Intervention de Arnaud Viala

Séance en hémicycle du mardi 22 mai 2018 à 15h00
Équilibre dans le secteur agricole et alimentaire — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Viala :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame la présidente de la commission du développement durable, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, chers collègues, il y a neuf mois, je défendais à cette même tribune une proposition de loi, longuement travaillée sur le terrain et enrichie avec mes collègues du groupe Les Républicains, visant à améliorer la situation de la ferme France et de ses paysans – nos paysans, nos agriculteurs. La majorité avait alors jugé la démarche prématurée – les États généraux de l'alimentation allaient débuter – et préféré remettre à plus tard le travail législatif sur cette question pourtant essentielle.

Les états généraux ont eu lieu ; ils ont rassemblé quantité d'acteurs, venus de tous les horizons, au sein d'une quinzaine d'ateliers ; ils ont suscité un espoir immense qui a parcouru nos campagnes.

Monsieur le ministre, lors de l'examen de la proposition de loi, vous aviez pris l'engagement de réserver un peu de place à l'échange et à la collaboration lors de l'élaboration de votre propre texte. Cet engagement, vous l'avez tenu – je le souligne ici à la fois par honnêteté intellectuelle, et pour dire ma satisfaction d'avoir pu partager avec vous des préoccupations qui nous rassemblent. Je profite aussi de l'occasion pour souligner combien les discussions en commission des affaires économiques ont été à la fois riches et positives, sans pour autant apporter toutes les réponses à ce que nous pensons être la situation réelle de notre agriculture.

De quoi parlons-nous exactement ?

Le nombre d'agriculteurs diminue sans cesse : selon le recensement de 2010, le nombre d'exploitants, ayant diminué de 21 % depuis 2000, atteignait 604 000. Depuis, la baisse se poursuit. La Mutualité sociale agricole recense 460 000 exploitants dont un quart de femmes, mais, parmi les plus de cinquante ans, cette proportion s'élève à 71 %, ce qui témoigne de la part importante des transmissions d'exploitations entre conjoints.

Au total, le secteur emploie aujourd'hui environ 1,2 million de personnes en métropole. Pour la première fois depuis cinq ans, l'emploi salarié diminue, passant à 686 000 personnes au quatrième trimestre 2015, contre 800 000 les trimestres précédents. Les trois quarts des actifs travaillent sur les moyennes et grandes exploitations. La structure familiale et la transmission familiale des exploitations revêtent donc une importance cruciale.

Entre 2000 et 2013, plus de 90 000 exploitations agricoles de moyenne et de grande taille ont disparu, soit une baisse de 24 %. Mais, surtout, le ministère de l'agriculture constate que « l'activité agricole ne repose plus sur l'ensemble des membres de la famille : les femmes d'agriculteurs travaillent de plus en plus en dehors de l'exploitation. Les nouveaux exploitants qui s'installent ne sont plus exclusivement issus du monde agricole. »

L'INSEE, dans ses publications les plus récentes, confirme ce constat plus qu'alarmant. En 2016, la valeur de la production agricole se réduit nettement : hors subvention sur les produits, elle décroît de 6,6 %. La chute des volumes produits s'accompagne d'une baisse des prix. Les exportations diminuent de 9,7 %, et, selon la même source, la valeur de la production végétale baisse fortement, de 8,7 % en 2016, du fait principalement du repli des volumes lié aux mauvaises récoltes en grandes cultures et en vins. L'évolution des prix est contrastée : en baisse pour les céréales, en hausse pour les fruits et légumes. En revanche, le recul de la production animale est principalement dû à celui des prix, en particulier pour le lait, ce qui peut avoir pour conséquence de mettre en péril les exploitations.

Les charges des agriculteurs, pour tous les principaux postes, devraient suivre la même pente que l'activité et décroître, mais ce n'est malheureusement pas le cas. Les volumes de pesticides utilisés diminuent fortement mais la baisse ne suffit toutefois pas à compenser celle de la rentabilité de la production.

Même si l'INSEE prend le soin de préciser que ces données ne constituent pas une mesure du revenu agricole proprement dit, la conclusion est hélas incontournable : « la valeur ajoutée de la branche agricole recule nettement. L'emploi agricole continue par ailleurs à décroître. Au total, la valeur ajoutée brute au coût des facteurs par actif se replie de 8,4 % en termes réels ».

