Intervention de Philippe Vermesch

Réunion du jeudi 26 avril 2018 à 8h30
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Philippe Vermesch, président du Syndicat des médecins libéraux (SML) :

Les médecins libéraux sont les premiers à vouloir maintenir une médecine de proximité. Mais toutes les solutions ne se valent pas, et il faut recourir à un ensemble de mesures à construire avec les médecins libéraux. Qu'en est-il des « déserts » médicaux ? En réalité, les territoires où l'on n'a accès ni à un médecin, ni aux urgences, ni à une pharmacie, sont peu nombreux, même si c'est déjà trop pour ceux qui y vivent. En revanche, de nombreuses disparités d'accessibilité à un généraliste ou à un spécialiste, dans des zones qui ne sont pas en situation de pénurie médicale, traduisent une répartition inégale. Quand on superpose les cartes, on distingue que ce sont les zones où la population est faible, où les pouvoirs publics ont démissionné en y fermant écoles et bureaux de poste et qui sont aussi des déserts numériques où l'on a le plus de problèmes. Dans les centresvilles, les normes d'accessibilité des locaux ont forcé les médecins qui ne pouvaient pas faire les aménagements nécessaires, à déménager. Dans les zones où les médecins sont présents, la charge administrative qu'ils subissent les empêche d'accepter de nouveaux patients en tant que médecins traitants.

Je le répète, les médecins libéraux sont les premiers à vouloir maintenir une médecine de proximité, car il y va de leur outil de travail et de la transmission. Nous vous demandons donc de renoncer à la facilité que s'accordent certains en nous plaçant en permanence en position d'accusés et en agitant la menace de mesures contraignantes. Des mesures coercitives et des contraintes de toutes sortes auront pour effet de détourner les jeunes des filières médicales et de précipiter le départ des plus âgés.

Le plan proposé par le Gouvernement va dans le bon sens, parce qu'il a repris certaines propositions du SML. Les allégements de cotisation dans le cadre du cumul d'emploi sont effectivement un encouragement pour les médecins retraités à apporter leur aide à l'offre de santé publique. Cela ne va cependant pas assez loin, puisqu'ils continuent à payer une cotisation retraite pénalisante sans obtenir en retour une majoration de leurs revenus. Ce point est fondamental.

La généralisation des stages en milieu libéral pour les futurs médecins est une attente forte pour ne plus enfermer la formation initiale à l'hôpital et la découverte de l'exercice libéral. Le SML défend cette mesure, qui doit être complétée par l'ouverture des facultés à des enseignants issus de la médecine libérale afin d'initier les étudiants à l'entreprise médicale, ce qui n'est pas le cas actuellement, d'où leur peur de s'installer.

La création d'un statut de collaborateur, que nous préconisons, permettrait de renforcer l'exercice libéral et de le rendre compatible avec les exigences de la vie personnelle.

Il faut aussi simplifier la coordination entre professionnels de santé, soutenir l'exercice coordonné, mettre en place plus rapidement la télémédecine qui permettra aux professionnels de santé de mieux travailler entre eux, à la condition que ces mesures profitent aux différentes formes d'exercice et pas uniquement aux structures. Il faut favoriser aujourd'hui les 90 % de médecins qui ne travaillent pas dans des maisons de santé pluridisciplinaires (MSP). Certaines mesures auront des effets contreproductifs. Ainsi, le développement de la médecine salariée dans des dispensaires communaux ou départementaux entre souvent en concurrence avec les structures libérales existantes et les fragilise, alors qu'il faudrait plutôt soutenir des projets leur permettant de se maintenir. Le cas s'est présenté la semaine dernière en Dordogne, et il y a bien d'autres exemples en France de maires ou de conseils départementaux qui installent des médecins salariés alors que le territoire dispose de médecins libéraux.

Pour donner aux jeunes médecins la possibilité de s'intéresser à l'exercice libéral et de s'installer alors qu'ils sont formés à l'hôpital, nous recommandons de leur permettre de découvrir la médecine libérale au cours de leur formation. Nous proposons donc un compagnonnage des étudiants dès la troisième année, avec des stages en milieu libéral, et éventuellement, un accompagnement pendant toutes leurs études. Nous prônons la création de stages d'internat en libéral pour toutes les spécialités et toutes les années. Cela va de pair avec une extension de la couverture sociale et de l'avantage maternité à toutes les femmes médecins quelle que soit leur activité, et nous demandons le pendant pour la paternité. Le projet de maternité est, actuellement, le principal frein à l'installation des jeunes femmes en ville pendant trois ou quatre ans à la sortie de leurs études.

