Certes, ce projet de loi apporte un nouveau cadre juridique aux relations commerciales. A priori, ces mesures vont dans le bon sens, étant donné qu'il s'agit bien d'inverser la construction du prix, en partant du producteur, soit de son prix de revient.
Malgré quelques avancées, suite à des amendements que nous avons proposés et qui ont été votés en commission, deux problèmes majeurs mettent à mal la portée de la loi quant au rééquilibrage des relations commerciales : l'absence de l'État dans les négociations pour garantir la prise en compte d'indicateurs publics de prix fiables, neutres et objectifs, et la place réduite accordée au médiateur qui ne pourra jouer correctement son rôle d'arbitre entre les différentes parties. Cantonné à sa simple fonction de facilitateur, il ne bénéficiera pas de l'autorité nécessaire pour faire aboutir et respecter les accords, puisqu'il ne pourra pas saisir directement le juge.
Certaines dispositions, telles qu'elles ressortent du texte après l'examen en commission, vont même plomber encore plus le revenu de nos paysans. Le texte prévoit l'interdiction des promotions sur les ventes de produits phytopharmaceutiques et la séparation des activités de vente et de conseil. Ces mesures visent à diminuer l'usage de tels produits et sont tout à fait louables. Mais il faut regarder aussi les effets sur la compétitivité de notre agriculture.
Il faut être vigilants et mesurés en la matière et sortir des postures et des idéologies. Tout le monde s'accorde à dire que des efforts considérables sont faits par le monde agricole pour réduire au maximum l'utilisation de ces produits. Tout le monde s'accorde aussi à dire qu'il n'existe pas, aujourd'hui, pour nombre de productions, d'alternatives crédibles permettant d'arrêter totalement l'utilisation de produits phytosanitaires. On peut craindre que cette interdiction des promotions conduise à augmenter considérablement les coûts de production des exploitants sans pour autant réduire leur consommation.
Ces mesures vont également à l'encontre de ce qu'avait annoncé Emmanuel Macron lors de son discours du 22 février 2018 devant la nouvelle génération agricole. Il promettait de ne jamais demander « à quelqu'un d'abandonner une pratique productive si elle lui fait perdre de l'argent ou qu'il n'y a pas une vraie substitution ». Il prévoyait un plan sur trois ans pour réduire l'usage des pesticides. Nous sommes loin de ces promesses.
Il en est de même pour la séparation des activités de vente et de conseil sur les produits phytopharmaceutiques. Certains ont entraîné, lors du travail en commission, le texte vers une séparation pure et simple. Or cette mesure risque de conduire les exploitants à payer le conseil en plus des produits. Cette mesure est totalement déconnectée des difficultés auxquelles font face les exploitants. Plutôt que d'améliorer la situation des paysans, on s'attache à faire peser sur eux des contraintes et des charges ; on augmente leurs coûts de production. Il est temps de revenir aux ambitions du texte et de protéger réellement les agriculteurs.
S'agissant des contraintes, elles sont maximisées aussi pour les collectivités locales du fait de l'obligation de réaliser, à l'horizon 2022, des menus contenant 50 % de produits bio, locaux ou bénéficiant d'un signe de qualité. Une nouvelle fois, nous pouvons comprendre qu'il soit nécessaire d'encourager la restauration collective à proposer une nourriture de meilleure qualité ; mais l'obligation sera redoutable pour les collectivités de taille modeste ayant peu de moyens.
Le texte impose des contraintes aux agriculteurs et aux collectivités locales, mais la grande distribution, étonnamment, passe au travers des gouttes. C'est à se demander si certaines mesures, sous couvert d'améliorer la situation des producteurs, ne pourraient pas en réalité favoriser la distribution. L'encadrement des promotions, par exemple, promet une meilleure répartition de la valeur sur toute la chaîne de distribution. Or, sans encadrement autre que le seuil de revente à perte, cette mesure ne conduira pas à mieux rémunérer les producteurs, mais simplement à diminuer le pouvoir d'achat des consommateurs et à augmenter les bénéfices de la grande distribution.
Ces mesures sont en inadéquation avec les objectifs visés. Aucune, de fait, ne permet de limiter le poids des distributeurs, qui est pourtant la cause de la guerre des prix. On assiste à une véritable cartellisation : quatre centrales d'achat – trois demain, peut-être – détiennent aujourd'hui 95 % du marché de la distribution des produits alimentaires. Cet oligopole leur confère une position, sinon despotique, du moins largement dominante, dans les négociations commerciales avec les transformateurs et les producteurs.
Le projet de loi vise à inciter le regroupement des agriculteurs pour leur donner plus de place dans les négociations. Or, même réunis, ces groupements ne pourront jamais concurrencer les quatre centrales. Il est indispensable de contrôler celles-ci et de les limiter, en les faisant tomber dans le spectre de régulation de l'Autorité de la concurrence. Elles doivent être reconnues comme des concentrations. Sans ces mesures, les promesses de renversement de la construction du prix et d'équilibre dans les relations commerciales ne sont que mensonges. Nous ne doutons pas des bonnes intentions du Gouvernement dans ce projet, mais nous doutons des moyens qu'il se donne pour les mettre en oeuvre.
Ce texte comporte certes des intentions louables, mais apparaît de plus en plus vide de sens et de portée. Il est clair, monsieur le ministre, que vous devez composer avec la diversité de votre majorité et exécuter un numéro d'équilibriste entre l'aile libérale, l'aile socialiste, l'aile écologiste et votre volonté réelle, je n'en doute pas, d'aider le monde agricole.