Intervention de Marielle de Sarnez

Réunion du mardi 13 février 2018 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarielle de Sarnez, présidente :

Comme vous le savez, nous nous sommes rendus à Bamako avec Benjamin Dirx, Didier Quentin et moi-même, à la fin du mois de décembre.

Le programme, préparé par l'ambassadrice Mme Evelyne Decorps, nous a permis de rencontrer des représentants du gouvernement, le ministre des Affaires étrangères et celui de l'administration territoriale, des représentants du parlement, le Président de l'Assemblée nationale, les responsables des groupes politiques de la majorité et de l'opposition, des représentants des mouvements armés participant au processus de paix, des personnalités de la société civile, et des militaires français participant aux diverses opérations en cours au Mali : Barkhane pour la France, EUTM pour l'Union européenne et la MINUSMA pour les Nations unies.

Je voudrais tirer devant vous quelques enseignements de ce déplacement.

Didier Quentin, plus particulièrement sur les questions de sécurité et de défense, et Benjamin Dirx, plus particulièrement sur les questions de développement, compléteront mon propos.

Premier point que je voudrais souligner. Plus de deux ans et demi après la signature de l'Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, la mise en oeuvre de cet Accord, ou plutôt son absence de mise en oeuvre, nous préoccupe.

L'insurrection de 2012 lancée dans le nord du pays par la rébellion Touareg du Mouvement national pour la Libération de l'Azawad, avait été suivie en janvier 2013 d'une offensive des djihadistes en janvier vers le sud du Mali. C'est cette offensive, tout le monde s'en souvient, qui avait provoqué l'intervention de la France, avec le lancement de l'opération Serval, et l'engagement de plusieurs pays africains de la CEDEAO.

À la suite d'un long processus de négociation placé sous la médiation de l'Algérie, un Accord pour la paix et la réconciliation au Mali a finalement été signé en juin 2015 entre les trois parties que sont le gouvernement malien, « la Plateforme », qui regroupe les mouvements armés pro-Bamako, et la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA) qui regroupe les mouvements indépendantistes.

Salué par l'ensemble de la Communauté internationale, cet accord de paix a conduit les ex-rebelles à renoncer officiellement à leurs revendications d'indépendance du nord du Mali et permis de rétablir un dialogue direct, à Bamako, entre le gouvernement malien et les responsables des mouvements armés.

Deux ans et demi après sa signature, force est de constater que l'essentiel du contenu de cet accord de paix n'a pas été mis en oeuvre.

Les mesures concernant le DDR, c'est-à-dire le processus de désarmement, de démobilisation et d'intégration des éléments armés des groupes signataires dans les forces de sécurité malienne, butent sur la fixation de quotas d'intégration mais aussi sur la « vision » de ce que devrait être la future armée malienne. Ce retard contribue aux problèmes d'insécurité car de nombreux groupes restent armés.

Les mesures de décentralisation qui avaient été promises, et qui étaient un élément-clef pour conduire les ex-rebelles à renoncer à leurs revendications indépendantistes, sont toujours en cours de négociation. Dans ce cadre, des élections locales étaient prévues en novembre 2017. Elles devraient théoriquement avoir lieu au mois d'avril 2018, mais beaucoup s'interrogent sur le respect de ce nouveau calendrier et les Parties en présence doutent vraiment de la possibilité d'organiser ces élections.

Sur le fond, Soumaïla Cissé, principal leader de l'opposition, que nous avons rencontré, nous a exprimé son souhait d'une réforme du code des collectivités territoriales et d'une législation sur la libre administration des collectivités.

Le projet de révision de la constitution prévu dans l'Accord, censé acter une décentralisation accrue, a été retiré à l'été 2017 sous la pression de la société civile qui y avait surtout constaté un renforcement des pouvoirs présidentiels.

Le nouveau premier ministre, Soumeylou Boubèye Maiga, qui a été nommé en fin d'année 2017, semble désireux de relancer le processus de paix. Il a annoncé qu'une priorité allait être donnée à la mise en oeuvre des engagements relatifs à la décentralisation et à la sécurité d'ici la fin du mois de mars.

Deuxième point d'inquiétude. La situation sécuritaire se dégrade sérieusement tant dans le nord que dans le centre du Mali et aux frontières entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger avec l'apparition de nouveaux groupes terroristes qui n'existaient pas lors de l'opération Serval.

Ces groupes s'attaquent aux symboles de l'État et chassent l'administration des territoires. Ils contribuent à entraver les négociations et à saper la confiance de la population envers des gouvernants qui n'apparaissent pas en capacité de protéger les habitants de ces régions.

Du fait de cette insécurité, 500 écoles ont été fermées dans le nord et le centre du Mali, ce qui constitue une situation dramatique pour toute une génération d'enfants.

Il y a par ailleurs un grand sentiment d'injustice et d'impunité qui se répand dans le pays, non seulement du fait de l'inégalité de l'accès à la justice, mais aussi en raison des soupçons de corruption.

Les personnalités de la société civile que nous avons rencontrées nous ont dit leur inquiétude en raison de nombreux dysfonctionnements structurels de la justice malienne. Cette situation très dégradée n'est évidemment pas de nature à favoriser la stabilité du pays.

En conséquence, et c'est mon troisième point, la stabilité du Mali repose en grande partie sur la présence internationale symbolisée par la présence de trois opérations conjointes : Barkhane pour la France, EUTM (European Union Training Mission in Mali) pour l'Europe, et la MINUSMA (Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali) pour l'ONU. La coordination entre ces trois opérations semble s'exercer correctement, même si cela demeure un exercice délicat.