Il s'agit ensuite de sécuriser les conditions d'installation des jeunes médecins, qui seront, en majorité, des femmes, et de favoriser leur installation en libéral par des dispositifs tels qu'un contrat de solidarité de succession active avec leur prédécesseur, afin d'éviter les fermetures de cabinet sans successeur. Le médecin sortant, dans le cadre d'une retraite active, pourra transmettre sa patientèle au nouveau qu'il aura épaulé pendant plusieurs années.

Les jeunes médecins doivent disposer d'un réel choix dans leur installation en libéral, notamment au niveau des structures permettant l'exercice de groupe. Le SML souhaite que les dispositifs d'aide existant ne soient plus fléchés uniquement vers les maisons de santé pluridisciplinaires, mais aussi vers d'autres modèles entrepreneuriaux, notamment les cabinets de groupe. Un effort de simplification doit être engagé pour débureaucratiser les modalités d'obtention et de maintien de ces aides.

Ces entreprises médicales doivent aussi pouvoir créer des emplois afin de libérer du temps médical. Le secteur de la santé comprenait 117 000 salariés il y a huit ans ; ils sont 87 000 aujourd'hui. Le SML propose d'instaurer une exonération durable de charges et de taxes pour toute création d'emploi administratif et d'augmenter le forfait conventionnel « structure » afin de rendre possible l'embauche par les entreprises médicales. À défaut, il faudra revoir le niveau des honoraires pour que les médecins puissent recourir à des salariés dans leur cabinet.

Notre syndicat est satisfait que le concept de « médecin volant » qu'il défend soit retenu. Inciter les médecins à exercer quelques jours par an dans une zone fragilisée est une mesure à privilégier, pour peu qu'elle soit accompagnée de réelles incitations financières et fiscales, avec la prise en charge des frais d'exercice et de déplacement.

Au total, nous vous appelons à faciliter et simplifier la vie des médecins libéraux. Cela commence par des choses simples, comme le stationnement, qui devient un casse-tête dans certaines communes qui n'accordent plus aucune tolérance aux véhicules professionnels. Cela continue par le retour du tiers-payant généralisé, qui sera source d'impayés et de temps médical perdu si l'on persiste dans la voie actuelle.

Enfin, l'insécurité est un facteur aggravant de désertification médicale dans certains secteurs difficiles comme les banlieues. Les agressions contre les médecins libéraux lors des visites à domicile qui se multiplient doivent être traitées de façon très énergique et volontaire par les pouvoirs publics. Nous avons proposé des initiatives en ce sens, mais le ministère de l'Intérieur reste immobile sur ce dossier au prétexte d'impuissance. Nous le regrettons.

D'autre part, selon nous, en attendant l'arrivée des médecins en formation, des solutions permettent d'atténuer le problème démographique, notamment le cumul emploi-retraite grâce à des mesures d'exonération et d'incitation. Mais le SML reste méfiant face aux mesures en faveur des infirmières de pratique avancée qui sont en discussion. Ce modèle est importé de l'hôpital où il est, au demeurant, assez peu développé. Derrière l'effet cosmétique des annonces politiques, nous redoutons la poursuite du « mercato » des compétences médicales. Attention à ne pas dégrader la qualité de notre système de soins pour boucher les trous en urgence. De notre point de vue, les infirmières de pratique avancée sont nécessaires et leur nombre doit se développer, mais elles doivent être placées en grande partie sous l'autorité du médecin.

Pour conclure, ce dossier doit être traité de façon sérieuse et résolue dans la durée en y consacrant les moyens indispensables pour soutenir la médecine libérale et en évitant de stigmatiser les médecins libéraux qui demeurent, quoi qu'on en dise, les professionnels les plus présents et les mieux répartis dans les territoires, avec les infirmiers et les pharmaciens. La collectivité publique devra, de son côté, appuyer les efforts des médecins libéraux et revitaliser les territoires dont elle s'est désengagée, notamment pour la couverture numérique, sans laquelle il n'y aura pas de télémédecine. Ne l'oublions pas, les déserts médicaux sont souvent des déserts tout court.

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