Intervention de Brune Poirson

Réunion du mercredi 16 mai 2018 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Brune Poirson, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire :

Merci beaucoup à tous. Je vais répondre à l'ensemble de vos questions par grands thèmes. Celui du gaspillage, que vous évoquiez, monsieur Guillaume Garot, en particulier celui du gaspillage alimentaire, est essentiel. Loin de moi l'idée de prétendre que tout a commencé, dans le domaine de l'économie circulaire, le jour où le Gouvernement auquel j'appartiens a été nommé. J'ai déjà reconnu publiquement, à plusieurs reprises, votre contribution absolument essentielle à cet égard. Elle nous a d'ailleurs inspirés – c'est écrit presque noir sur blanc dans la feuille de route – pour définir notre action dans d'autres domaines, notamment celui des textiles, sur lequel vous appeliez justement notre attention. La loi qui porte votre nom a été tout à fait pionnière. Les résultats des États généraux de l'alimentation (EGA) permettront d'ailleurs de renforcer l'action du Gouvernement pour mettre fin au scandale qu'est le gaspillage alimentaire. Je ne vous apprendrai rien, mais il est important de rappeler les chiffres : en France, les pertes et les gaspillages alimentaires représentent près de 10 millions de tonnes de produits par an, c'est-à-dire une valeur commerciale de 16 milliards d'euros. Tous les acteurs de la chaîne sont concernés : le gaspillage intervient à 33 % dans la consommation, à 14 % dans la distribution, à 21 % lors des étapes de transformation et à 32 % en phase de production.

Pour renforcer la lutte contre le gaspillage alimentaire, la feuille de route pour l'économie circulaire prévoit plusieurs mesures ambitieuses. J'ai toutefois l'humilité de reconnaître que, dans ce domaine, tout commence, et je compte sur vous, mesdames et messieurs les députés, pour nous aider à aller plus loin. Il est prévu en particulier par la feuille de route d'élargir à la restauration collective et à l'industrie agroalimentaire l'obligation de donner aux associations les invendus alimentaires. Cette disposition a été reprise dans le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable, et elle est déjà en vigueur pour les distributeurs depuis février 2017. Un premier bilan dressé en 2017, en lien avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), montre qu'elle a contribué à augmenter la collecte de dons alimentaires de plus de 20 %. Nous voulons donc appliquer des dispositions analogues à d'autres domaines.

S'agissant de l'information des consommateurs sur la durabilité minimale des produits, indiquée par la mention « à consommer de préférence avant… », le Gouvernement a réaffirmé son intention d'agir au niveau européen pour qu'elle soit améliorée. Cette mention est fixée par le règlement européen relatif à l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires. Mais cette formulation reste mal comprise des consommateurs et engendre une certaine confusion. Or, l'un des objectifs de cette feuille de route pour l'économie circulaire est, très concrètement, de faciliter la vie de chacun, en luttant contre les arnaques qui touchent à la fois nos portefeuilles et la planète. Nous voulons dissiper cette confusion : cette mention ne signifie pas que les produits ne peuvent plus être consommés, mais simplement qu'ils sont meilleurs avant la date indiquée, sous le rapport de la qualité gustative, de la texture, ou encore de l'apparence… C'est le cas, par exemple, des denrées sèches, comme les pâtes et le riz.

C'est aussi pour lutter contre la confusion que nous voulons, par exemple, supprimer le point vert sur les emballages. Voyons s'il y en a un ici. Oui, vous voyez, là, sur vos bouteilles d'eau, un point vert avec des doubles flèches. Moi-même, avant d'être nommée, je n'ai pas su répondre à la question de sa signification. C'est d'ailleurs le cas d'une grande majorité de consommateurs. Tentons un sondage en direct : combien d'entre vous pensent que ce symbole signifie que la bouteille est recyclable ou recyclée ? (Dénégations dans la salle.) Vous connaissez très bien votre sujet, bravo ! Je dois avouer que lorsque l'on m'a posé la question, avant ma nomination, j'ai mal répondu, comme 95 % des Français, qui prennent ce logo pour une indication qu'ils consomment de manière responsable. Cela, encore une fois, relève d'une confusion. Nous allons donc supprimer ce point vert. Cela peut paraître anodin, mais c'est un signal très clair : l'étiquetage relatif au recyclage doit être lisible pour le consommateur. Le point vert sera donc remplacé par un autre logo, le Triman. Cela fait partie de la simplification qui donnera à chacun les moyens de s'engager facilement, au quotidien, en faveur de l'écologie.