EUTM, qui compte environ 560 hommes, remplit une mission de formation des forces armées maliennes, et donne des conseils stratégiques en matière d'organisation des forces et de fonctionnement.

Depuis sa création, l'EUTM a formé plus de 75 % de l'armée de terre malienne.

La MINUSMA, qui compte 12 000 soldats et un peu moins de 2 000 policiers, a été créée en avril 2013 et son mandat prorogé jusqu'en juin 2018. Elle a pour principal objectif stratégique le soutien de la mise en oeuvre de l'accord de paix, et en particulier le rétablissement de l'autorité de l'État malien sur l'ensemble du territoire. Cette mission est la cible régulière des groupes terroristes. Parmi les quinze opérations de maintien de la paix dans le monde, la MINUSMA est l'opération la plus coûteuse en vies humaines avec cent cinquante casques bleus tués depuis sa création en 2013.

Quant à l'opération française Barkhane, lancée en août 2014 après l'opération Serval de 2013, elle a pour objectif de favoriser l'appropriation par les cinq pays partenaires de la lutte contre les Groupes armées terroristes. Forte de 4 000 hommes sur l'ensemble de la bande sahélo-saharienne, elle accomplit un travail remarquable qu'il convient de saluer.

Mais, malgré tous les efforts déployés et les progrès accomplis, l'armée malienne n'est toujours pas encore en mesure de permettre la réinstallation de l'État, et la sécurisation des populations. Un tel objectif nécessiterait une présence plus forte sur le terrain et, surtout l'adhésion des populations à leur action. La réorganisation de l'armée malienne et la mise en oeuvre du processus de DDR doivent être une priorité.

Mais, nous le savons bien, la solution à la crise ne peut être exclusivement militaire. Elle doit s'inscrire dans une stratégie générale d'apaisement et de réconciliation du centre et du nord du Mali.

Il faut rebâtir les structures administratives du pays. Et il n'y a pour cela pas d'autre issue que l'application de l'accord de Paix et l'organisation d'élections qui feront passer toutes les parties prenantes du statut d'acteurs militaires à celui d'acteurs politiques. La négociation en cours ne doit pas être animée de part et d'autre par un esprit de revanche.

Il faut que les Parties soient pleinement engagées dans la négociation, et qu'elles tiennent les engagements qu'elles sont amenées à prendre.

Cela ne pourra se faire que si la Communauté internationale accentue la pression pour obliger les parties à mettre en oeuvre l'Accord pour la Paix, tant au plan militaire qu'au plan politique.

Le nouveau Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, a reçu pour mandat de faire preuve de volontarisme pour accélérer les négociations. La communauté internationale doit continuer d'envoyer des messages forts en ce sens, pour inciter à un engagement des Parties bien supérieur à celui dont elles ont fait preuve jusqu'à maintenant.

Sur ce point, je suis heureuse de constater que les Nations Unies ont décidé d'accentuer leur pression. Le Conseil de sécurité a fait part le 24 janvier dernier de « son sentiment d'impatience à l'égard des retards persistants dans la mise en oeuvre de l'accord ».

Il a annoncé qu'il engagerait un mécanisme de sanctions (interdictions de voyager, gel des avoirs..) à l'égard de ceux qui entravent la mise en oeuvre de l'accord si d'ici à la fin mars des progrès n'étaient pas accompli.

La création d'une force G5 Sahel, en cours de constitution à l'initiative des cinq pays sahéliens, et qui devrait à terme (automne 2018) compter jusqu'à 5 000 hommes, est également une initiative que nous devons soutenir pleinement. Les chefs d'État des cinq pays concernés se sont réunis en sommet le 6 février dernier. L'objectif est de rendre cette force opérationnelle d'ici mars. D'ores et déjà diverses promesses de financement ont été enregistrées de la part de l'Union européenne, de la France et des États Unis, ainsi bien sûr que des cinq pays concernés. Une nouvelle conférence sur son financement est prévue le 23 février prochain à Bruxelles.

Enfin, il est indispensable que les efforts politiques et sécuritaires s'accompagnent d'une action de développement mieux coordonnée et plus efficace, pour que les populations du Sahel ressentent les dividendes de la paix. C'est l'objectif de l'Alliance pour le Sahel initiée par la France et l'Allemagne avec l'aide des principaux partenaires du développement multilatéraux et bilatéraux du Sahel.

Je rappellerai que le territoire du Mali représente deux fois et demi celui de la France avec un budget de 3 milliards d'euros. Ces chiffres témoignent de la difficulté pour tout gouvernement à assurer la sécurité et la présence de structures administratives efficaces sur l'ensemble du territoire.

La prochaine élection présidentielle doit avoir lieu en juillet prochain. L'actuel Président Ibrahim Boubacar Kaïta devrait se présenter. Il est indispensable que cette élection puisse se tenir dans des conditions qui ne remettent pas en cause la légitimité du nouvel élu.

La légitimité démocratique du pouvoir est un préalable à toute solution, et notamment celle du redressement de l'État.

En conclusion, je voudrais vous rapporter la réponse d'un de mes interlocuteurs que j'interrogeais sur son optimisme quant à l'avenir du Mali. Il m'a répondu citant Bernanos, « l'espérance est un risque à prendre ». Je vous remercie.

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