En 2017, une nouvelle majorité est arrivée avec un projet de transformation globale répondant aux mutations technologiques majeures qui bouleversent en profondeur notre économie, notre rapport au travail et l'organisation de ce dernier. Les actifs ne connaissent plus les mêmes carrières salariales qu'il y a quarante ans ; quand la mobilité professionnelle devient la règle, la responsabilité du politique est de s'assurer qu'elle est vécue par le plus grand nombre comme un progrès. La formation tout au long de la vie et la sécurisation des parcours professionnels deviennent alors des impératifs et ce sont eux qui guident aujourd'hui notre action.
Derrière une apparente stabilité du marché de l'emploi, on assiste à des évolutions fondamentales. On compte toujours 80 % de salariés en contrats à durée indéterminée (CDI), 10 % de travailleurs indépendants et 10 % de personnes sous contrats de travail dits atypiques. Alors que dans les années 1970 le nombre de travailleurs indépendants tendait à baisser, il augmente aujourd'hui, cette catégorie accueillant de surcroît de nouveaux profils sociologiques, éloignés des métiers classiques qui la composaient alors – professions libérales, commerçants et artisans –, avec des personnes sans patrimoine et qui cherchent à développer leur propre activité, mais qui sont mal appréhendées par notre modèle social et donc plus exposées à la précarité.
On assiste également à un développement des contrats courts, des contrats de moins d'un mois notamment, qui représentent un phénomène de plus en plus structurant puisque, selon l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC), 80 % des embauches actuelles, dont les deux tiers correspondent à des relations de travail durables, sont faites avec ces contrats de moins d'un mois.
À cela s'ajoute un taux de chômage toujours élevé, vous l'avez rappelé, d'un peu plus de 9 %, qui concerne de nombreux jeunes : 1,3 million d'entre eux sont encore malheureusement au chômage.
La présente réforme, c'est donc pour eux que nous l'engageons, pour ne plus nous contenter de contempler les mutations à l'oeuvre : auto-entreprenariat, plateforme, réorientation professionnelle et besoins croissants de formation, vous avez pris toute la mesure de ces évolutions en demandant d'abord aux partenaires sociaux d'en tenir compte dans la perspective de l'application du programme présidentiel soutenu par la majorité.
Il s'agissait de revoir tout le système de formation pour le rendre plus opérationnel et mieux ciblé sur les publics éloignés de l'emploi, d'étendre l'assurance chômage aux travailleurs indépendants et aux salariés démissionnaires, pour les accompagner dans leur mobilité professionnelle. Les partenaires sociaux doivent en outre s'engager pour mieux encadrer le recours aux contrats courts, facteur de précarité et de déstabilisation des finances de l'UNEDIC.
Le 22 février dernier, vous l'avez rappelé, un accord national interprofessionnel a été adopté, paraphé par l'ensemble des organisations représentatives, à l'exception de la confédération générale du travail (CGT). Cet accord, fruit d'un dialogue social de plusieurs mois, répond en partie aux engagements présidentiels et se trouve pour l'essentiel retranscrit dans ce projet de loi ; je ne peux que vous en féliciter.
Le texte pose bien, en effet, les bases d'une universalisation de l'assurance chômage ; il répond ainsi aux transformations du marché de l'emploi, aux besoins de mobilité professionnelle et d'encouragement de l'initiative de création d'activité. Il prévoit aussi, sauf accord ambitieux dans les branches professionnelles, de maîtriser le recours aux contrats courts par l'instauration d'un bonus-malus sur la contribution patronale à l'assurance chômage.
En tant que député et rapporteur du titre II portant sur l'assurance chômage et après les nombreuses auditions auxquelles j'ai procédé, je souhaite, madame la ministre, profiter de votre présence pour évoquer quelques-unes de mes propositions qui viendraient enrichir le texte, essentiellement pour que nous nous assurions qu'il couvre bien les actifs qui en ont le plus besoin, tout en garantissant les droits de l'ensemble des demandeurs d'emploi actuellement indemnisés.
Le projet de loi pose le principe d'un droit à l'indemnisation des démissionnaires, sous la condition d'une durée d'activité, et selon des modalités qui seront définies dans les textes d'application. Selon l'exposé des motifs et l'étude d'impact, il s'agira de cinq années continues. Il est certes nécessaire de poser une condition, mais sans créer un blocage disproportionné. Pourrait-on neutraliser de très courtes périodes d'inactivité, d'un maximum de trois mois par exemple, afin de permettre à un salarié ayant travaillé de manière régulière pendant cinq années interrompues par une brève période de chômage, de bénéficier d'une indemnisation en cas de démission ? Qu'en pensez-vous ?
En ce qui concerne le versement de l'allocation pour les travailleurs indépendants (ATI), seules les procédures de liquidation et de redressement judiciaires seraient considérées comme des faits générateurs. On risque ainsi de laisser en dehors du dispositif une partie de ceux que l'on pourrait appeler les « nouveaux indépendants » : exerçant seuls leur activité, souvent avec le statut d'autoentrepreneurs, sans actifs à liquider pour rembourser des créanciers, et qui voient soudain leurs revenus diminuer fortement. Afin de pas recourir à un système purement déclaratif, on pourrait imaginer une solution innovante reposant sur des tiers de confiance. Ils seraient chargés de recueillir auprès des travailleurs indépendants les éléments de preuve qui permettront ensuite d'attester auprès de Pôle emploi l'existence d'une baisse importante de revenu – jusqu'au niveau du revenu de solidarité active (RSA) –, laquelle ouvrirait droit à l'ATI. Pourrait-on réfléchir à une solution de ce type ?
Dans une même logique d'élargissement des droits, je réfléchis à un amendement qui abaisserait le seuil de rémunération permettant de bénéficier du portage salarial. Ce dispositif permet à un travailleur autonome du point de vue de la recherche des clients – c'est le cas typique d'un consultant – de devenir le salarié d'une société de portage, à charge pour celle-ci de réaliser diverses tâches administratives et d'assurer une protection sociale de droit commun, en contrepartie d'une ponction sur le prix facturé aux clients, qui prendrait la forme d'une déduction sur le salaire reversé. Afin de bénéficier d'un tel dispositif, un salarié doit être rémunéré au moins à hauteur de 75 % du plafond mensuel de la sécurité sociale, soit environ 2 500 euros nets par mois. Si l'on ramenait ce seuil à 60 %, de nombreuses personnes supplémentaires pourraient avoir accès au portage et ainsi aux avantages du salariat, notamment l'affiliation à l'assurance chômage. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?
Enfin, je souhaiterais enrichir le document de cadrage qui sera transmis par le Premier ministre aux partenaires sociaux : il s'agirait de préciser les hypothèses macroéconomiques sur lesquels se fonde la trajectoire financière, ainsi que les prévisions de recettes fiscales sur une période de trois ans. Cela donnerait plus de visibilité aux partenaires sociaux pour la gestion paritaire de l'assurance chômage. Seriez-vous prête à encadrer ainsi le cadrage, si j'ose dire ?