Concernant la responsabilité élargie du producteur, la feuille de route pour l'économie circulaire prévoit la création, en concertation avec les acteurs concernés, de trois nouvelles filières REP : pour les jouets, les articles de sport et de loisirs, et les articles de bricolage et de jardin, ces derniers étant des objets lourds, souvent gros, qui augmentent considérablement le poids et le volume des déchets que les collectivités doivent traiter.

En amont de la création de ces trois nouvelles filières REP, l'ADEME fournira, pour chacune, une étude de préfiguration. Lancées au deuxième semestre 2018, ces études nous donneront une connaissance précise des gisements et des typologies de déchets qui sont nécessaires à la création d'une filière REP. Nous lancerons, en parallèle, des réunions de concertation avec les acteurs des filières : ceux qui mettent les produits sur le marché, les opérateurs de traitement, et les acteurs du réemploi et de la réparation. Ils seront chargés de la mise en oeuvre opérationnelle de ces filières, l'objectif étant d'aboutir à la publication en 2020 d'un cadre réglementaire concerté, qui entrera en vigueur en 2021.

La feuille de route reprend par ailleurs la proposition de M. Jacques Vernier de simplifier le cadre réglementaire des filières REP pour revenir à des prescriptions par objectifs. Car nous pensons que l'État n'a pas à expliquer, ni à entrer dans le détail des moyens employés par les éco-organismes. Il doit en revanche fixer des objectifs ambitieux, vérifier si ces objectifs sont atteints et, à défaut, sanctionner. C'est comme cela que nous voulons travailler, et c'est aussi une simplification qui répond à une forte demande des acteurs du domaine. Cela rendra des marges de manoeuvre aux entreprises et aux éco-organismes. Mais des contreparties doivent être prévues : l'atteinte des objectifs sera contrôlée, et engagera la responsabilité des éco-organismes et les producteurs ; les sanctions encourues par les éco-organismes qui ne rempliraient pas leurs engagements devront être dissuasives, afin de garantir la crédibilité de notre démarche. Cette mission de suivi et de contrôle des filières REP sera très probablement confiée à l'ADEME, avec des moyens ad hoc.

En matière de déchets du bâtiment, sur lesquels m'interrogeait M. Guy Bricout, les distributeurs de matériaux de construction sont, depuis le 1er janvier 2017, tenus d'organiser leur reprise. La majorité d'entre eux proposent aujourd'hui des solutions pour cela. Force est toutefois de constater – comme le font, je suppose, beaucoup d'entre vous – que les résultats ne sont pas encore à la hauteur de nos attentes. Il faut certes du temps, mais nous avons déjà identifié des freins, notamment le fait que tous les distributeurs ne sont pas concernés par cette obligation, et que la reprise n'est pas gratuite. C'est pour cela que cette feuille de route va plus loin, en transformant en profondeur le fonctionnement de la gestion des déchets du bâtiment. Croyez-moi, ce n'est pas facile. Le premier de nos objectifs est d'augmenter le réemploi et la valorisation de ces déchets qui représentent, de loin, la plus grande partie de ceux que nous avons à traiter. Il est vrai qu'en vous présentant la feuille de route pour l'économie circulaire, je parle beaucoup de déchets ménagers, mais la grande majorité des déchets en France provient de l'industrie du bâtiment. C'est pourquoi le périmètre du « diagnostic déchets », obligatoire avant la démolition d'un immeuble, sera revu. Nous rendrons également plus efficace la collecte de ces déchets afin de lutter contre leur dépôt sauvage. Je sais que beaucoup d'entre vous sont particulièrement sollicités à ce sujet dans leurs circonscriptions, et qu'il s'agit d'une préoccupation croissante. Nous devons nous donner les moyens de lutter contre ces dépôts sauvages. Parmi les solutions que nous préconisons se trouve la création d'une filière REP pour les déchets du bâtiment. Elle nous permettrait d'atteindre nos premiers objectifs : rendre gratuite la reprise de ces déchets, puis multiplier les installations de traitement nécessaires à leur réemploi.

