Intervention de Brune Poirson

Réunion du mercredi 16 mai 2018 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire :

Merci, madame la présidente. Mesdames et messieurs les députés, comme certains d'entre vous le savent sans doute, la feuille de route du Gouvernement sur l'économie circulaire (FREC) a été présentée par le Premier ministre lui-même, le 23 avril dernier, lors d'un déplacement à l'usine de Mayenne de la Société d'emboutissage de Bourgogne (SEB). Je crois que cela traduit justement la volonté du Gouvernement de donner une priorité politique importante à cette question : nous devons nous engager résolument vers un changement, non seulement de pratiques, mais aussi, plus largement, de modèle économique.

Si nous avons choisi une usine SEB pour cette présentation, c'est que cette marque représente un modèle industriel en matière de durabilité des produits. C'était une bonne clef pour ouvrir le chantier de l'économie circulaire.

Cette feuille de route est le produit de six mois de concertation avec les citoyens et les parties prenantes. Vous avez été nombreux, mesdames et messieurs les députés, à contribuer activement à ces concertations et à formuler des propositions souvent créatives, en tout cas très utiles. Je tiens à vous remercier de votre implication.

Cette feuille de route répond à un cahier des charges clair : tracer un chemin crédible pour le quinquennat vers deux objectifs très ambitieux, qui ont été définis par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, portés par le Président de la République pendant sa campagne présidentielle, puis réaffirmés par le Premier ministre à l'occasion de sa déclaration de politique générale l'été dernier : diviser par deux la mise en décharge d'ici 2015 et parvenir, dans ce même délai, à 100 % de plastique recyclé. Ces objectifs ambitieux nous obligent à changer de modèle et à dépasser le statu quo. Car tout reste à faire.

Les parties prenantes se sont beaucoup mobilisées tout au long du processus de concertation, que ce soit pendant les ateliers de l'automne dernier, pendant la consultation sur la feuille de route préalable cet hiver, ou encore lors des échanges qui ont suivi la publication du rapport de M. Jacques Vernier sur l'avenir des filières REP.

Là encore, nous avons appliqué une méthode propre à ce Gouvernement : nous nous sommes efforcés de rationaliser, de dépassionner certaines questions, et de prendre le temps de la concertation. Nous avons également demandé à un expert de nous aider à mieux comprendre la réalité de la situation et à proposer des solutions innovantes, puis consulté plus largement les citoyens français, à plusieurs reprises, en leur soumettant cette feuille de route lors de consultations publiques. Puis vient le moment des décisions : on tranche et on met en oeuvre.

Cette phase d'échanges a été absolument essentielle : elle a permis de mettre sur la table, sans tabou, toutes les options, et d'accroître l'ambition de la FREC. Nous partageons finalement tous le même objectif : basculer au plus vite vers un nouveau modèle industriel qui soit porteur d'un nouveau projet de société. J'insiste sur la rapidité parce que, si la nécessité de ce changement est reconnue, la question du rythme est cruciale : en établissant cette feuille de route, nous voulions aussi accélérer le changement.

De mon côté, j'ai pu constater, à l'occasion de mes déplacements et par des réponses très encourageantes lors de la consultation, que l'intérêt des citoyens pour l'économie circulaire – j'utilise plutôt l'expression d'écologie du quotidien – s'était considérablement renforcé. C'est un sujet auquel les Français attachent une importance particulière : dans le domaine de l'économie sociale et solidaire, par exemple, beaucoup des projets proposés et des entreprises créées relèvent de l'économie circulaire.

Au-delà de l'intérêt manifesté par les personnes que je rencontre, la consultation sur la version préparatoire de la feuille de route a suscité plus de 3 000 contributions et donné lieu à 30 000 votes. L'intérêt pour cette question est bien réel.

Mais les choses ne se feront pas de façon spontanée. Il faut que chacun se mobilise, et c'est aussi l'objet de cette feuille de route : donner à chacun – c'est-à-dire à l'État, aux collectivités locales, aux citoyens, aux entreprises – la possibilité de faire plus, et plus facilement. C'est pour cela aussi qu'une action volontariste de l'État est nécessaire : pour définir un cadre incitatif, mais aussi pour structurer des filières de production qui soient capables, selon l'expression courante, de « boucler la boucle » entre la collecte, le recyclage et les débouchés pour les matières à recycler. C'est là ce qui fait la difficulté de l'accélération : il faut trouver un équilibre, afin que l'ensemble des acteurs de l'économie et de la société parviennent à changer et à entrer dans cette boucle. Il nous incombe donc aujourd'hui de créer le cadre favorable pour accélérer cette transition.

