Intervention de Nicolas Hulot

Réunion du jeudi 12 avril 2018 à 14h00
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire :

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, je viens de prêter serment sur un sujet où l'on a intérêt à peser ses mots, parce que le principe de réalité nous remettra devant nos responsabilités.

Je tiens tout d'abord à vous remercier de conduire cette commission d'enquête sur la sécurité et la sûreté des installations nucléaires : dans les choix qui sont de la responsabilité du gouvernement comme dans mes choix propres, quels que soient les sentiments, les positions, les convictions que l'on puisse avoir sur cette filière, nous sommes tous d'accord pour dire que nous devons avoir le maximum d'informations. Pour une raison bien simple : tout secteur d'activité comporte des risques, mais tous les secteurs d'activité ne présentent pas des risques de même ampleur. Ensuite, c'est à la société de choisir ce qu'elle décide en termes de prise de risques ; mais il faut le faire en toute transparence, en toute information. J'espère que cette commission d'enquête pourra m'aider, nous aider et aider les citoyens à faire des choix éclairés.

En entendant ce préambule, vous comprenez en creux que je serai très attentif à l'issue de vos travaux. J'ai moi-même des convictions ; j'ai des informations que je prends, parce que j'y suis obligé, dans une relation de confiance avec ceux qui sont dans le périmètre de mon ministère chargés de répondre à mes doutes et à mes interrogations ; un certain nombre de questions sont posées, notamment depuis des événements récents à l'origine de la création de votre commission, qui ne valent pas démonstration, en tout cas pas en l'état des informations dont je dispose, mais qui n'en méritent pas moins examen.

De toute façon, quoi qu'on veuille en faire, notre filière nucléaire est là pour durer un certain temps. Après, ce qui sépare les uns et les autres, c'est la durée de ce temps. Et comme de surcroît notre parc est vieillissant, les questions auxquelles vous allez essayer de répondre ou d'apporter un éclairage sont d'autant plus nécessaires.

Lorsque je dis que tous les secteurs d'activité n'ont pas la même échelle de risques, il ne s'agit pas pour moi de me servir de cette commission pour étayer les opinions de chacun : il ne faut pas mélanger les genres. Mais j'y insiste : les échelles de risques et les conséquences d'une possible faille ne sont pas les mêmes. Il est important de ne pas avoir la mémoire trop courte et cela, de mon point de vue, justifie d'autant plus votre exigence d'avoir les moyens d'obtenir des réponses aux questions que vous êtes en droit de vous poser, comme l'est en droit chaque citoyen vivant à proximité d'une centrale ou sur l'itinéraire d'un convoi de transport de matières.

Lors des séquences de Tchernobyl, de Three Mile Island et, plus récemment, de Fukushima, on s'est posé beaucoup de questions. Puis, la vie étant ce qu'elle est, au bout d'un moment, on est entré dans une forme d'accoutumance. Reste que lors de cette séquence un peu effroyable de Fukushima, des scénarios ont été envisagés, qui montrent que les autorités n'étaient pas loin de perdre la main. Il faut donc bien comprendre que l'on n'en fera jamais assez pour limiter, contenir, appréhender le risque. Car à la grande différence des autres secteurs d'activité, eux aussi susceptibles de présenter des risques, la conséquence n'est en général pas connue dans le temps et dans l'espace : c'est là toute la différence et c'est ce qui mérite toute notre attention. Dit autrement, quand une faille se produit dans le système, d'où qu'elle vienne, on n'est pas face à un incident industriel classique avec malheureusement tant de victimes, tant d'impacts économiques, des leçons qu'il faut essayer d'en tirer, et puis c'est tout. Dès qu'il s'agit de sécurité nucléaire, on n'en fera jamais trop pour se poser des questions et être poussé dans ses retranchements. C'est une exigence démocratique, d'autant que le nucléaire est encore là pour un certain temps dans notre pays, quoi qu'on fasse : si certains souhaitent en sortir, chacun sait qu'on n'en sort pas si facilement.

Cette question vaut pour la production, pour le transport et pour la question des déchets, qui sera de plus en plus sur le devant de la scène. Chacun sait que les déchets dits ultimes posent la question de la sûreté et de la sécurité, au-delà d'un sujet philosophique, sur des durées de temps un peu inhabituelles dans nos sociétés.

