Il me semble qu'il y a dans ce débat une certaine confusion. Au fond, il y avait deux types d'amendement. Certains voulaient imposer des jours végétariens – et je suis, pour ma part, plutôt opposé à l'idée que l'on puisse forcer les rationnaires, dans nos cantines, à manger ce qu'ils ne veulent pas manger. On ne peut pas priver de viande quelqu'un qui voudrait en manger pendant un, dix, vingt, trente, quarante jours par an. Cela ne me semble pas sain ; ce serait une atteinte à la liberté.
D'autres amendements abordaient un autre problème, qui a été magnifiquement exposé par le président Chassaigne, qui nous a fait l'honneur de nous faire partager les sentiments de sa petite-fille : celle-ci a annoncé à ses parents, à l'âge de huit ans, qu'elle ne voulait plus manger de viande et qu'il fallait trouver une solution pour la cantine.
Nous proposions, avec notamment ma collègue Samantha Cazebonne, une chose simple : celui qui veut manger de la viande est libre de le faire – vive la liberté ! ; mais celui qui ne veut pas en manger est libre aussi. Or, si on ne lui offre pas de menu végétarien, que fait-il ?
Certains collègues ont dit qu'il n'avait qu'à mettre la viande sur le côté et manger des légumes. C'est là une confusion sur ce qu'est un menu végétarien : ce ne sont pas que des légumes. Surtout, enfermer cet enfant – comme votre petite-fille, monsieur le président Chassaigne – dans un menu déséquilibré !
Plusieurs d'entre nous défendent donc l'idée qu'il faudra un jour, dans les cantines, pouvoir manger de la viande mais aussi pouvoir ne pas en manger tout en ayant un repas équilibré. Je ne veux pas rouvrir ce débat, et je ne vous demande pas de répondre sur cet aspect, monsieur le rapporteur. Vous avez dit que nous avions fait un premier progrès. Mais vous avez dit aussi qu'on ne pouvait pas tout mettre dans la loi, qu'il y avait trop de contraintes, trop de complexités, avec le bio, le local… J'entends ce que dit Thierry Benoit : arrêtons de complexifier. C'est vrai ! Vous avez raison !
Sur les menus végétariens, vous avez d'autant plus raison que j'ai une bonne nouvelle à vous annoncer : dans toutes les villes de plus de 30 000 habitants, une expérience végétarienne est en cours. L'initiative vient du terrain, et la demande de la population est si forte que les choses vont bouger : une pétition en ligne, dont votre serviteur est à l'initiative, a rassemblé 164 000 signatures. Je ne suis pas sûr qu'une autre pétition défendue par un élu, un homme politique, ait obtenu autant de signatures ! Ce n'est pas mon talent qui en est la cause, c'est le sujet. La pression vient d'en bas.
Mais, si dans son collège ou son lycée, dans plusieurs années, la petite-fille du président Chassaigne se heurte à un proviseur qui argue de l'absence de disposition législative pour mettre de la viande à tous les menus, elle sera victime de votre refus, ce matin, d'inscrire dans la loi une date butoir au-delà de laquelle chacun pourra manger un repas végétarien. Ce débat ne portait que sur ce point : à un moment, la liberté de manger de la viande ou de ne pas en manger devra concerner tout le monde, sur tout le territoire.
Quant à l'article 11 sexies, monsieur le rapporteur, il me semble qu'il entre en contradiction avec vos déclarations d'intention. Vous dites qu'il faut de la souplesse, de la liberté, que la loi est trop bavarde, et soudainement, vous voulez légiférer sur le vocabulaire ? Nous ne sommes pas l'Académie française, mais l'Assemblée nationale ! Nous écrivons la loi, pas la définition des mots ; notre débat n'est pas sémantique.
Vous dites, comme le ministre, vouloir de la souplesse, des objectifs, des premiers pas, pour que les gens puissent s'adapter. Pourquoi pas ? J'ai relevé les problèmes que posait cette logique tout à l'heure à propos des menus végétariens. Mais puisque c'est la vôtre, appliquez-la aussi au vocabulaire !
En interdisant l'appellation « steak végétal », vous ouvrez un débat formidable ! La chips de betterave pourra-t-elle continuer de s'appeler chips, alors que celles-ci sont d'habitude à base de pomme de terre ? Quid de la rillette de thon et du carpaccio de mangue ? Vous ne vous rendez pas compte des vannes que vous ouvrez, et des demandes reconventionnelles qui vont arriver, tout cela parce que notre rapporteur – dont je salue par ailleurs la connaissance du sujet – a introduit subrepticement une disposition visant à interdire le « steak » ou la « saucisse » végétaux !
Ce sera, je le redis, un débat gigantesque, et qui mettra en difficulté de nombreuses entreprises – celles-ci ont d'ailleurs commencé à s'affoler. De grandes marques de distribution organisent, dans les quinze jours qui viennent, des réunions sur le retrait des rayons des saucisses végétales, avant même que la loi ne soit promulguée. Nous ouvrons la porte à des demandes de toutes sortes !
Je comprends votre intention de protection, monsieur le rapporteur. Mais puisque vous réclamez de la souplesse, soyez cohérent. Si cette loi est d'incitation et non d'obligation, alors cela doit concerner tous les sujets. On ne peut pas être archi-contraignant sur un sujet parce qu'on s'y intéresse, en allant jusqu'à donner de nouvelles définitions des mots, et sur d'autres sujets qui nous paraissent moins intéressants proclamer que la liberté doit prévaloir.
J'ai déposé un amendement sur cet article, et le débat continuera donc. Mais, de grâce, ne soyons pas incohérents !