Il faut pour cela que chacun ait la conviction que l'effort, de l'amont à l'aval, est réparti entre tous les acteurs. C'est l'un des enseignements que nous avons tirés des concertations, et c'est aussi pour cela que nous avons décidé de proposer la feuille de route et ses cinquante mesures structurantes en même temps, plutôt que de manière échelonnée : pour assurer ces équilibres, notamment fiscaux, qui sont si importants et si difficiles à atteindre.

Je n'ai pas le temps de passer maintenant en revue les cinquante mesures de la feuille de route. Je me concentrerai, dans l'immédiat, sur quelques mesures phares, organisées selon quatre grands axes : mieux produire, mieux consommer, mieux gérer les déchets et mobiliser les acteurs.

Les consommateurs, les citoyens, bénéficieront grâce à ces mesures d'une protection accrue contre l'obsolescence programmée. Nous voulons qu'ils soient mieux informés et qu'ils puissent mieux consommer. Car, le Premier ministre l'a dit, bien consommer, c'est choisir. Encore faut-il donner aux consommateurs les moyens de ce choix, en fonction notamment d'une information simple sur la réparabilité du produit. Elle pourrait prendre la forme d'un indice de réparabilité, rendu obligatoire à partir du 1er janvier 2020. Cette mesure permettra de mettre un terme à l'achat de produits peu robustes et peu réparables, qui sont aussi parfois des « arnaques » au porte-monnaie et touchent malheureusement souvent les plus modestes.

Nous voulons également mieux protéger les consommateurs en obtenant, au niveau européen, une extension de la durée légale des garanties des produits. Nous y tenons fermement.

Afin de faciliter le tri des déchets par les citoyens – c'était une demande très forte lors des consultations publiques –, nous harmoniserons d'ici 2022 les couleurs des poubelles sur l'ensemble du territoire, car les différences qui subsistent d'une commune à l'autre compliquent inutilement la tâche.

Nous voulons aussi lancer l'expérimentation massive d'un système de consignes solidaires dans les collectivités locales les plus engagées, qui souhaitent renforcer et accélérer la collecte du plastique. Cette consigne de nouvelle génération permettra de collecter les bouteilles en plastique et les canettes en métal, tout en contribuant à une action solidaire, puisqu'une portion des revenus issus de la vente de la matière collectée servira au financement d'une grande cause.

Des mesures seront prises pour inciter les industriels à faire de l'éco-conception leur cheval de bataille, notamment grâce à la modulation des éco-contributions, qui pourraient représenter – car nous voulons un signal prix qui soit fort – plus de 10 % du prix des produits. Le consommateur doit le voir clairement, grâce à un signal donné au moment de l'achat.

Nous augmenterons également l'incorporation de plastique recyclé dans de nouveaux produits, afin de « fermer la boucle ».

Il est, bien sûr, nécessaire que des mesures fiscales rendent la mise en décharge plus coûteuse que le recyclage. Ce point est primordial si nous voulons permettre la transition vers l'économie circulaire. Comme j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, les signaux économiques envoyés aujourd'hui ne sont pas adaptés à nos objectifs. Les taxes sur la mise en décharge et l'incinération ont certes fait l'objet d'une réforme en 2016, mais elle n'a pas été suffisante pour avoir un effet réel sur les investissements. Notre fiscalité reste d'ailleurs, à cet égard, bien inférieure à celle de nos partenaires européens. Aussi absurde que cela paraisse, la mise en décharge est aujourd'hui moins coûteuse en France que le recyclage. Conformément à l'engagement présidentiel, la feuille de route rectifiera cette situation.