Le débat que nous allons avoir cette année renvoie à quelques principes clés de notre démocratie et de son rapport au risque. Je veux rappeler, dans ce propos introductif, quelques points qui doivent guider notre système de sûreté et de sécurité nucléaires et les grandes questions qu'il est évidemment légitime et même salutaire de se poser, parce qu'elles doivent éclairer les choix démocratiques.

Le temps n'est plus où l'on faisait les choses d'abord et où l'on se posait les questions après : ce n'est pas digne de la démocratie telle que nous la concevons les uns et les autres. Chacun sait que la France tire 75 % de sa production d'électricité grâce aux centrales nucléaires, que les activités nucléaires y représentent une ressource économique importante ; et je comprends parfaitement que les conditions de sûreté et de sécurité dans lesquelles nos installations nucléaires sont exploitées interpellent, parfois inquiètent, nos concitoyens.

Ce n'est pas moi qui ai totalement dicté la transition écologique que je vais mettre en oeuvre, puisqu'elle est largement conditionnée par la loi votée antérieurement. Elle repose sur le développement des énergies renouvelables appelées à prendre une part de plus en plus importante dans le bouquet énergétique et notamment dans la production d'électricité. Cela implique, quoi qu'on dise, de réduire progressivement la part du nucléaire, comme le prévoit la loi. Reste à savoir à quel rythme, et sur quels critères. Bien évidemment, il y aura des critères de sûreté et de sécurité, ce qui paraît assez logique. D'ailleurs, ces critères doivent primer sur tout. Mais comme je l'ai dit, cette évolution prendra un certain temps et, qu'on le veuille ou non, le nucléaire va rester pendant un temps assez long dans le bouquet énergétique. On se doit donc de vérifier que nos installations nucléaires, vieillissantes pour certaines – il faut regarder la vérité en face – sont exploitées dans les meilleures conditions de sécurité et de sûreté. Bien évidemment, c'est de la responsabilité du ministre de l'énergie, comme cela l'a été de tous mes prédécesseurs et comme cela le sera de tous mes successeurs.

Cette responsabilité sociétale, d'ailleurs partagée, nous oblige à une double exigence. La première est la transparence, et j'espère que vous ferez la démonstration qu'elle est remplie, sinon il faudra en tirer les leçons. C'est une condition essentielle de l'acceptabilité sociale de cette source d'énergie qui, je le répète, n'est pas une énergie comme les autres. La seconde, et Fukushima a rehaussé le curseur, c'est de mettre en oeuvre les plus hauts standards de sécurité et de sûreté, car le risque zéro n'existe pas et il existe d'autant moins dans un monde aléatoire. J'ai souvent entendu dire que dans un pays stable politiquement et économiquement, le risque était réduit ; mais n'oublions pas que cette notion de stabilité économique et politique n'est pas garantie non plus. En tout cas, aucune autre activité ne génère un risque d'une telle ampleur.

Vous le savez, la politique énergétique est confiée à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) ; la sûreté nucléaire est confiée à la Direction générale de la prévention des risques, qui fait le lien entre l'autorité indépendante de contrôle et l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ; enfin, la politique de sécurité nucléaire est confiée au haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère et à ses services, sous le contrôle du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDN). Mais, bien évidemment, c'est mon ministère qui assure, en association avec les autres ministres concernés, la tutelle des opérateurs nucléaires – le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Orano, EDF, et l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) – et des organismes d'expertise technique comme l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

Ce regroupement permet d'avoir une vision globale de tout ce qui touche au fonctionnement des installations nucléaires civiles, de la recherche à la production, du combustible au traitement des déchets et en principe dans une approche durable qui combine la protection de l'environnement, l'économie et l'attention aux populations.

Il ne faut pas oublier que la responsabilité de la sûreté et de la sécurité nucléaires incombe aux exploitants nucléaires. C'est à eux principalement de concevoir leurs installations et de les exploiter dans de bonnes conditions. C'est d'ailleurs dans ce cadre que la sûreté du parc français a été renforcée, notamment après les accidents majeurs que j'évoquais tout à l'heure, pour essayer de tirer, j'espère a maxima, les leçons de ces expériences. Cette responsabilité des exploitants nucléaires, et notamment en France d'EDF, ne doit pas pour autant désengager la responsabilité de l'État auquel il revient de fixer les objectifs de sûreté et de sécurité, de contrôler que l'exploitant satisfait bien à ses objectifs, qu'il exploite bien son installation dans le cadre des autorisations qui lui ont été accordées, d'exiger que les non-conformités éventuelles soient traitées et, si elles ne le sont pas, de prononcer les sanctions.

