Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du jeudi 17 mai 2018 à 15h00
Désignation aléatoire des comités de protection des personnes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, avant de discuter la proposition de loi que le groupe MODEM nous soumet, j'avais envie de vous lire quelques mots issus d'un ouvrage de 1932, qui reste d'actualité : Les chiens de garde de Paul Nizan. À propos des philosophes idéalistes qui considèrent que la seule vie pertinente pour la philosophie se trouve dans une raison abstraite, voici ce qu'il écrit : « Les historiens de la philosophie qui forment le gros des philosophes de ce temps assurent que les pensées sont soumises aux lois spéciales d'un règne spécial de l'existence. Ils feignent d'être convaincus par cette assurance qu'ils prodiguent. La pensée leur paraît une activité vraiment pure exercée par des êtres qui n'ont ni lieu ni temps et qui ne sont pas unis à un corps, par des êtres qui n'ont point de coordonnées ».

Il me semble important de rappeler, monsieur le rapporteur, qu'un député ne se trouve jamais sans coordonnées et que ses actions ne se situent pas dans une sorte de monde parallèle. Lorsque nous avons signalé, en commission, de possibles convergences d'intérêts entre votre situation, les positions des laboratoires et la présente proposition de loi, vous vous êtes offusqué, considérant que notre interrogation était un argument ad hominem, une attaque personnelle hors du champ du débat parlementaire. Vous avez répondu alors : « Je m'exprime en tant que rapporteur et pas en tant que personne. »

Chacune et chacun d'entre nous, mes chers collègues, est une personne, vous en conviendrez. La défense que vous avez esquissée le jour de l'examen de votre proposition de loi en commission, monsieur le rapporteur, est étonnante : serions-nous des êtres capables de dédoublement pour qu'il n'y ait aucun lien entre notre personne sociale et notre mandat de représentant de la nation ? Au contraire, c'est notre vie et notre engagement qui nous ont poussés à nous présenter aux élections. Une fois élus, nous devons représenter l'intérêt général, c'est certain. Or, c'est un fait avéré, il est plus facile de saisir l'intérêt général lorsque l'on n'est pas trop proche d'intérêts particuliers. C'est d'autant plus important en matière de santé publique, car il peut être question de vie ou de mort.

C'est en tant que députés que mes collègues de La France insoumise se sont interrogés en commission. Et cette interrogation n'était pas destinée à vous exposer en tant que personne, monsieur le rapporteur. C'était une interrogation politique, car il nous semble important, en démocratie, que les déclarations d'intérêts soient publiques et transparentes, afin d'éclairer le débat public. Il ne me semble pas illégitime de discuter la pertinence de confier à un actionnaire de Sanofi – certes, pour 92 parts seulement, mais actionnaire tout de même – la tâche de rapporter une proposition de loi relative à l'expertise des comités de protection des personnes. Au nom de la transparence démocratique et pour que votre texte ne soit pas entaché de soupçons de conflit d'intérêts, il me semble important que soit connu le fait que vous avez reçu, de 2012 à 2016, plus de 3 500 euros de cadeaux en nature de la part des laboratoires pharmaceutiques. Parce que cette question est politique, nous proposons, par un amendement, que l'examen de tout projet ou proposition de loi portant sur la politique de santé donne lieu à la publication d'une déclaration de conflit d'intérêts par les rapporteurs désignés à l'Assemblée nationale et au Sénat ainsi qu'à une concertation préalable avec la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

De ce point de vue, la concordance entre l'exposé de motifs de la présente proposition de loi et les revendications des lobbies pharmaceutiques est pour le moins troublante : vous reprenez mot pour mot les revendications formulées par le LEEM – Les Entreprises du médicament – , lobby des industriels français du secteur pharmaceutique. Je m'inquiète qu'un texte de loi fasse écho de manière aussi évidente à des intérêts privés de nature à menacer la santé publique. La proposition de loi constitue une réponse aux attentes du lobby pharmaceutique, qui considère les démarches relatives aux comités de protection des personnes trop longues et complexes. Encore une fois, le refrain de la complexité et de la nécessaire rapidité les poussent, et vous avec, à passer par-dessus bord le principe directeur en matière de santé publique : l'intérêt des patients. De ces derniers, il n'est d'ailleurs pas question un seul instant dans l'exposé des motifs. Non, pour vous, ce qui compte, c'est que les industries pharmaceutiques puissent mettre au plus vite leurs produits sur le marché du médicament.

Il est question, rappelons-le, des comités de protection des personnes. Leur objectif premier comme leur raison d'être est précisément la santé des personnes qui participent aux essais cliniques. Quarante comités de cette nature, composés de chercheurs, de professionnels de santé, d'usagers, de représentants d'associations ou encore de psychologues, existent à travers le pays. Chaque saisine de ces comités donne lieu à un tirage au sort par la Commission nationale des recherches impliquant la personne humaine.

Par votre proposition de loi, vous entendez restreindre le périmètre de ce tirage au sort aux seuls comités comprenant un membre expert de la question sur laquelle l'un des comités sera appelé à émettre un avis. Je pense qu'il est possible de vous convaincre par la raison, monsieur le rapporteur, des risques que fait courir votre proposition de loi. Peut-être vous ferez-vous alors un autre avis. Au demeurant, votre argumentation est irrecevable, car les membres des comités qui ne sont pas experts de telle ou telle question sont formés.

