elle affiche. C'est ce que dénonce par exemple l'Association des paralysés de France lorsqu'elle déclare, à propos de la prestation de compensation du handicap, que « les conditions d'accès à cette prestation sont trop restrictives et excluent d'emblée un certain nombre de demandeurs ».

Cette prestation est essentielle puisqu'elle vise à financer les dépenses liées au handicap, qu'elles soient humaines ou techniques et matérielles. Elle est d'autant plus nécessaire que, selon un rapport de l'IGAS, la moitié des personnes handicapées ont un niveau de vie inférieur à 1 540 euros par mois, soit près de 200 euros de moins qu'une personne valide. Ce même rapport précise que « plus le handicap est sévère, plus le revenu est faible et le niveau de pauvreté élevé ». Tout compte fait, le revenu disponible des personnes en situation de handicap demeure 1,4 fois moins élevé que celui de l'ensemble des 15-64 ans. Cela résulte en partie de la difficulté accrue de ces personnes à trouver un emploi.

Mais la dégradation de leurs conditions ne s'arrête pas là : toujours selon un rapport de l'IGAS de 2016, le montant mensuel de la PCH par personne a diminué au cours des dernières années, passant de plus de 1 000 euros en 2006 à 800 euros en 2011 et 745 euros à la fin de l'année 2015. La situation varie fortement d'un département à l'autre, comme le montrait un rapport conjoint de l'IGAS et de l'IGA d'août 2011 sur l'évaluation de la PCH. Cette dégradation est à mettre en parallèle avec, notamment, la situation financière des départements.

Selon le baromètre de l'Observatoire national des aides humaines, en 2017, le délai de traitement des demandes variait de trois à douze mois et le taux d'accord variait de 27 % à 79 % selon les départements. Les agents des MDPH sont mobilisés : ils ont alerté les pouvoirs publics parce qu'ils ne peuvent plus assurer l'instruction des dossiers par manque de moyens humains. Derrière ces dossiers, ce sont des femmes et des hommes qui attendent longtemps, trop longtemps, les réponses qui doivent leur permettre d'accéder à leurs droits. Le Gouvernement doit donc garantir aux conseils départementaux les moyens de mettre en oeuvre leurs principales missions. Il y a un doute sur ce sujet – et même plus qu'un doute, puisque des mesures allant à l'encontre de cette nécessité ont été annoncées.

Cette situation de fait vient renforcer l'obligation de principe qui nous est faite d'agir de manière urgente en faveur de l'amélioration des conditions de vie des personnes en situation de handicap, en particulier à travers la PCH. La proposition de loi qui nous est soumise affiche justement l'objectif d'améliorer ce dispositif.

Aujourd'hui, passé l'âge de soixante-quinze ans, une personne qui répondait aux critères d'éligibilité avant soixante ans ne peut plus demander à bénéficier de cette prestation. La première disposition qui nous est proposée consiste à supprimer cette barrière des soixante-quinze ans pour permettre aux personnes concernées de faire valoir leur droit à compensation même au-delà de cet âge. Cela semble être une mesure de bon sens. En effet, pour de nombreuses personnes, cette compensation du handicap s'avère d'autant plus nécessaire avec l'âge. Comment expliquer qu'on les empêche d'accéder à la PCH au moment où elles peuvent en avoir le plus besoin ? Il faut donc supprimer cette barrière. Faisons-le !

Toutefois, en nous arrêtant là, nous laisserions perdurer une inégalité et une ineptie – vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur – , puisque les personnes ne remplissant les conditions d'éligibilité à la PCH qu'après soixante ans resteraient exclues du dispositif. Là encore, même si l'allocation personnalisée d'autonomie peut leur être versée, elle ne l'est pas au même titre et ne vient pas compenser leur situation de handicap. Précisons que le montant de la prestation est évalué en tenant compte de l'environnement de la personne – d'ailleurs, compte tenu des logiques d'austérité pesant sur les départements et parfois répercutées par eux, cette évaluation se fait trop souvent au rabais, au risque de placer la personne dans la position de quémander. Il ne s'agit pas de doublonner des aides, mais d'établir pleinement les bénéficiaires dans leurs droits grâce à leur complémentarité. La suppression de la barrière de soixante-quinze ans vient renforcer les interrogations qui pèsent sur celle de soixante ans. Nous eussions pu nous y attaquer également.

L'article 2 fait suite à une contradiction présente au coeur de la loi de 2005 et qui a été vécue, au fil du temps, comme une hypocrisie. En effet, la loi prévoyait un plafonnement du reste à charge à 10 % au maximum grâce à la PCH sans garantir les fonds destinés à financer cette mesure, de telle sorte que, depuis 2005, nous attendons toujours les décrets d'application. Il faut donc agir pour concrétiser cette disposition – il est plus que temps !

