Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, ce n'est pas souvent qu'il est question d'agriculture dans cet hémicycle ; mais, quand nous en parlons, c'est toujours passionnément. Ce métier a tellement contribué à faire grandir l'humanité… Il a fondé la civilisation. C'est aussi le métier de toutes les contradictions, de toutes les opinions, de toutes les postures.
Une chose est certaine : ce débat est bienvenu. Nous sommes à un tournant, et nous voyons des choses qui nous auraient paru inimaginables il y a trente ou quarante ans : plus un seul agriculteur dans des communes entières, voire dans des cantons entiers, et cela dans des zones où naguère on gagnait sa vie avec l'agriculture. Et je ne parle pas seulement de l'agriculture de montagne, mais de zones céréalières, où l'on gagne beaucoup d'argent, notamment grâce à la PAC.
J'avais été très surpris, au cours de mon tour de France, passant dans ces régions très prospères, dans ces propriétés très grandes, et qui rapportaient de l'argent, parfois beaucoup, sans s'en cacher, de rencontrer un vieil homme – soixante-dix, quatre-vingts ans – qui avait petit à petit poussé tous ses voisins vers la sortie, mais qui ne trouvait désormais plus personne pour continuer. Un autre de ces vieux paysans avait trois fils, et espérait que le dernier prendrait sa suite ; mais, après s'être installé, ce garçon avait préféré prendre un emploi à durée déterminée à l'hôpital d'Amiens, où sa compagne travaillait déjà.
Pendant des siècles, pourtant, les guerres se sont succédé – et les trois dernières ont été terrifiantes. Parfois, des fratries entières avaient disparu ; mais toujours un cousin, un beau-frère venait reprendre l'exploitation. Aujourd'hui, il n'y a plus personne – même là où, pourtant, on gagnerait de l'argent. C'est l'un de nos grands paradoxes.
Pourtant, vue d'avion, et même de plus près, la France est l'un des plus beaux pays du monde. La beauté des paysages le dispute à celle des bourgades encore entretenues. Et cette présence humaine contribue à réduire les incendies – car c'est la verdure qui lutte contre les incendies. C'est aussi dans ces territoires de France qu'il y a le moins d'inondations catastrophiques, car les derniers paysans enlèvent les troncs d'arbre des petits ruisseaux, ce qui fait aussi disparaître les embâcles.
Grâce au savoir-faire des paysans de France et des maires de France, tous condamnés à terme à mort, notre pays est encore entretenu et si je puis dire réglé comme du papier à musique. La vraie différence, nous la verrons dans dix ans ; déjà, ici et là, on voit que ce n'est plus tout à fait ça, mais les choses vont s'accélérer.
Je voudrais proposer ici que l'on accepte de considérer qu'on ne peut pas recommencer ce que l'on a fait avec les ouvriers. Certes, leur métier avait changé ; mais, s'il fallait s'adapter, nos cerveaux et les machines que nous avons conçues auraient pu nous préparer. Il ne peut pas y avoir de paysans s'il n'y a plus de familles ! Vous avez vu toutes ces émissions, souvent caricaturales, mais qui montrent souvent aussi la complexité de ce métier.
Je propose qu'on fasse des campagnes de France une grande cause nationale, qui serait partagée par la nation tout entière. Le seizième arrondissement de Paris doit savoir que, s'il n'y a plus de paysans, notre pays changera entièrement !