L'objectif n'est pas d'alourdir la pression fiscale sur les collectivités, mais de la répartir de façon plus cohérente avec les objectifs visés. Nous voulons donner du temps, donner des marges de manoeuvre aux acteurs pour s'y adapter, en baissant par exemple la TVA sur les activités de recyclage et de prévention des déchets, et en apportant également une aide financière pour accompagner le passage à la tarification incitative. Nous sommes conscients que l'augmentation de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), par exemple, qui sera débattue avec les collectivités lors de la Conférence nationale des territoires, ne peut être appliquée de façon unilatérale sans être compensée par d'autres mesures.

Pour garantir une meilleure gouvernance et une gestion plus efficace de nos déchets, la feuille de route propose également une refonte des filières à responsabilité élargie du producteur. De nouvelles filières seront créées, par exemple pour les jouets, les équipements sportifs et les outils de jardinage. Pour les éco-organismes, la gestion des moyens sera assouplie, le contrôle des résultats renforcé. Car ils ont aujourd'hui des objectifs de moyens plutôt que de résultats. Nous voulons leur donner plus de marge de manoeuvre, afin qu'ils puissent atteindre plus rapidement des objectifs plus ambitieux.

Cette feuille de route ne constitue pas un aboutissement de nos travaux, je tiens à le préciser : c'est maintenant que tout commence. Nous avons réussi à obtenir un certain consensus, un vrai intérêt, une réelle dynamique – elle est d'ailleurs relayée : j'étais par exemple hier en Autriche, et j'ai eu l'occasion d'échanger avec mes homologues européens, que notre démarche a beaucoup intéressés et qui souhaitent s'en inspirer –, mais tout cela n'est qu'un début. Nous partons sur de très bonnes bases, mais maintenant que nos objectifs sont fixés et les leviers identifiés, il faut passer à l'action, pour basculer à terme vers un système qui soit à 100 % circulaire, comme le veulent le Président de la République et le ministre d'État.

De nombreux groupes de travail, réunissant des experts et des parties prenantes, sont déjà en place pour poursuivre ce projet et faire entrer toutes ces mesures en application. Nous en créerons d'autres afin de mettre en oeuvre chacune des cinquante propositions : il y aura, par exemple, des groupes de travail sur les biodéchets, sur la formation, sur le recyclage des plastiques, sur l'indice de réparabilité…

Nous attendons, dès cet été, des engagements volontaires de la part des industriels, qui doivent s'accorder sur des volumes de plastique recyclé qu'ils s'engageront à incorporer à leurs produits. Ce sera, là encore, une avancée importante, qui reposera dans un premier temps sur des coopérations volontaires, mais qui devrait à terme faire l'objet de mesures contraignantes.

Dès le mois prochain, des actions seront également menées pour mettre en avant les entreprises qui jouent un rôle moteur dans cette transition et qui s'engagent pour l'éco-conception : ainsi, par exemple, la remise des Trophées de l'économie circulaire.

Des opérations de collecte et de ramassage des déchets sauvages, véritable fléau pour l'environnement, seront menées parallèlement au déploiement des premières expérimentations de consignes solidaires. Nous voulons coordonner un réseau de collectivités qui entrent dans cette dynamique. Elle suscite un vrai intérêt parce qu'elle répond à une demande de nos concitoyens, et particulièrement des habitants des zones urbaines.

Par ailleurs, la publication du plan « Ressources » à l'occasion du World Materials Forum nous permettra d'identifier nos axes de progression et d'aller encore plus loin.

De votre côté non plus, le travail n'est pas terminé. Je vous remercie encore pour votre aide et pour vos contributions, mais nous allons encore avoir besoin de vous, parce que nous sommes en présence d'un vrai mouvement et que vous êtes au plus près des territoires. Je compte sur vous pour faire vivre cette feuille de route, pour continuer à vous engager, pour nous remettre en question quand cela est nécessaire, et pour accélérer cette transition vers un modèle d'économie circulaire. Je sais qu'il existe ici un groupe d'étude consacré à ce sujet, et que votre rôle est essentiel : il consiste à identifier les initiatives efficaces et les expériences que l'on pourrait généraliser. Pour tout cela, votre engagement est indispensable. Je sais aussi l'intérêt que beaucoup d'entre vous portent à ces transformations. Je propose donc qu'après cette présentation, nous abordions vos questions et commencions à dialoguer.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.