Quant au revenu agricole, selon les mêmes données, il baisse de manière catastrophique : moins 22 % par actif pour la seule année 2016. Quant au minimum de retraite, il s'élève à 681,20 euros pour la durée cotisée en tant qu'exploitant à titre principal, pour son conjoint survivant ou pour les périodes cotisées comme conjoint collaborateur entre 1999 et 2009. Il représente 541,30 euros pour la durée cotisée comme conjoint ou concubin collaborateur, ou comme aide familial, depuis 2009.

Au cours de son audition dans le cadre des États généraux de l'alimentation, le 13 septembre 2017, François Lucas, président d'honneur de la Coordination rurale, insistait sur le caractère inédit de la crise que traverse l'agriculture française : celle-ci atteint désormais de manière globale les structures et la rentabilité même minimale des exploitations, comme si, expliquait-il, une entreprise économique non seulement ne dégageait pas de marge, mais demandait systématiquement à ses employés de contribuer à la renflouer. Aucune activité économique ne peut fonctionner de cette manière. On s'installe ainsi dans un cycle de travail à perte.

Le projet de loi s'attaque à trois sujets, et nous souscrivons pleinement aux priorités qui sont ainsi définies.

D'abord, le mécanisme de fixation des prix, au sujet duquel il est proposé – pour le dire simplement – de faire le chemin inverse, en partant des données du producteur et en intégrant les coûts de production évalués aussi finement que possible. Nous soutenons cette idée, que nous avons nous-mêmes souvent développée et que les états généraux ont largement validée. Cependant, pour que cette mesure produise un réel effet, elle exige quatre garde-fous qui sont absents du texte que vous vous apprêtez à soumettre aux suffrages des parlementaires.

D'abord, l'organisation en filières, à travers les organisations de producteurs, doit être souveraine et servir de base à la fabrication du prix. Si la loi ne donne pas aux filières la légitimité et la force qui seules garantiront le bon fonctionnement du système, alors la loi ne servira à rien. Nous vous l'avons déjà dit et nous continuerons à le marteler tout au long des débats.

Ensuite, les indicateurs qui serviront à fixer les prix n'auront de la valeur que s'ils font l'objet d'une publication. Nous voulions que le ministère de l'agriculture soit explicitement impliqué dans la validation des indicateurs. Vous ne le souhaitez pas, monsieur le ministre, et nous le regrettons infiniment, parce que votre ministère serait ainsi devenu le garant indispensable du bon déroulement des négociations. Au passage, il aurait recouvré cette influence que les agriculteurs et le monde rural regrettent de voir chaque jour se rabougrir un peu plus sous l'effet de pressions diverses. Acceptez, de grâce, que les indicateurs soient publics, sinon la loi ne servira à rien.

En troisième lieu, le recours au pouvoir judiciaire en cas d'échec de la négociation est indispensable. Sans lui, sans ce péril dont toutes les parties doivent en permanence craindre qu'il s'abatte sur elles, il n'est pas raisonnable de penser que les contrats se négocieront à armes égales. Le rapport de forces initial est par trop déséquilibré. Là encore, nous l'avons répété avec insistance et continuerons de le faire tout au long des débats : si le recours judiciaire en cas d'échec n'est pas possible, votre loi ne servira à rien.

Enfin, sur ce premier volet économique, il va de soi que les négociations doivent rester annuelles. L'amendement subreptice du rapporteur, qui a donné lieu à la création de l'article 10 ter, détricote l'ensemble du dispositif. Si le texte devait rester en l'état, votre loi ne servirait à rien.

Il reste donc beaucoup de travail à faire sur ce volet essentiel du projet de loi. Nos agriculteurs sont dans l'attente, le monde rural est dans l'expectative. Les débats des jours qui viennent, sauf si la motion devait être adoptée, méritent mieux que de simples échanges, hachés de surcroît par le raccourcissement de leur durée totale.

Le deuxième volet de ce texte vise à valoriser une alimentation saine et de qualité. À ce titre, il porte une charge symbolique lourde. Je le dis haut et fort : il ne faut pas donner à penser que les agriculteurs français font autre chose que mettre dans nos assiettes des produits de grande qualité.

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