Intervention de Philippe Vigier

Réunion du jeudi 26 avril 2018 à 8h30
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Vigier, rapporteur :

Je vous remercie de votre présence. D'abord, on demande souvent aux élus de « prendre leurs responsabilités ». Sachez bien que notre commission n'est en rien hostile au corps médical, mais qu'elle vise, au-delà des sensibilités politiques, à apporter un éclairage dans un domaine où l'échec est ancien et répété, pour contribuer, ensemble, à bâtir l'avenir. Je le dis d'autant plus librement que j'avais déposé une proposition de loi sous la présidence Sarkozy, puis sous la présidence Hollande, et que j'ai soutenu récemment la proposition de loi du groupe Nouvelle Gauche qui allait dans le même sens. Toute la commission n'a qu'un objectif, en auditionnant environ soixante-dix organisations, c'est de contribuer à avancer.

Il n'y a pas qu'une solution, c'est évident, sinon elle serait déjà en application. Le problème de l'accès aux soins est divers, et l'intitulé de notre commission le dit assez : il ne concerne pas seulement le désert médical rural ; il se pose également dans le 20e arrondissement de Paris. Or l'égalité d'accès aux soins, qu'affirme le Préambule de la Constitution, est un pilier de la République, et nous entendons bien qu'il soit assuré, que ce soit par le public ou par le privé.

Je repars du constat : un nombre de médecins identique à ce qu'il était il y a vingt ans, une population en croissance, c'est, logiquement moins d'heures de pratique médicale disponibles pour la population. Il faut donc prendre des mesures à très court terme, immédiates même. Or je vous ai peu entendu en parler. On a évoqué le cumul emploi-retraite. J'ai soutenu cette mesure par amendement dans la loi de financement de la sécurité sociale, nous la proposerons sans doute dans notre rapport, et sinon je le ferai à titre personnel. À propos de l'aspect financier, notre commission a aussi pour objet d'évaluer l'efficacité des politiques publiques. Les mesures financées par les collectivités et par l'État ont-elles produit leur effet ? La réponse se trouve dans le rapport de la Cour des comptes.

Va-t-on laisser la situation se dégrader ? Le chiffre n'a pas été évoqué, mais sur dix médecins formés, un seul va s'installer en libéral. Et si votre génération a fait sept ans d'études, on en est à neuf et les représentants des internes que nous avons auditionnés demandent une année supplémentaire. Pour certaines spécialités on va arriver à quinze ans d'études. Comment inverser la courbe de l'offre médicale ? Certains de vous contestent la création de centres de santé municipaux – ce qui, à Paris et ailleurs, n'est pas nouveau. Les élus sont soumis à forte pression de la population. Ils ne sont pas contre les médecins, mais leur liberté c'est aussi de prendre ces initiatives.

À très court terme, quelles sont les solutions possibles ? Vous n'avez guère parlé de la revalorisation des actes. De plus en plus de jeunes médecins s'installent en secteur 2. En outre, chaque année 1 500 médecins étrangers s'installent et le Conseil de l'Ordre refuse de reconnaître leur capacité d'exercer. À l'hôpital, il y a 20 000 médecins qui ne sont pas inscrits au Conseil de l'Ordre. Nous avons beaucoup parlé de qualité des soins avec les jeunes médecins. Laisse-t-on une telle situation perdurer ? Avez-vous des propositions à nous faire à ce sujet ?

Il faut nous aider, car d'autres idées sont dans l'air : déconventionner, réguler en obligeant les nouveaux à s'installer quelques années dans tel territoire – encore est-il difficile de savoir de quoi on parle et je n'aime pas le terme de désert : la région Centre-Val-de-Loire est finalement un grand désert. Pour ma part, en tant que biologiste libéral, je suis attaché à l'exercice libéral, mais avec quelques contraintes, car nous devons apporter un service à nos concitoyens.

La commission n'a donc pas d'idées préconçues, mais nous ne pourrons pas rester sans rien faire devant une situation qui ne fait que s'aggraver. Actuellement, un médecin formé sur dix rejoint la médecine libérale, qui dit que demain ce ne sera pas seulement un sur vingt ? Pour prendre un exemple, on essaye de pousser le statut des médecins adjoints, ceux qui ont terminé leur cursus d'internat mais n'ont pas défendu leur thèse et peuvent s'installer. On a encore des difficultés avec l'administration fiscale qui veut les assujettir à la TVA sur leurs honoraires. Faites-nous remonter les difficultés. Il en va de même pour les maîtres de stage – faut-il les rémunérer ? – pour sortir la formation de l'hôpital – les médecins hospitaliers sont tout à fait d'accord. Que des professionnels libéraux puissent aller enseigner, d'accord. On doit être capable d'innover en ce qui concerne les rémunérations. Il faut un arsenal puissant de mesures, sinon, j'en ai peur, nous nous retrouverons dans la même situation dans cinq ans.

Pour notre part, nous avons des comptes à rendre à nos concitoyens. Une France qui va chercher 1 500 médecins étrangers par an, c'est indigne. Quand on compare le coût de la formation en France et en Roumanie, c'est un véritable scandale d'État. Je demande qu'on établisse ce coût précisément, car c'est aussi un coût social, dont personne ne parle – imaginez ce que cela veut dire de prendre un taxi pour aller à 80 kilomètres faire un examen ou attendre des heures aux urgences. Si vous jugez les moyens coercitifs décourageants, dites-nous comment on pourrait d'abord encourager les médecins.

Encore un mot : les épreuves nationales classantes (ENC) sont un échec. On organise la sélection à la fin de la sixième année. Ne vaudrait-il pas mieux des internats régionaux ? Enfin, une certaine appétence s'est manifestée pour les contrats d'engagement de service public. Peut-on les généraliser, et salarier plus de jeunes, comme c'est le cas, après tout, pour les étudiants de certaines grandes écoles, avant de rendre ensuite un peu à la société ?

C'est là un certain nombre de réflexions que je vous livre. Au fil des auditions, sur les mesures de moyen terme et de long terme, une convergence se dessine au moins sur la formation : ouvrir les portes du CHU par exemple – j'avais déjà proposé il y a six ans que les internes en médecine générale passent dix-huit mois dans un cabinet de professionnel libéral. N'est-ce pas aussi un bon moyen ?

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