L'extension des filières REP aux secteurs des jouets, des articles de sport et de loisirs et des articles de bricolage et de jardin vise à réduire le volume des ordures ménagères et à développer l'activité de réemploi et de réparation, en lien avec l'économie sociale et solidaire. Il s'agit donc, tout à la fois, de développer l'emploi local, non délocalisable, souvent destiné à favoriser l'insertion des salariés, et de lutter contre l'extraction de ressources naturelles en passant directement au réemploi, encore préférable au recyclage. Les collectivités, enfin, bénéficieront de modifications de la fiscalité et de la réduction du volume des déchets à traiter.

Dans ces conditions, la création d'une nouvelle filière REP pour les textiles sanitaires nous a semblé prématurée : nous ne savons aujourd'hui ni les réemployer, ni les recycler. Les produits jetables ont, en revanche, fait l'objet ces dernières années de nombreuses mesures d'interdiction : ainsi les sacs en plastique, la vaisselle jetable et les cotons-tiges. Vous avez d'ailleurs, madame la présidente, joué un rôle moteur en la matière, en particulier pour répondre au problème des microbilles de plastique.

La poursuite de ces actions fait partie des priorités de la feuille de route pour l'économie circulaire. Il faut interdire certains matériaux, comme par exemple les contenants en polystyrène expansé utilisés pour la consommation nomade, et soutenir activement – nous avons commencé à en parler avec nos homologues européens – les mesures communautaires qui permettraient de limiter l'usage de produits en plastique à usage unique.

La FREC prévoit de renforcer les outils économiques destinés à réduire la mise sur le marché de produits à usage unique. Elle introduit notamment un dispositif de bonus-malus réellement incitatif, ce qui suppose qu'il puisse excéder 10 % du prix de vente de ces produits dans le cadre des filières REP, afin d'encourager les producteurs à mettre sur le marché des produits plus réutilisables et plus durables. Concrètement, de deux bouteilles entre lesquelles vous aurez le choix au rayon d'un magasin, celle qui aura été fabriquée avec du plastique recyclé sera moins chère. L'objectif est ainsi d'utiliser les éco-contributions pour moduler le prix des bouteilles de plastique, entre autres, de façon à ce que le consommateur repère le produit le plus vertueux pour la planète.

La feuille de route prend également la mesure de l'enjeu de la gestion des déchets des entreprises. Nous prévoyons ainsi d'étendre le champ de la filière REP des emballages à ceux des professionnels, de manière notamment à augmenter la collecte et le réemploi des bouteilles. Certains déchets professionnels sont d'ailleurs déjà couverts par plusieurs filières REP, par exemple les meubles et équipements électriques, les équipements électroniques, les pneumatiques... La feuille de route prévoit aussi d'en faire plus pour les déchets de la construction qui, je le disais, représentent 70 % de ceux que nous produisons.

Parmi nos priorités, se trouve également la poursuite des actions conduites ces dernières années pour interdire des produits à usage unique. Plusieurs mesures permettront d'aller plus loin, en interdisant certains matériaux comme, je l'ai dit, le polystyrène expansé. Nous porterons cette mesure au niveau européen, où nous avons d'ailleurs activement participé à l'élaboration de la stratégie sur les plastiques rendue publique par la Commission européenne en début d'année. Nous avons beaucoup contribué aux travaux de la Commission et nous soutenons fortement les mesures européennes qui permettraient de limiter les produits en plastique à usage unique.

Quant à la question de la réparabilité et de la lutte contre l'obsolescence programmée évoquée par M. Bruno Millienne, la France est pionnière en la matière. C'est, là encore, reconnaissons-le, un héritage du gouvernement précédent : l'article 99 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a fait de l'obsolescence programmée un délit. Pour aller plus loin, pour mieux préserver l'environnement et protéger le consommateur, nous avons pris plusieurs mesures concrètes en faveur de l'allongement de la durée de vie des produits. Nous voulons travailler de manière à imposer, à partir du 1er janvier 2020, l'affichage obligatoire d'une information simple sur la réparabilité des équipements électriques, électroniques et électroménagers. Cette information prendra la forme d'un indice de réparabilité : on trouvera, à côté du prix du produit, un chiffre représentant la moyenne de dix critères, qui mesureront par exemple la facilité de réparer, la disponibilité de pièces détachées… Ces dix indicateurs seront établis pour chaque grand type de produits, afin que l'on puisse les comparer.