Cette mission de police administrative est assurée, dans le domaine de la sécurité, par les services du haut fonctionnaire de défense et de sécurité de mon ministère et, dans le domaine de la sûreté, par l'Autorité de sécurité nucléaire. Ces services ont pour vocation de maintenir un dialogue permanent et exigeant avec les opérateurs nucléaires.

Si l'on en croit les missions internationales qui viennent évaluer de temps en temps nos propres dispositifs, il faut objectivement reconnaître que nous sommes plutôt bien dotés, mais cela ne signifie pas, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, que le risque est totalement maîtrisé.

Les questions de sûreté et de sécurité nucléaires nous renvoient à une vision éthique, presque philosophique, civilisationnelle, de notre relation au risque car, je le répète, ce risque nous dépasse, même s'il faut reconnaître que notre pays n'a jamais connu d'accident nucléaire majeur. Et c'est tant mieux. Mais comme on dit : avant d'être mort, on est vivant… Qu'il s'agisse de sûreté ou de sécurité, on ne doit jamais s'en tenir là, on ne doit jamais tenir ces sujets pour acquis, on ne doit jamais s'en tenir là et on ne doit jamais se satisfaire de ce que l'on nous dit : si l'on veut être objectif et ne pas charger la barque, reconnaissons que souvent des vérités énoncées, en matière de sûreté mais aussi en matière économique, ont été un peu démenties par le temps… Un peu d'humilité ne fera donc pas de mal.

Le débat doit être le plus transparent possible et organisé de telle sorte que les organes de contrôle soient les plus indépendants possible du pouvoir politique et ne soient pas tentés de négocier avec la sécurité et la sûreté – cette tentation n'est pas à exclure. On sait que la transparence a des limites, et je pense que vous en êtes à ce carrefour de difficulté, car il ne faut pas qu'elle serve de prétexte pour donner des idées à des personnes ou à des groupes mal intentionnés. Je le comprends, mais je vous le répète : la transparence, le débat et l'indépendance sont pour moi les meilleurs garants d'un processus permanent, continu d'amélioration de la sûreté et la sécurité. In fine, la confiance de nos concitoyens n'est pas acquise, repose sur le contrôle du Parlement qui doit jouer son rôle, et pas seulement à travers cette commission d'enquête. C'est une attente légitime de la population., et c'est pourquoi je me réjouis des travaux de votre commission.

J'ai cru comprendre qu'il vous arrivait parfois de rencontrer des difficultés pour accéder à certaines informations touchant à la sécurité et à la défense, ce qui peut se comprendre. Comment trouver le juste milieu pour que vous puissiez vous faire une idée en toute transparence, sans risquer que certaines informations ne s'échappent ? Je ne suis pas sûr que l'on ne puisse pas résoudre cette difficulté car, par respect pour votre fonction et votre mission, et par respect pour les citoyens, il est très important que vous puissiez avoir accès à des informations. Il serait terrible que vous acheviez vos travaux sans avoir pu vous faire une opinion parce que vous n'auriez pas eu accès à tout. Il faut donc trouver le juste équilibre.

J'insiste sur le fait que les questions que la société et les ONG se posent, que vous vous posez sur la vulnérabilité de nos installations sont légitimes, à plus forte raison dans ce contexte sécuritaire un peu inédit. Il y a vingt ans, nous pensions être dans un monde stable, que la paix était devenue la norme ; on voit bien que tout cela n'est plus aussi certain. Dès lors que l'on se pose des questions sur l'opportunité dont certains pourraient se saisir pour commettre des actes de grande envergure, il n'y a pas de raison que les mêmes individus ne se posent pas les mêmes questions. On n'est pas là pour prévoir le pire, mais le pire est jamais certain : je pense qu'on n'en fera jamais trop dans ce domaine-là.

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