Commençons par revenir sur l'utilité du tirage au sort en tant que tel. Grâce à ce mécanisme, les industries pharmaceutiques ne peuvent pas savoir par avance quel comité sera choisi. Cela permet de garantir l'indépendance desdits comités. Avec votre nouveau système, que vous présentez comme une sorte d'amélioration technique consensuelle, c'est l'indépendance des comités de protection des personnes que vous remettez en cause. Si le tirage au sort compte moins de participants, monsieur le rapporteur, il n'est pas besoin de considérer longtemps le problème pour se rendre compte que les comités seront davantage menacés par les intérêts privés des laboratoires pharmaceutiques, qu'il sera plus facile pour ces grands marchands de médicaments de faire en sorte de vendre au plus vite.

Tel est le sens d'une vitesse à tout prix qui est imposée par l'argent, non par la volonté de soigner au plus vite. Les biologistes sont nombreux à le dire : les laboratoires passent plus de temps à améliorer la marge réalisée avec tel ou tel médicament qu'à s'engager dans des recherches de long terme contre des maladies demeurées incurables. Nous ne leur jetons pas la pierre : c'est la logique du marché qui fonctionne ainsi. Il est inadmissible que nos santés soient soumises à une telle logique, à la vitesse de circulation des milliards de l'industrie pharmaceutique. Votre proposition de loi va dans le sens des intérêts de cette industrie avide, qui sont aujourd'hui bien éloignés de ceux de nos concitoyens et concitoyennes. Faut-il rappeler ici l'affaire du Mediator ou celle du sang contaminé pour que les consciences des représentants de la nation s'éveillent à l'absence absolue de morale de l'industrie du médicament ?

Bien éloignés des conceptions et des intérêts qui ont présidé à la rédaction de ce texte, nous vous suggérons au contraire de renforcer les prérogatives des comités de protection des personnes en leur attribuant l'évaluation de la conception scientifique et méthodologique de l'essai clinique. C'est une condition sine qua non de la protection des patients. Cela permettra de vérifier qu'ils ont bien été informés et que leur consentement a été clairement formulé. Tous les esprits indépendants guidés par une préoccupation sans faille pour l'intérêt général devraient pouvoir s'accorder sur la nécessité de renforcer le pouvoir des comités de protection des personnes au lieu d'en affaiblir l'indépendance.

J'ai évoqué le poids démesuré et nocif de l'industrie pharmaceutique sur les enjeux de santé publique. L'examen de ce texte est aussi l'occasion de constater l'impact désastreux de la soumission de la recherche pharmaceutique à la logique de rentabilité et de profit, et de lancer l'alerte à ce sujet. À l'attention de celles et ceux qui n'ont jamais participé à des manifestations, j'indique qu'on y trouve, outre des personnes très sympathiques et attachées à la fraternité humaine, des slogans particulièrement pertinents tels que celui-ci : « Nos vies valent mieux que leurs profits. » Quand il est question de santé publique, ces mots trouvent un écho particulier. Oui, monsieur le rapporteur, à vous ainsi qu'au gouvernement que vous soutenez, je crois qu'il ne sera jamais inutile de rappeler que nos vies n'ont pas de prix et qu'il n'est pas possible de jouer à la bourse avec elles.

C'est pourquoi nous demanderons, par amendement, un rapport évaluant les différentes possibilités pour créer un pôle public du médicament. Un tel rapport permettrait de confirmer, ne serait-ce qu'en rassemblant les différentes études existantes, le caractère nuisible de la recherche pharmaceutique à but lucratif. Nous devons réfléchir avec sérieux, mes chers collègues, à la création d'un tel pôle public du médicament. Je vous invite à consulter attentivement le programme de La France insoumise, dont plusieurs pages sont consacrées à la question essentielle de la santé. Dans la perspective que nous proposons, ce pôle public serait articulé autour du CNRS – Centre national de la recherche scientifique – et de l'INSERM – Institut national de la santé et de la recherche médicale. Il serait non seulement consacré à la recherche, mais aussi à la production de médicament. Je gage que cela changerait l'ambiance de travail et calmerait l'arrogance des laboratoires pharmaceutiques privés.

En République, il faut se donner les moyens de garantir l'intérêt général. Pour cela, il est nécessaire que la puissance publique soit suffisamment forte pour venir à bout des intérêts particuliers uniquement motivés par le gain et l'argent. Le groupe La France insoumise s'opposera à ce texte, qui n'a aucune raison d'être et fait bien trop écho aux intérêts du lobby pharmaceutique.

J'ai commencé mon intervention avec Paul Nizan. Permettez-moi de la terminer avec Spinoza, afin de vous inviter à réfléchir de nouveau aux liens que certains pourraient ou non entretenir avec des intérêts privés : « Un État [… ] dont le salut dépend de la loyauté de tel ou tel, et dont les affaires ne peuvent être correctement prises en charge qu'à la condition que ceux qui les traitent aient la volonté d'agir loyalement, n'aura aucune stabilité. Pour qu'il puisse durer, au contraire, les affaires publiques doivent être ordonnées de telle sorte que ceux qui les administrent, qu'ils soient conduits par la raison ou par les affects, ne puissent être amenés à manquer de loyauté ou à mal agir. »

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