Il est proposé d'engager une expérimentation sur trois ans dans des départements volontaires – vous nous avez d'ailleurs appris qu'il en existait, madame la secrétaire d'État – afin d'évaluer la faisabilité financière d'un dispositif garantissant un plafond de reste à charge maximal.

Nous louons cette volonté d'avancer, mais nous regrettons que cela débouche sur un nouveau recul de la possibilité d'une application générale de cette disposition, puisque les avancées ne pourraient se produire qu'à l'issue de ces expérimentations. Cela reviendrait ainsi à repousser à 2021 une mesure qui avait été votée en 2005. N'aurions-nous pas pu, madame la secrétaire d'État, résoudre enfin ce problème pour l'ensemble des personnes concernées sur notre territoire ? Pour notre part, nous le souhaitons. Votre proposition est mieux que rien, car elle permet de fixer une échéance, mais cette disposition est aussi vécue par certains comme un nouveau recul, avec la crainte d'un renvoi aux calendes grecques.

Le reste à charge vient affecter le pouvoir d'achat des familles et est le signe éloquent de l'incomplétude de la compensation offerte par la société – comme si l'on faisait peser sur les personnes une responsabilité dans leur handicap.

Les attentes demeurent immenses chez les personnes en situation de handicap et leurs familles, et cette proposition de loi, dont nous pouvons saluer les intentions, ne peut être qu'une nouvelle étape pour avancer vers des droits nouveaux en faveur des personnes en situation de handicap, plus frappées encore par les inégalités sociales et territoriales – des droits nouveaux pour respecter la dignité humaine.

C'est l'une des raisons pour lesquelles, lors de la « mission flash » sur les personnes aidantes, dont j'ai été le rapporteur, j'avais proposé l'automaticité des droits, la revalorisation de la PCH ou la prise en charge à 100 % de l'aide à domicile, éliminant le reste à charge et la renonciation aux droits.

Lors de son discours de politique générale, le 4 juillet 2017, le Premier ministre a déclaré : « L'inclusion des personnes en situation de handicap constitue une des priorités du quinquennat. Les personnes en situation de handicap et celles qui les accompagnent ont droit à la solidarité nationale. Elles ont besoin de bien plus encore, et elles peuvent nous apporter davantage. »

Les personnes en situation de handicap attendent toujours des actes forts. Une part trop importante du soutien à l'autonomie repose, quand c'est possible, sur les familles et des mesures déjà proposées ici, et qui pouvaient permettre un progrès dans la vie de chacune et de chacun, ont été repoussées, jusqu'à cette proposition d'une commission spéciale, portée par notre collègue Marie-George Buffet et visant à supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l'allocation aux adultes handicapés. Cette question faisait – et fait encore, comme j'ai pu le constater – , l'objet d'un large consensus.

Pour en revenir à la prestation de compensation du handicap, celle-ci mériterait donc un état des lieux approfondi et de nouveaux aménagements. Ne faut-il pas faire évoluer les besoins couverts par la PCH aide humaine actuelle, qui n'a pas évolué depuis la loi de 2005 ? Ne faut-il pas y intégrer les activités domestiques, qui sont toujours hors-champ ? Ne faut-il pas revoir la liste des éléments ouvrant droit à cette aide compensatoire, tant elle semble restrictive aux yeux de nombreuses associations ? Ne faut-il pas une prestation de compensation plus adaptée pour les enfants, afin de leur permettre, avec leurs familles, de vivre et grandir dignement et en toute sécurité ? Le seuil même de 10 % de reste à charge inscrit dans la loi ne doit-il pas lui-même faire l'objet d'une interrogation ?

La France a ratifié la Convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées : il y a urgence à prendre toutes mesures appropriées pour écarter tout ce qui est source de discrimination envers les personnes en situation de handicap et produire des avancées significatives pour l'égalité. De nombreux autres paliers sont encore à franchir en faveur de l'autonomie, pour le respect des droits humains et de la dignité.

Cette proposition de loi ne suffit pas, mais il faut prendre chaque avancée possible. La cause des personnes en situation de handicap fait avancer toute la société. Elle la remet en face de l'exigence égalitaire et du défi de l'autonomie de la personne comme objectif social jamais abandonné. Elle nous rappelle la force de la solidarité nationale – qui ne saurait, je le dis au passage, consister en une nouvelle journée volée à celles et ceux qui donnent déjà tant. Elle convoque la construction d'un service public au coeur de l'action pour répondre aux besoins. Votre initiative contribue donc à laisser ce dossier sur la table et à le remettre en haut de la pile. C'est une absolue nécessité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.