Intervention de Jean-Baptiste Bonnet

Réunion du mercredi 25 avril 2018 à 14h00
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Jean-Baptiste Bonnet, président de l'Intersyndicale nationale des internes (ISNI) :

Je vous remercie de nous accueillir pour débattre de ce sujet central, sur lequel nous n'avons pas assez de contacts avec la représentation nationale. Je vous remercie également de nous entendre ensemble, car, comme vous pourrez le constater, il existe un socle commun de pensée entre les différentes organisations présentes, quelles que soient leurs divergences par ailleurs.

La démographie médicale est un sujet important pour nous, comme pour le ministère de la santé. L'année dernière, ce dernier a arrêté de nouveaux critères visant à définir les zones d'attractivité prioritaires, avec un nouveau zonage proposé aux ARS ; ces propositions ont été actées le 13 novembre 2017.

La nouvelle carte de l'Ile-de-France est assez parlante : le jaune représente la zone d'action complémentaire, le rouge, la « catastrophe » c'est-à-dire la zone d'intervention prioritaire , et la zone blanche, la situation normale qui devrait exister partout. Je ne suis pas originaire d'Ile-de-France, mais je sais qu'à Fontainebleau, à Rambouillet, il y a des forêts. Ce qui veut dire que, en dehors des forêts et des arrondissements centraux de Paris, il n'y a que des zones problématiques.

Il s'agit là d'un élément central de notre réflexion, qui est à corréler au numerus clausus des années 1970 à 2002. Il n'y a pas nécessairement une mauvaise répartition des médecins dans le territoire : il existe bel et bien un déficit global en médecins. La preuve en est qu'une mesure coercitive en matière d'installation et de pratique de la médecine a été mise en place : je veux parler de l'internat.

Avec la réforme du troisième cycle, les centres hospitaliers publics se sont rendu compte qu'ils perdaient une énorme « force de frappe » et qu'ils n'avaient pas particulièrement anticipé ce déficit. Nous sommes donc vraiment face à un déficit global et, finalement, habiller Pierre voudra certainement dire déshabiller Paul.

L'ISNI réalise, depuis plusieurs années, un travail sur ce sujet. Nous avons produit deux documents cette année. Le premier, relatif à la carrière hospitalo-universitaire, évoque, sans toutefois le traiter, le problème de la territorialité. Le second est un livre blanc que nous ne manquerons pas de vous transmettre.

Au-delà de ces publications, nous avons dégagé quelques lignes de force. La première concerne le numerus clausus. Nous n'avons pas d'opinion sur le sujet, nous disons simplement que, s'il est augmenté, les capacités d'accueil des universités devront l'être également – les locaux, mais aussi les lieux de stage. S'il est supprimé, il faudra à tout prix en anticiper les répercussions d'ici à dix ans, puisque nous payons aujourd'hui les politiques publiques des années 1980. Nous devons absolument éviter que, en 2030, les médecins paient les politiques publiques de 2018.

La collectivité doit aujourd'hui avoir une vision beaucoup plus en réseau, plus globale pour répondre à une nouvelle donne : le déficit de médecins pour les vingt prochaines années.

Alors, comment assurer l'accès aux soins à tous et de qualité ?

Notre première proposition, que nous partageons avec de nombreuses institutions, est de créer un « CHU hors les murs », ou plutôt une UFR de médecine régionale. La faculté de médecine doit récupérer ses fonctions d'enseignement et de recherche et les partager dans tout le territoire. Cela nécessiterait non seulement des MSU de médecine générale et dans les autres spécialités médicales pour le libéral, mais aussi de confier des fonctions de recherche et d'enseignement aux praticiens libéraux et aux médecins des CH périphériques – notamment pour venir parler de l'attractivité de leur métier.

Il convient, en effet, de casser le format hospitalo-centré, qui attire et bloque les talents comme une sorte d'aspirateur, et qui empêche les internes d'envisager une carrière autre qu'hospitalo-universitaire. La réflexion du vice-président de l'ANEMF est pour moi symptomatique de la réflexion générale.