Nous renforcerons également l'offre des acteurs du réemploi et de la réparation, afin d'inciter les particuliers à recourir à leurs services plutôt que de jeter un bien et d'en racheter un nouveau. Nous augmenterons dans le même temps la place de l'économie sociale et solidaire au sein de ces activités. Il s'agit de développer en France le réflexe de réparation, de sortir de la société du jetable, donc d'aller vers le réemploi. Car l'objectif, au-delà du recyclage, doit être le réemploi, puisqu'il est susceptible de créer des emplois locaux dans le domaine, notamment, de l'économie sociale et solidaire.

Nous voulons aussi renforcer les obligations des fabricants et des distributeurs en matière d'information sur la disponibilité des pièces détachées pour les équipements électriques, électroniques et électroménagers, en introduisant par exemple, d'ici deux ans, l'obligation d'afficher leur éventuelle non-disponibilité.

Autre enjeu auquel nous nous attachons : l'allongement de la durée légale de garantie, qui en France est de deux ans. Nous voulons aller plus loin, en portant cette mesure au niveau européen. Nous ferons mieux valoir, en outre, les droits des consommateurs en matière de respect de la garantie : trop de consommateurs français ignorent encore, par exemple, que lorsqu'un appareil sous garantie tombe en panne, il incombe au fabricant de démontrer que le dysfonctionnement est le fait du consommateur. À défaut, la réparation doit être prise en charge par le fabricant : c'est, en France, un droit des consommateurs, qui pourtant n'est pas encore assez appliqué. Les contrôles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) doivent donc être renforcés sur ce point, de même que sur l'accès des consommateurs à l'information, concernant notamment les réparateurs indépendants et la disponibilité des pièces détachées.

La fiscalité, évoquée par M. Guillaume Garot, est une question essentielle, qui a fait l'objet de beaucoup de concertations. Il faut, me disiez-vous, un grand débat sur cette question. Ce débat a lieu, principalement dans le cadre de la Conférence nationale des territoires. Nous l'avons d'ailleurs très largement entamé avec l'association Amorce, entre autres, lors de l'élaboration de cette feuille de route. Si la question de la fiscalité est essentielle, c'est notamment parce qu'il revient moins cher, en France, de mettre en décharge que de recycler. L'un des principaux enjeux de cette feuille de route est donc de définir un cadre fiscal cohérent pour atteindre notre objectif. Certaines mesures seront inscrites dans le prochain projet de loi de finances, comme la baisse du taux de TVA à 5,5 % pour la prévention, la collecte, le tri et la valorisation des déchets dans le cadre du service public de gestion des déchets, afin de rendre ces opérations plus compétitives. Cela me paraît indispensable, et c'est une mesure phare de cette feuille de route pour l'économie circulaire.

Nous inscrirons également dans le projet de loi de finances la diminution temporaire de 8 % à 3 % des frais de gestion perçus par l'État pour le recouvrement de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères incitative (TEOMI). L'efficacité de ce mécanisme n'étant plus à prouver, nous entendons le promouvoir.

Nous prévoyons également une augmentation de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), déjà annoncée à plusieurs reprises, afin d'envoyer le bon signal sur la hiérarchie du traitement des déchets : leur recyclage est préférable à leur élimination.

Il est fondamental que ces mesures soient rendues suffisamment visibles pour que les acteurs aient le temps de s'y adapter, en faisant les bons investissements. Parce que nous voulons opérer des changements profonds, durables, nous devons trouver un équilibre entre contraintes et mesures volontaires. Il ne s'agit pas d'imposer des changements du jour au lendemain, même si nous sommes résolus et volontaristes. Nous souhaitons donc que la baisse de la TVA puisse être anticipée dès que possible, afin de mobiliser les acteurs et de permettre le déploiement rapide d'actions de tri ou de recyclage par les collectivités, pour réduire sans retard les volumes d'ordures ménagères. C'est en effet ce qui pèse sur la TGAP. Je voudrais donc que la trajectoire d'augmentation de la TGAP soit définie dès aujourd'hui, mais qu'elle n'entre en vigueur qu'en 2021, afin de laisser aux collectivités le temps de s'y adapter, à l'aide de mesures complémentaires.

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