Intervention de Laurent Pinto

Réunion du jeudi 26 avril 2018 à 8h30
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Laurent Pinto, membre de la cellule de Paris des Cellules de coordination des dentistes libéraux de France (CCDeLi) :

Les Cellules de coordination des dentistes libéraux sont issues d'une dynamique de contestation du règlement arbitral mis en place par le précédent gouvernement suite à l'échec des négociations conventionnelles de mars 2017.

C'est en quelque sorte une « agrégation de chirurgiens-dentistes en marche » dont l'essence est l'information des confrères, la rencontre des élus locaux, la coordination d'actions communes. C'est un mouvement qui n'a pas de représentants nationaux et qui n'en souhaite pas. Il repose sur une organisation départementale. Je fais partie de la CCDeLi75 et je n'ai pas de mandat particulier pour m'exprimer de façon nationale même si je m'y suis impliqué lorsque j'ai créé le site internet vww.ccdeli.fr, dont je suis propriétaire.

Depuis plus de cinquante ans, la situation des chirurgiens-dentistes en France est choquante. Le système conventionnel actuel basé sur le paiement à l'acte conduit notre profession entière à tirer ses revenus d'une pratique de soins qui va à l'encontre d'une pratique de santé. Si elle bénéficie encore d'un statut libre, la profession se voit de plus en plus encadrée de la même manière que l'ensemble des professions de soins et de santé, prise entre une assurance maladie exsangue et des mutuelles aux intérêts contradictoires.

L'ensemble des acteurs, inclus dans un système qui a perdu tout sens, n'a plus d'espace de dialogue, plus de perspectives claires et saines, plus d'espoir de sortie par le haut.

On nous impose des conditions de moins en moins cohérentes. La spécificité et l'expertise de notre métier sont niées. Si, pendant les dernières décennies, cela restait en harmonie avec les technologies de la période, aujourd'hui les nouvelles avancées scientifiques nous permettent de nouvelles pratiques beaucoup plus conservatrices de la dentition. Avec le temps, c'est l'enlisement qui gagne et un sentiment de révolte qui naît, entre des dentistes apparemment individualistes et divisés, mais qui ont su récemment se mobiliser un temps par ces coordinations.

L'égal accès des Français aux soins dentaires sur l'ensemble du territoire se heurte à plusieurs freins qui limitent l'attractivité pour des chirurgiens-dentistes français et européens d'une installation dans les zones sous-dotées. La politique générale d'aménagement du territoire concerne l'ensemble des professions de santé et peut être discutée dans la concertation, avec une nouvelle gouvernance de l'assurance maladie, une vraie démocratie sanitaire et un véritable encadrement des complémentaires de santé.

La carte des chirurgiens-dentistes est exactement superposable à celle du niveau socio-économique de la population et les zones sous-dotées existent aussi dans les zones urbaines et périurbaines.

Parmi les freins à l'installation en zone sous-dotée, il y a d'abord le coût initial très élevé du plateau technique. Les dentistes se regroupent donc pour les mutualiser, ce qui affaiblit le maillage du territoire : ils quittent les petites communes.

Le cadre d'exercice réglementé par la convention dentaire signée avec l'assurance maladie n'est plus en adéquation avec les progrès de la science. La classification commune des actes médicaux (CCAM) comprend plus de 900 actes en odontologie, mais elle n'est toujours pas exhaustive. De très nombreux actes ne sont pas pris en charge et ceux qui le sont sont fortement sous-évalués. Aussi le patient est-il largement mis à contribution, ce qui compromet l'accès aux soins sur l'intégralité du territoire.

L'exercice salarié est attractif, mais les centres de profit que sont les centres de soins à bas coût du type Dentexia s'installent uniquement dans les zones surdotées des grandes villes. Les mesures incitatives fonctionnent un temps, les mesures répressives nous semblent complètement inutiles. Aucune commune n'est surdotée en professionnels.

Nous souhaitons retrouver une vraie éthique de santé. Actuellement, les confrères les plus impliqués dans la qualité des soins sont pénalisés financièrement, juridiquement et intellectuellement.

Ainsi, le coût de nos actes est dépendant de nos charges, du temps passé à les réaliser, et de la gestion administrative du cabinet. La rémunération du temps passé est fonction de critères personnels : diplômes, formation continue, écoute et attention aux patients, et même qualité artistique dans certains cas. C'est la substance même du caractère libéral de notre activité. Ce temps n'a donc pas la même valeur pour chacun et c'est à chacun de se définir par rapport à ces critères et à les soumettre aux patients en fonction du travail qu'il réalise.

Or ces soins sont plafonnés depuis trente ans, de façon identique pour chaque praticien. La destruction du modèle économique de l'exercice libéral va tarir les installations et accélérer les départs en retraite avec une pyramide des âges qui ne nous est pas favorable.

La convention dentaire, depuis cinquante ans, a été conçue dans un esprit contraire à l'éthique du soin qui devrait l'inspirer : Les tarifs opposables de soins sont bloqués, ceux des autres actes techniques sont libres. Cela revient à imposer au professionnel de santé la responsabilité d'arbitrer entre soins à perte et soins non à perte. Il y a là une distorsion éthique, qui porte atteinte à la déontologie.

Le sens du vent pousse les pouvoirs publics à plafonner notre espace de liberté, au grand bénéfice des patients les plus aisés, ce qui est incompréhensible. Il est d'ailleurs étonnant qu'un Président souhaite donner son nom à une couronne de qualité moyenne déjà dénommée par avance, dans le cadre du reste à charge zéro, « couronne Macron ».

La profession appelle de ses voeux une réforme totale du système permettant de garantir la santé bucco-dentaire en respectant les avancées scientifiques et en même temps les contraintes économiques.

Un groupe de réflexion, le think tank « Agir pour la santé dentaire » s'est constitué. J'ai communiqué sa production récente à la commission, soit notre contribution « La santé bucco-dentaire, un enjeu de santé publique » et deux sondages réalisés par l'Institut français d'opinion publique (IFOP), l'un auprès de chirurgiens-dentistes et l'autre auprès de la population. Sa démarche vise à présenter une base argumentée, compréhensible par tous, de ce que serait une pratique normale de la profession. Nous voulons ainsi réagir au fait que, depuis des années, l'application des conventions successives a obligé, de façon pernicieuse, le chirurgien-dentiste, dans sa pratique au quotidien, à faire des arbitrages qui rendent l'exercice totalement flou pour lui-même et pour la société.

Mais vous avez le pouvoir de réaliser cet objectif. À l'instar du président Macron qui a fait le tour des capitales européennes pour tenter d'imposer la notion républicaine « à travail égal, cotisations égales », je vous propose de vous réapproprier la loi républicaine dans notre pays en modifiant les conditions de l'exercice non conventionné avec pour principe « à cotisations égales, prestations égales ». Nos concitoyens doivent être tous pris en charge de la même façon quelle que soit la situation conventionnelle du praticien.

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