Notre deuxième proposition vise à redéfinir la distribution de l'argent de l'enseignement de la médecine en fonction des besoins du territoire. Pour cela, il conviendra peut-être de redonner les pleins pouvoirs à l'université pour qu'elle puisse, avec la représentation nationale, déterminer les objectifs de formation – et non pas les réserver aux CHU, comme c'est le cas actuellement, à 90 %.

Une autre de nos propositions, et nous sommes là d'accord avec l'ANEMF et l'ISNAR-IMG, concerne la formation des jeunes médecins à l'ensemble des métiers de la médecine, et ce dès le deuxième cycle. À la médecine générale, bien entendu, puisque c'est le fondement même de leur métier, mais également aux autres spécialités – la représentation nationale devant déterminer des objectifs.

Il n'est pas normal que, dans les internats de dermatologie, de gastroentérologie ou d'endocrinologie, nous n'ayons pas accès au libéral. Actuellement, cela se fait de façon extrêmement ponctuelle dans les différentes facultés de France. Peut-être faut-il fixer des objectifs d'évaluation, d'intéressement ou d'obligation. En tout cas, nous y sommes prêts, nous n'attendons que des validations universitaires. Et si cela ne peut se faire en libéral, pourquoi ne pas ouvrir au privé ?

Enfin, au-delà de la formation, nous avons réfléchi à la pratique de la médecine, à des filières de soins... Y a-t-il besoin, dans certaines zones, d'un endocrinologue diabétologue cinq jours sur sept ? Peut-être pas. En revanche, un jour sur cinq, pourquoi pas ? Ma femme est chef de clinique de néphrologie et réalise des transplantations rénales. Y aura-t-il besoin d'un transplanteur rénal à Millau cinq jours sur sept ? Peut-être pas non plus. En revanche, un jour cinq pour recevoir en consultation des patients greffés, certainement.

L'idée est également de créer un lien entre les médecins généralistes, les néphrologues locaux et le CHU, marqueur de l'innovation et de la performance de cette filière, pour partager leurs connaissances. Fonder des équipes territoriales, inciter les gens à travailler ensemble et à partager leurs connaissances, et fixer des objectifs territoriaux sur une région donnée est aujourd'hui indispensable.

De même, comment faire en sorte que l'ensemble des professionnels paramédicaux puisse être en lien avec les médecins ? Et comment aider les médecins à connaître rapidement les interlocuteurs dont ils ont besoin dans un territoire ? Car si la question du médecin généraliste dans un bassin de population se pose, se pose aussi celle de la sortie de l'hospitalisation – par exemple celle d'une personne âgée qui est en capacité de rester chez elle, mais qui doit être suivie par un certain nombre de professionnels : infirmier, kinésithérapeute, ergothérapeute, etc. Pour cela, il faut un coordinateur de soins hospitalier, mais aussi territorial, avec du temps dédié. Les missions de coordination, assurées par les médecins et autres soignants, devront être encadrées dans le temps et rémunérées correctement.

Par ailleurs, il convient de se doter des outils du XXIe siècle. Notre génération ne comprend pas le retard qui a été pris concernant le dossier médical personnalisé (DMP). Nous sommes nés avec. J'utilise ma carte bancaire tous les jours, partout en France et même ailleurs ; ce qui a été fait pour la banque peut être fait pour la médecine.

Enfin, le sujet de l'interopérabilité, ce que nous appelons les systèmes d'information hospitaliers, à savoir les logiciels hospitaliers, est primordial. Comment faire, quand on reçoit à Montpellier un patient de Millau, pour recevoir l'information médicale ? En termes de sécurité des soins, cette information est absolument cruciale.

En résumé, nous sommes tout à fait conscients que la population française veut l'électricité dans chaque village, mais la question reste la suivante : installons-nous des générateurs ou un réseau électrique ?

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